Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre LVI

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CHAPITRE LVI.


Comment le roi d’Escosse, qui prisonnier étoit en Angleterre, fut mis à rançon et sur quelle condition.


Vous avez ouï recorder ci-dessus en cette histoire comment le roi d’Escosse fut pris par bataille assez près de la cité de Durem en Northonbrelande, du temps que le roi d’Angleterre séoit devant Calais ; et fut prisonnier en Angleterre neuf ans et plus. Or avint en celle saison, assez tôt après que ces trêves furent données entre France et Angleterre, les deux cardinaux dessus nommés et l’évêque de Saint-Andrieu d’Escosse s’embesognèrent et mirent en peine de la délivrance du roi d’Escosse ; et tant se porta cil traité que il se fit, par telle manière que le roi David ne se devoit jamais armer contre le roi d’Angleterre ni son royaume, ni conseiller, ni consentir à son loyal pouvoir ses hommes à eux armer pour gréver ni guerroyer Angleterre. Et devoit encore le roi d’Escosse, lui revenu en son royaume, mettre toute la peine et diligence qu’il pourroit envers ses hommes, afin que le royaume fût tenu en fief et hommage du roi d’Angleterre[1]. Et si ce ne vouloit accorder le pays, le roi d’Escosse jureroit solemnellement à tenir bonne paix et ferme envers le roi d’Angleterre ; et obligeoit et aloioit son royaume, comme droit sire et héritier, à payer dedans dix ans cinq cent mille nobles. Et en devoit, à la requête du roi d’Angleterre, envoyer pléges et otages, tels que le comte Douglas, le comte de Moret, le comte de Mare, le comte de Surlant, le comte de Fi, le baron de Versi et messire Guillaume Camois[2]. Et tous iceux devoient demeurer en Angleterre comme prisonniers et ôtagiers pour le roi leur seigneur, jusques au jour que cil argent seroit tout payé. De ces ordonnances et obligations furent faits instrumens publics et lettres patentes scellées d’un roi et de l’autre.

Ainsi fut adoncques le roi d’Escosse délivré[3] ; et se partit d’Angleterre et revint arrière en son pays, et la roine[4] Isabelle sa femme, sœur au roi d’Angleterre. Si fut le dit roi moult conjoui de tous ses hommes, et visita tout son pays ; et puis vint demeurer, pendant que on lui appareilloit le fort château de Haindebourch qui étoit tout depecé, à Saint-Janston[5], une bonne ville et marchande, sur une rivière que on appelle Taye.

  1. Il n’est fait aucune mention de cette clause dans le traité, ni dans les conventions préliminaires. Froissart paraît assez mal informé de tout ce qui concerne la délivrance du roi d’Écosse. La clause la plus onéreuse du traité est l’obligation de payer au roi d’Angleterre, pour la rançon de David Bruce, cent mille marcs sterling en dix ans, savoir : dix mille marcs chaque année jusqu’à l’entier paiement, pour la sûreté duquel le roi d’Écosse devait livrer vingt otages qui sont tous nommés dans le traité : il fut conclu à Berwick, le 3 octobre de cette année 1357. On peut consulter à ce sujet Rymer.
  2. Au lieu des deux derniers, Johnes, dans sa traduction, nomme sir Thomas Bisset et l’évêque de Caithness. Lord Hailes cite les noms de Stewart, March, Mar, Ross Angus, etc. Camois est là sans doute pour Campbell.
  3. La Scala chronica fixe à la Saint-Michel l’époque de la délivrance de David.
  4. Elle s’appelait Jeanne et non Isabelle. C’est sa mère qui portait ce nom.
  5. Les rois d’Écosse habitaient le château de Scone, près de Saint-Johnstone ou Perth.