Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CCII

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CHAPITRE CCII.


Comment Piètre du Bois, revenu à Gand, reconforta les Gantois qui reprindrent courage fier et rebelle.


Encore se tenoient tous les seigneurs et les gens d’armes à Courtray ou là environ ; car on ne savoit que le roi vouloit faire, ni si il iroit devant Gand. Et cuidèrent les François, de commencement que ceux de Bruges vinrent à merci devers le roi, que les Gantois y dussent venir aussi, pourtant que ils avoient perdu leur capitaine et reçu si grand dommage de leurs gens à la bataille de Rosebecque. Voirement en furent-ils en Gand en grand’aventure ; et ne sçurent trois jours lequel faire, ou de partir de leur ville et tout laisser, ou d’envoyer les clefs de la ville devers le roi et de eux rendre et mettre du tout en sa merci ; et étoient si ébahis que il n’y avoit conseil ni arroy ni contenance entre eux. Ni le sire de Harselles qui étoit là ne les savoit comment conforter.

Quand Piètre du Bois rentra en la ville il trouva les portes ouvertes et sans garde, dont il fut moult émerveillé ; et demanda que c’étoit à dire que on ne gardoit autrement la ville. Ceux lui répondirent qui le vinrent voir et qui furent bien réjouis de sa venue, et lui dirent : « Ha ! sire, que ferons-nous ? Vous savez que nous avons tout perdu, Philippe d’Artevelle notre bon capitaine, et bien par bon compte, de la ville de Gand, sans les étranges, neuf mille hommes : ce dommage nous touche si près que en nous n’a point de recouvrer. » — « Ha ! folles gens, dit Piètre, vous ébahissez-vous pour cela ? Encore n’a pas la guerre pris fin, ni oncques Gand ne fut tant renommée comme elle sera. Si Philippe est mort, ce a été par son outrage : faites clorre vos portes et entendez à vos défenses. Vous n’avez garde que le roi de France doye ci venir en cel hiver ; et entrementes que le temps reviendra, nous cueillerons gens en Hollande, en Zélande, en Guerle, en Brabant et ailleurs ; nous en aurons assez pour nos deniers. François Ackerman qui est en Angleterre retournera ; moi et lui serons vos capitaines : ni oncques la guerre ne fut si forte ni si bonne que nous la ferons. Nous valons mieux seuls que avecques le demeurant de Flandre : ni tant que nous avons eu le pays avecques nous, nous n’avons sçu guerroyer. Or entendrons-nous maintenant ainsi que pour nous à la guerre, et ferons plus de bons exploits que nous n’avons fait. »

Ainsi et de telles paroles reconforta Piètre du Bois à son retour les ébahis de Gand, qui se fussent rendus simplement au roi de France, il n’est pas doute, si Piètre du Bois n’eût été.

Or regardez comment il y a de confort et conseil en un homme. Et quand ceux de Gand virent que cinq ou six jours passoient et que nul ne venoit courir devant leur ville, ni nul siége ne leur apparoît, si furent grandement réconfortés et plus orgueilleux que devant.