Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CCI

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 255-256).

CHAPITRE CCI.


Comment au pourchas du comte Guy de Blois le pays de Hainaut et Valenciennes furent préservés de grand pillage et travail.


Ainsi demeura la bonne ville de Bruges en paix, et fut déportée de non être courue : dont les Bretons furent moult courroucés : car ils en cuidoient bien avoir leur part ; et disoient entre eux, quand ils sçurent que ils étoient venus à paix, que cette guerre de Flandre ne leur valoit rien, et que trop petit de profit y avoient eu. Si s’avisèrent les aucuns qui ne tendoient à nul bien et dirent : « Nous nous en retournerons en notre pays ; mais ce sera parmi la comté de Hainaut. Aussi ne s’est pas le duc Aubert, qui en a le gouvernement, trop fort ensonnié de aider son cousin le comte de Flandre ; il s’en est bien sçu dissimuler : c’est bon que nous le allions visiter ; car il y a bon pays et gras en Hainaut ; ni nous ne trouverons homme qui nous vée notre chemin ; et là recouvrerons-nous nos dommages et nos souldées mal payées. » Il fut celle fois que ils se trouvèrent bien douze cents lances tous d’un accord, Bretons, Bourguignons, Savoyens et autres gens. Or regardez si le bon et doux pays de Hainaut ne fut pas en grand péril.

La connaissance en vint au gentil comte Guy de Blois, qui étoit là un des grands sires entre les autres et chef de l’arrière garde et du conseil du roi, comment Bretons, Bourguignons et autres gens qui ne désiroient que pillage, menaçoient le bon pays de Hainaut, auquel il a grand’part et bel et bon héritage. Tantôt pour y remédier il alla fortement au devant, et dit que ce n’étoit pas une chose à consentir que le bon pays de Hainaut fût couru ; et prit ses cousins de-lez lui, le comte de la Marche, le comte de Saint-Pol, le sire de Coucy, le seigneur d’Enghien et plusieurs autres, tous tenables de la comté de Hainaut, qui là étoient et qui le roi servi avoient ; et leur remontra que nullement ils ne devroient vouloir ni consentir que le bon pays de Hainaut, dont ils issoient et descendoient, et auquel leurs héritages ils avoient, fût molesté ni grevé par nulle voie quelconque ; car, en tant que de la guerre de Flandre ni du comte, le pays de Hainaut n’y avoit nulle coulpe ; mais avoient servi le roi en ce voyage les barons et chevaliers moult loyaument ; et en devant, ainçois que le roi vînt en Flandre, avoient servi le comte de Flandre les chevaliers et les écuyers de Hainaut ; et s’étoient enclos en Audenarde et en Tenremonde, et aventurés, et mis corps et chevance.

Tant fit le comte de Blois et alla de l’un à l’autre, et acquit tant d’amis, que toutes ces choses furent rompues, et demeura Hainaut en paix. Encore fit le gentil sire une chose : il y avoit en ce temps en Flandre un chevalier qui s’appeloit messire Thierry de Disquemme, qui pour l’amour d’un sien parent, qui s’appeloit Daniel d’Usc, lequel par sa coulpe avoit été occis en la ville de Valenciennes, si en hérioit et guerroyoit la ville ; et vouloit encore plus fort hérier et guerroyer ; et avoit acquis tant d’amis pour mal faire, que on disoit que il avoit bien de son accord cinq cents lances pour amener en Hainaut, guerroyer et hérier la ville de Valenciennes ; et disoit qu’il avoit bonne querelle de tout ce faire. Mais quand le comte de Blois en fut informé, il alla puissamment au devant, et défendit au chevalier que il ne s’enhardît d’entrer ni mener gens d’armes au pays de son cousin le duc Aubert ; car il lui seroit trop cher vendu ; et tant exploita le gentil comte de Blois, que il fit le chevalier tout privé ; et se mit le chevalier de toutes ces choses en la pure volonté du comte de Blois et du sire de Coucy. Par ainsi demeura la ville de Valenciennes en paix. Ces services fit le comte de Blois en celle année à Hainaut et à Valenciennes ; dont il acquit grand’grâce, et l’amour tout pleinement de ceux de Valenciennes.