Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CII

La bibliothèque libre.

CHAPITRE CII.


Comment Philippe d’Artevelle fut, par le pourchas de Piètre du Bois, allé querre en son hôtel à Gand et amené sur le grand marché, et illec fait par toute la ville capitaine et chef des Gantois.


À ces mots se mirent tous ceux qui là étoient, et encore plus assez qui les suivoient, en chemin ; et vinrent vers la maison Philippe, qui de leur venue étoit tout avisé. Le sire de Harselles, Piètre du Bois, Piètre de Winstre et environ dix ou douze des doyens des métiers entrèrent en sa maison ; et lui araisonnèrent et remontrèrent comment la bonne ville de Gand étoit en grand’nécessitè d’avoir un souverain capitaine auquel, hors et ens, on se pût rallier ; et que toutes manières de gens demeurant à Gand lui donnoient leur voix, et l’avoient avisé à être leur souverain capitaine ; car le record de son bon nom, pour l’amour de son bon père, lui séoit mieux en la bouche que nul autre : pourquoi ils lui prioient affectueusement que de bonne volonté il voulsist emprendre d’avoir le gouvernement de la ville et le faix des besognes dedans et dehors ; et ils lui jureroient foi et loyauté entièrement comme à leur seigneur, et feroient toutes gens, comme grands qu’ils fussent en la ville, venir à son obéissance. Philippe entendit bien toutes leurs requêtes et paroles, et puis moult sagement il répondit et dit ainsi : « Seigneurs, vous me requérez de moult grande chose ; et espoir vous ne pensez mie bien le fait tel qu’il est, quand vous voulez que je aie le gouvernement de la bonne ville de Gand. Vous dites que l’amour que vos prédécesseurs eurent à mon père vous y attrait. Quand il leur eut fait tous les plus beaux services que il put, ils l’occirent : si je emprenois le gouvernement tel que vous dites, et j’en fusse en la fin occis, je en aurois petit loier et povre guerredon. »

« Philjppe, dit Piètre du Bois qui happa la parole et qui étoit le plus douté, ce qui est passé ne peut-on recouvrer. Vous ouvrerez par conseil, et vous serez toujours bien conseillé, et si bien que toutes gens se loueront de vous. » Répondit Philippe : « Je ne le voulroie mie faire autrement. »

Adonc fut-il là entre eux élu et amené au marché, et là sermenté ; et il sermenta aussi les maieurs et les échevins, et tous les doyens de Gand. Ainsi fut Philippe d’Artevelle, souverain capitaine de Gand, et acquit en ce commencement grand’grâce, car il parloit à toutes gens, qui à besogner à lui avoient, doucement et sagement ; et tant fit que tous l’aimoient ; et une partie des revenus que le comte de Flandre a en la ville de Gand, de son héritage, il les fit distribuer au seigneur de Harselles, pour cause de gentillesse et pour maintenir au chevalier son état ; car tout ce que il avoit en Flandre, hors de la ville de Gand, il avoit tout perdu.

Nous nous souffrirons un petit à parler des besognes et des matières de Flandre, et parlerons des besognes d’Angleterre et de Portingal.