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Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CLXXXII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 235-236).

CHAPITRE CLXXXII.


Comment les François qui étoient passés outre la rivière du Lys se mirent eu ordonnance de bataille devant les Flamands.


Je tiens, et aussi doivent tenir toutes gens d’entendement, celle emprise de ces bacquets et le passage de ces gens d’armes à haut, vaillant et honorable ; car chevaliers et écuyers, ce lundi sur le tard, pour passer outre avecques leurs compagnons, s’embloient de l’avant-garde. Et passèrent le vicomte de Rohan, le sire de Laval, le sire de la Berlière, le sire de Combour, messire Olivier du Glayquin, le Barrois des Barres, le sire de Colet, messire Regnault de Thouars, le sire de Pousances, messire Guillaume de Lignac, messire Gauchier de Passac, le sire de Tors, messire Louis de Goussant, messire Tristan de la Gaille, le vicomte de Meaux, le sire de Mailly, et tant que, Bretons, que Poitevins, Béruyers, François, Bourguignons, Flamands, Artésiens, Tyois et Hainuiers, ils se trouvèrent bien outre, ce lundi sur le tard, environ quatre cens hommes d’armes, toute fleur de gentillesse ; ni oncques varlet n’y passa.

Quand messire Louis de Sancerre vit ce, et que tant de bonnes gens étoient passés, comme seize bannières et trente pennons, si dit que il lui tourneroit à grand blâme, si il ne passoit aussi. Si se mit en un bacquet ses chevaliers et écuyers avecques lui ; et adonc aussi passèrent le sire de Hangest, messire Parcevaulx d’Aineval et plusieurs autres. Ouand ils se virent tous ensemble, si dirent : « Il est heure que nous allions vers Comines voir nos ennemis, et savoir si nous pourrions ennuit loger en la ville. Adonc restraignirent-ils leurs armures et mirent leurs bassinets sur leurs têtes, et les lacèrent et bouclèrent, ainsi comme il appartenoit ; et se mirent sur les marais joignant la rivière, en pas et ordonnance, bannières et pennons ventilans devant eux, ainsi que pour tantôt traire avant et combattre. Et étoit le sire de Saint-Py au premier chef, et l’un des principaux gouverneurs et conduiseurs, pourtant qu’il connoissoit mieux le pays que nuls des autres.

Ainsi comme ils venoient tous le pas, et aussi serrés que nuls gens d’armes peuvent, par bonne ordonnance, contre val ces prés, en approchant la ville, Piètre du Bois et ses Flamands qui étoient tous rangés amont, haut sur la chaussée, jetèrent leurs yeux aval ces prés, et virent ces gens d’armes approcher. Si furent moult émerveillés ; et demanda Piètre du Bois : « Par quel diable de lieu sont venus ces gens, et où ils ont passé la rivière du Lys ? » Si lui répondirent ceux qui de-lez lui étoient : « Il faut qu’ils soient passés par bacquets huy toute jour ; et si n’en avons rien sçu ; car il n’y a pont ni passage sur le Lys de ci à Courtray. » — « Que ferons-nous, disent aucuns à Piètre Dubois ? Les irons-nous combattre ? » — « Nennil, dit Piètre, laissons-les venir, et demeurons en notre force et en notre place ; ils sont bas et nous sommes haut sur la chaussée. Si ils nous viennent assaillir, nous avons grand avantage sur eux ; et si nous descendons ores sur eux pour combattre, nous nous forferons trop grandement. Attendons que la nuit soit venue toute noire et toute obscure, et puis aurons conseil comment nous chevirons. Ils ne sont pas tant de gens que ils nous doivent planté durer à la bataille ; et si savons tous les refuges, et ils n’en savent nuls. »