Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CLXXXVII

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CHAPITRE CLXXXVII.


Comment le roi de France fut averti de la rébellion des Parisiens et d’autres, et de leur intention, lui étant en Flandre.


Encore se tenoit le roi de France sur le mont de Yppre, quand nouvelles vinrent que les Parisiens s’étoient rebellés et avoient eu conseil, si comme on disoit, entre eux là et lors pour aller abattre le beau chastel de Beauté, qui siéd au bois de Yincennes, et aussi le chastel du Louvre et toutes les fortes maisons d’environ Paris, afin que ils n’en pussent jamais être grévés. Quand un de leur route, qui cuidoit trop bien dire, mais il parla trop mal, si comme il apparut depuis, dit : « Beaux seigneurs, abstenez-vous de ce faire tant que nous verrons comment l’affaire du roi notre sire se portera en Flandre : si ceux de Gand viennent à leur entente, ainsi que on espère bien que ils y venront, adonc sera-t-il heure du faire et temps assez. Ne commençons pas chose dont nous nous puissions repentir. » Ce fut Nicolas le Flamand qui dit celle chose ; et par celle parole la chose se cessa à faire des Parisiens et cel outrage. Mais ils se tenoient à Paris pourvus de toutes armures, aussi bonnes et aussi riches comme si ce fussent grands seigneurs ; et se trouvèrent armés de pied en cap comme droites gens d’armes, plus de soixante mille, et plus de cinquante mille maillets et autres gens, comme arbalêtriers et archers ; et faisoient ouvrer les Parisiens nuit et jour les haulmiers, et achetoient les harnois de toutes pièces, tout ce que on leur vouloit vendre.

Or regardez la grand’diablerie que ce eût été si le roi de France eût été déconfit en Flandre, et la noble chevalerie qui étoit avecques lui en ce voyage. On peut bien croire et imaginer que toute gentillesse et noblesse eût été morte et perdue en France, et autant bien ens ès autres pays ; ni la Jacquerie ne fut oncques si grande ni si horrible qu’elle eût été ; car pareillement à Reims, à Châlons en Champagne et sur la rivière de Marne, les vilains se rebelloient et menaçoient jà les gentilshommes, et dames et enfans qui étoient demeurés derrière ; aussi bien à Orléans, à Blois, à Rouen en Normandie et en Beauvoisis, leur étoit le diable entré en la tête pour tout occire, si Dieu proprement n’y eût pourvu de remède, ainsi comme orrez recorder ensuivant en l’histoire.