Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CXIX

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 167-168).

CHAPITRE CXIX.


Comment le duc de Lancastre vint d’Escosse à la cour où le roi étoit, qui excusa le comte de Northonbrelande, et fit sa paix au duc de Lancastre.


Quand le duc de Lancastre fut retourné d’Escosse en Angleterre, et il ot remontré au roi et à son conseil comment il avoit exploité de trêves, qui étoient prises et accordées entre eux et les Escots, il n’oublia mie à parler comment messire Mahieu Rademen, capitaine de Bervich, quoiqu’il excusât le chevalier, lui avoit clos les portes de Bervich au devant, au commandement et ordonnance du comte de Northonbrelande, et que ce fait il ne pouvoit oublier. Et en parloit le duc en telle entente que savoir vouloit si le roi son neveu l’avouoit ; et oil vraiment il l’avoua : mais il sembla au duc que ce fût assez malement. Donc s’apaisa le duc et attendit la fête Notre-Dame mie août, que le roi d’Angleterre tînt cour solennel à Wesmoustier ; et là furent grand’foison des hauts barons d’Angleterre, et tant que le comte de Northonbrelande y fut, et le comte de Nortinghen et grand foison de chevaliers et écuyers du North. Et fit le roi ce jour chevaliers : premier, le jeune comte de Pennebroch, messire Robert Branbre, messire Nicolas Tinfort et messire Adam François. Et les fit le roi à celle entente que il vouloit, la fête passée, aller vers Redinghes, vers Asquesuffort et vers Conventré, pour chercher toute la frontière et punir les mauvais, ainsi qu’il fit, qui s’étoient rebellés à l’encontre de lui, en la manière que il avoit fait en la comté de Kent, d’Exsexes, de Souxsexes, de Beteforde et de Cantebruge.

À celle fête et solennité, qui fut le jour Notre-Dame en mie août à Wesmoustier, après dîner ot grands paroles et grosses du duc de Lancastre au comte de Northonbrelande ; et lui dit : « Henry de Percy, je ne cuidois mie que vous fussiez si grand en Angleterre que vous osissiez faire fermer ni clorre les cités, les villes et les chastels à l’encontre du duc de Lancastre. » Le comte s’humilia en parlant et dit : « Monseigneur, je ne dénie pas ce que le chevalier en fit, car je ne pourrois ; et ens ou commandement que j’avois du roi monseigneur que véez-là, il m’étoit très étroitement enjoint et commandé, sur mon honneur et sur ma vie, je ne laissasse ni fisse laisser nul homme, seigneurs ni autres, ens ès cités, villes et chastels de Northonbrelande, si il n’étoit héritier des lieux. Et le roi, s’il lui plaît, et les seigneurs de son conseil me en peuvent excuser ; car bien savoient que vous étiez en Escosse : si vous dussent bien avoir réservé. » — « Comment, répondit le duc, comment, comte de Northonbrelande, dites-vous que il convient réservation sur moi qui suis oncle du roi, et qui ai à garder mon héritage autant bien et mieux que nul des autres n’a après le roi, en Angleterre, et qui, pour les besognes du royaume, étois allé en ce voyage ? Celle réponse ne vous peut excuser que vous ne fissiez mal et contre mon honneur grandement ; et donnez exemple de soupçon de moi que je voulois faire ou avois fait aucune trahison en Escosse, quand à mon retour on me clooit les villes de monseigneur, et celle principalement où mes pourvéances étoient. Pourquoi je dis que vous vous acquittâtes mal ; et pour le blâme que vous m’en faites, et pour m’en purger en la présence de monseigneur que vez-là, je en jette mon gage ; or le levez sus. » Adonc saillit avant le roi et dit : « Bel oncle de Lancastre, tout ce qui en fut fait je l’avoue, et retenez votre gage et votre parole, car je excuse le comte de Northonbrelande, et parole pour lui : que voirement et destroitement nous lui avons enjoint et commandé que il tînt clos portes et marches et les frontières d’Escosse. Et vous savez que notre royaume a été en si grand péril et en si grand trouble que, quand vous étiez par delà, il ne nous pouvoit pas de tout souvenir. Ce fut la faute du clerc qui escripsit les lettres, et la négligence de notre conseil ; car, au voir dire, vous dussiez bien être réservé. Si vous prie et vueil que vous mettez ces mautalens jus ; car je m’en charge et en décharge le comte de Northonbrelande. » Adonc s’agenouillèrent devant le duc, le comte d’Arondel, le comte de Sallebery, le comte d’Asquesuffort, le comte de Staffort et le comte de Devensière et lui dirent : « Monseigneur, vous oyez comment amiablement et loyalement le roi en parole, et vous devez bien descendre à ce que il dit et fait. » Le duc de Lancastre, qui étoit enflammé de ire, se tut, et puis pensa un petit, et fit les barons lever en eux remerciant, et dit : « Beaux seigneurs, il n’en y a nul de vous, si la cause pareille lui fût advenue, ainsi comme à moi, qui n’en fût courroucé ; et pour ce que le roi le veut, c’est droit que je le veuille. » Là fut faite la paix du duc de Lancastre et du comte de Northonbrelande, par le moyen du roi d’Angleterre et des barons du pays, qui en prièrent.

Au second jour après, le roi d’Angleterre alla en son voyage, ainsi que dessus est dit, ens ès contrées dessus dites ; et chevauchoit bien à cinq cents lances et autant d’archers qui le suivoient sur côtière. En ce voyage fit le roi plusieurs justices des mauvais qui contre lui s’étoient élevés et rebellés. Nous nous souffrirons à parler du roi d’Angleterre, et parlerons du comte de Cantebruge son oncle, et conterons comment il vint en Portingal et de la infortune qu’une partie de ses gens eurent sur mer.