Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CXXV

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 173-174).

CHAPITRE CXXV.


Comment Piètre du Bois s’efforça de rompre tout ce qui étoit traité pour la paix, et de troubler le comte de Flandre et la ville de Gand.


Vous savez que on dit communément : « S’il est qui fait, il est qui dit. » Piètre du Bois, qui ne se sentoit mie assur de sa vie, avoit envoyé ses espies pour ouïr et rapporter des nouvelles. Ceux qui y furent envoyés rapportèrent ce que on disoit parmi la ville, et que ces paroles venoient pour certain de Gisebrest Grutte et de Simon Bete. Quand Piètre entendit ce, si fut tout forcené ; et happa tantôt celle chose pour lui, et dit : « Si nul est corrigé de celle guerre, je le serai tout premier ; mais il ne ira pas ainsi que nos seigneurs qui ont été au parlement cuident. Je ne vueil pas encore mourir ; la guerre n’a pas encore tant duré comme elle durera : encore n’est pas mon bon maître, qui fut Jean Lyon, bien vengé. Si la chose est bien entouilliée, encore la vueil-je mieux entouillier. » Que fit Piètre du Bois ? je vous le dirai.

Ce propre soir, dont à lendemain le conseil des seigneurs de Gand devoit être en la halle du conseil, et le rapport fait des dessus dits qui avoient été au parlement à Harlebecque, il s’en vint en l’hôtel Philippe d’Artevelle, et le trouva qu’il musoit et pensoit, en soi appuyant sur une fenêtre en sa chambre. La première parole que il lui demanda fut telle : « Philippe, savez-vous nulles nouvelles ? » — « Nennil, dit Philippe, fors tant que nos gens sont retournés du parlement de Harlebecque ; et demain nous devons ouïr en la halle ce qu’ils ont trouvé. » — « C’est voir, dit Piètre du Bois ; mais je sçais jà ce qu’ils ont trouvé, et comment le traité se portera ; car ils s’en sont découverts à aucuns de mes amis. Certes, Philippe, tous les traités que on fait et que on peut faire, c’est toujours sur nous et sur nos têtes : si il y a nulle paix entre monseigneur et la ville, sachez que vous et moi et le sire de Harselle, et tous les capitaines dont nous nous aidons et qui maintiennent la guerre, en mourront premièrement ; et les riches hommes s’en iront quittes, et nous veulent bouter en ce parti et eux délivrer ; et ce fut l’opinion de Jean Lyon, mon maître. Toujours encore a notre sire le comte ses marmousets de-lez lui, Gisebrest Mahieu et ses frères, et le prévôt de Harlebecque qui est du lignage, et le doyen des menus métiers qui s’enfuit avecques eux. Si nous faut bien aviser sur ce. » — « Et quelle chose en est bonne à faire, » dit Philippe ? Répondit Piètre : « Je le vous dirai : il nous faut signifier à tous nos capitaines que ils soient demain tous appareillés, et viennent au marché des vendredis, et se tiennent de-lez nous : nous entrerons en la halle, moi et vous, et cent des nôtres, pour ouïr ces traités. Du surplus laissez-moi convenir ; mais avouez mon fait, si vous voulez demeurer en vie et en puissance ; car, en celle ville et entre commun, qui ne se fait craindre il n’y a rien. » Philippe lui accorda. Piètre du Bois prit congé et s’en alla et envoya ses gens et ses varlets par tous les doyens et capitaines de dessous lui, et leur manda que à lendemain eux et leurs gens vinssent tous pourvus au marché des vendredis pour ouïr des nouvelles, Ils obéirent, car nul ne l’eût osé laisser ; et aussi ils étoient tous prêts et appareillés de mal faire.