Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre III

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Livre II. [1377]

CHAPITRE III.


Comment le duc d’Anjou vint à grand ost assiéger Bergerac ; de la prise du seigneur de l’Esparre ; et comment les Anglois cuidèrent gréver le dit duc d’Anjou.


Quand le duc d’Anjou vit que temps fut de partir de la cité de Toulouse, et que la greigneur partie de ses gens d’armes étoient venus et traits sur les champs, et par espécial le connétable de France en qui il avoit moult grand’fiance, il se partit de Toulouse[1] et se mit au chemin tout droit devers Bergerac. Et en étoit gardien et capitaine messire Perducas de la Breth ; et se tenoit en un châtel à une petite lieue de là que on appelle Moncuq, un moult bel fort. Tant exploitèrent les osts du duc d’Anjou que ils vinrent devant Bergerac ; et se logèrent à l’environ, au plus près de la rivière qu’ils purent, pour avoir l’aise de eux et de leurs chevaux. Là étoient avec le duc d’Anjou grands gens et nobles : premièrement messire Jean d’Armignac à grand’route, le connétable de France aussi à grand’charge, messire Louis de Xancerre, messire Jean de Beuil, messire Pierre de Beuil, Yvain de Galles, messire Morice Treseguidi qui jadis fut en Bretagne de la partie des François Bretons l’un des trente[2], messire Alain de Beaumont, messire Alain de la Houssoie, messire Guillaume de Montcontour, messire Pierre de Mornay, messire Jean de Vert, messire Baudouin Cremoux, Thibault du Pont, Elliot de Calais, et plusieurs autres bonnes gens d’armes en grandes routes. Si se descendirent, et se firent leurs logis sur ces beaux prés sur la rivière de Dordogne, et étoit grand’plaisance à regarder. Au plus près du logis du duc étoit logé le connétable de France. Si venoient souvent les compagnons qui désiroient les armes et leurs corps à avancer, escarmoucher aux barrières Si y en avoit du trait des blessés et des navrés, ainsi que en tels aventures les faits d’armes adviennent.

Au chef de six jours que le siége fut mis devant Bergerac, vinrent en l’ost du duc, en grand arroy et bien accompagnés de gens d’armes et de brigands[3], le sire de la Breth et messire Bernard de la Breth son cousin. Si y furent reçus à grand’joie, car l’ost en fut grandement renforcé. Au huitième jour du siége furent le duc d’Anjou et les capitaines en conseil comment on pourroit le plus tôt et le plus apertement gréver ceux de Bergerac. Si y eut là plusieurs paroles dites et devisées, et furent sur un état longuement que de assaillir la ville[4] ; et puis eurent nouvel conseil, que l’assaut leur pourroit trop blesser de leurs hommes, à petit de conquêt. Et se départit cil conseil sans avoir nul certain arrêt, fors que de tenir le siége ; car encore attendoit-on grands gens d’armes qui venoient de France, et par espécial le seigneur de Coucy.

  1. Les grandes chroniques, dites de France ou de Saint-Denis, placent le départ du duc d’Anjou au mois de juillet. Suivant l’histoire de Languedoc, ce prince se rendit en Poitou sur la fin du mois de juillet.
  2. Voyez ce combat, chapitre VII, livre Ier, partie 2e , page 293 du 1er  vol. de cette édition. Maurice ou Huet de Treseguidi n’est pas nommé en cet endroit ; mais les traditions le placent parmi les trente combattans opposés à Brandebourg capitaine de Ploërmel, et d’Argentré le cite aussi comme un de ces braves chevaliers.
  3. Soldats armés d’une brigantine.
  4. Et furent d’abord long-temps d’avis de donner un assaut à la ville.