Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre IX

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CHAPITRE IX.


Comment Chastillon sur Dourdogoe se rendit, et Sauveterre, Sainte-Bazile, Montségur et Auberoche.


La ville de Chastillon sur la Dourdogne étoit ville et héritage au captal de Buch, que le roi de France avoit tenu en prison à Paris. Le siége étant devant Chastillon, il y eschéy une très grand’famine, et à peine, pour or ni pour argent, on ne pouvoit recouvrer de vivres. Et convenoit les François sur le pays chevaucher douze ou quinze lieues pour avitailler l’ost, et encore alloient-ils et retournoient en grands périls ; car il y avoit plusieurs châteaux et garnisons angloises sur les frontières qui issoient hors et faisoient embûches sur eux ; et les attendoient aux détroits et aux passages ; et quand ils se véoient plus forts que les François fourrageurs n’étoient, ils leur couroient sus et les meshaignoient et occioient, et leur tolloient leurs vitailles ; pourquoi ils ne pouvoient ni osoient chevaucher fors à grands routes.

Tant fut le siége devant Chastillon, et tant fut contrainte par assaut et par engins, que ils ne se purent plus tenir et se rendirent, sauves leurs vies et le leur. Et s’en partirent toutes les gens d’armes qui dedans étoient et qui partir s’en vouloient, et s’en vinrent à Saint-Macaire où il y a forte ville et bon châtel. Quand Chastillon fut rendue, le duc d’Anjou en fit prendre la possession et saisine, et la féauté et hommage de toutes les gens, et y renouvela officiers, et y mit capitaine de par lui, un chevalier de Touraine, qui s’appeloit messire Jaquèmes de Mont-Martin. Au département de Chastillon ils jetèrent leur avis quelle part ils trairoient ; et fut avisé que ils s’en iroient devant Saint-Macaire ; mais il y avoit sur le pays, ainçois que ils pussent venir jusques là, aucuns petits forts qui n’étoient pas bons à laisser derrière pour les fourrageurs ; et s’en vinrent au département de Chastillon mettre le siége devant Sauveterre. Là vinrent autres nouvelles du seigneur de Rosem et du seigneur de Duras, que il n’étoit mie ainsi que on avoit rapporté ; voirement étoient-ils à Bordeaux, mais on ne savoit sur quel traité. Ces nouvelles s’épandirent en l’ost en plusieurs lieux, tant que le sire de Mucident et le sire de Langurant en furent informés et en parlèrent au seigneur de Coucy et à messire Pierre de Beuil, que ils voulsissent les chevaliers aider à excuser, et que c’étoit grand’simplesse de croire paroles volans si légèrement. Ils répondirent que ils le feroient volontiers, et en parlèrent au duc. Et le duc dit que il verroit volontiers tout le contraire de ce qu’il avoit ouï dire : si demeura la chose en cel état, et le siége devant Sauveterre.

La ville de Sauveterre ne les tint que trois jours ; car le chevalier qui sire et capitaine en étoit se rendit au duc, saufs son corps, ses hommes et tout le sien. Parmi tant, ils passèrent outre et vinrent devant Sainte-Bazile, une bonne ville fermée, qui tantôt se rendit et mit en l’obéissance du roi de France, et puis s’en vinrent devant Montségur ; et tantôt qu’ils y furent venus, ils l’assaillirent ; et point ne l’eurent de ce premier assaut. Si se logèrent et rafraîchirent une nuit. À lendemain de rechef ils se mirent en ordonnance pour assaillir ; et quand ceux de la ville virent que c’étoit acertes, si s’ébahirent et se conseillèrent entre eux. Finablement le conseil se porta que ils se rendroient, saufs leurs corps et leurs biens ; et ils furent ainsi reçus ; et puis chevauchèrent outre devant une autre bonne ville fermée qui siéd entre Saint-Macaire et la Riole, et a nom Auberoche ; et là furent-ils quatre jours ainçois qu’ils la pussent avoir. Si se rendirent par traité ceux de la ville et puis vinrent devant Saint-Macaire.