Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre X

La bibliothèque libre.
Livre II. [1377]

CHAPITRE X.


Comment la ville de Saint-Macaire se rendit françoise, et après le château.


Tous les jours monteplioit l’ost au duc d’Anjou, et lui venoient gens de tous côtés ; car chevaliers et écuyers qui se désiroient à avancer le venoient voir et servir. Si fut mis le siége devant Saint-Macaire, beau et fort et bien ordonné. Et vous dis que là dedans étoient retraits toutes manières de gens d’armes qui étoient partis des garnisons qui rendues s’étoient : si en étoit la ville plus forte et mieux gardée. Si y eut là plusieurs grands assauts et beaux, et faite mainte belle escarmouche devant la ville aux barrières. Adonc fut ordonné du duc d’Anjou et du connétable de France, le siége étant devant Saint-Macaire, que les capitaines et leurs routes chevauchassent le pays, les uns çà et l’autre là. Si se départirent gens d’armes de tous lez : premièrement le maréchal de France à grand’route, le sire de Coucy aussi à grand’route, Yvain de Galles à grand’route, messire Parcevaulx d’Aineval Normand, et Guillaume de Montcontour à grand’route. Si demeurèrent ces gens d’armes six jours sur les champs ; et prirent plusieurs villes et petits forts, et mirent tout le pays de là environ en leur subjection et en l’obéissance du roi de France : ni nul ne leur alloit au devant ; car le pays étoit tout vuide et dépourvu de gens d’armes de la partie des Anglois ; et s’en alloient les fuyans devers Bordeaux.

Quand ils eurent fait leur chevauchée, ils s’en retournèrent en l’ost. Ceux de Saint-Macaire connurent bien que ils ne se pouvoient longuement tenir que ils ne fussent pris ; et on leur promettoit tous les jours que si par force ils étoient pris, sans merci ils seroient tous morts : si se doutèrent de la fin, que elle ne leur fût trop cruelle ; et firent en secret traiter devers les François que volontiers ils se rendroient, sauve le leur et leurs biens. Les gens d’armes qui dedans Saint-Macaire étoient perçurent bien ce convenant ; si se doutèrent des hommes de la ville que ils ne fissent aucun mauvais traité contre eux. Si se trairent tantôt au châtel, qui est beau et fort et qui fait bien à tenir, et y boutèrent tout le leur, et encore assez du pillage de la ville. Adonc se rendirent ceux de Saint-Macaire et se mirent tous en l’obéissance du roi de France.

Nouvelles étoient venues au duc d’Anjou, très le siége étant devant Mont-Segur, que la duchesse sa femme étoit à Toulouse accouchée d’un moult beau fils[1]. Si devez savoir que le duc et tout l’ost en étoient tous lies, et les faits d’armes empris plus hardiment.

Sitôt que Saint-Macaire se fut rendu, on entra dedans la ville ; car là avoit beau logis et grand : si se aisèrent et rafreschirent toutes gens d’armes ; et bien trouvèrent de quoi, car la ville étoit bien pourvue. Si fut le châtel environné ; et mit-on engins devant qui ouniement jetoient pierres de faix ; et ce ébahit grandement ceux de la garnison.

Entrementes qu’on étoit là au siége, vinrent les vraies nouvelles du seigneur de Duras et du seigneur de Rosem, par deux hérauts qui les apportèrent, que ils étoient tournés Anglois. Dont dit le duc que, lui délivré de Saint-Macaire, il viendroit tout droit mettre le siége devant Duras. Et fit en cette instance fortement et fièrement assaillir ceux du châtel ; car il ne le vouloit mie laisser derrière. Ceux qui ens ou châtel étoient véoient que ils étoient assaillis de tous côtés et que nul confort ne leur apparoît, et bien savoient que le duc ni le connétable ne partiroient jamais de là si les auroient, ou bellement ou laidement : de quoi, tout considéré, ils se mirent en traité et rendirent le châtel, sauves leurs corps et leurs biens ; et furent avec tout ce conduits jusques à Bordeaux[2]. Ainsi fut Saint-Macaire, ville et châtel, François. Si en prit le duc d’Anjou la possession et saisine, et y établit capitaine et châtellain ; et puis se délogèrent toutes gens d’armes et prirent le chemin de Duras.

  1. La duchesse d’Anjou accoucha à Toulouse de Louis II d’Anjou, roi de Naples, le 7 (et non pas le 5) octobre 1377, lorsque son époux était occupé au siége de Monsegur.
  2. Le duc d’Anjou était au siége de Saint-Macaire le 2 septembre.