Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre LXXVIII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 125-126).

CHAPITRE LXXVIII.


Comment aucuns François et Anglois prirent armes en Bretagne, et comment aucuns Hainuiers et autres eurent volonté d’en faire.


Avenu étoit, très le jour et le terme que Gauvain Micaille et Janekin Kator firent fait d’armes devant le comte de Bouquinghen et les seigneurs, que avec le dit Gauvain et en sauf-conduit, pour voir les armes, aucuns chevaliers et écuyers de France étoient venus à Marcheaunoy, en la comté de Blois, et tant que messire Regnault de Thouars, sire de Puisance, un baron de Poitou, en prit parole au seigneur de Vertaing, et dit que volontiers il feroit fait d’armes à lui de trois coups de lance, de trois coups d’épée et de trois coups de hache. Le sire de Vertaing ne le voult mie refuser, mais les lui accorda ; et les voult tantôt faire et délivrer le chevalier, auquel dommage ni profit que ce fût ; mais le comte de Bouquinghen ne le voult, et commanda que adonc ils n’en fissent rien. Non pourquant les paroles des emprises d’armes demeurèrent au propos des deux chevaliers. Et telles paroles ou semblables eurent là ce jour à Marcheaunoy un écuyer de Savoie, qui s’appeloit le Bâtard de Clarens, à Édouard de Beauchamp, fils à messire Roger : mais toutes passèrent adonc ainsi, li uns comme li autres, et le Gallois d’Aunoy à messire Guillaume Clinton ; et messire Lyonnaulx d’Arraines à messire Guillaume Franc.

Quand le comte de Bouquinghen et les Anglois furent logés ens ès faubourgs de Nantes, si comme ci-dessus est dit, ces chevaliers et écuyers du côté des François étoient dedans Nantes : si requirent le sire de Vertaing et les autres de son lez, et firent requerre à ceux qui les avoient appelés d’armes, que devant Nantes ils les voulsissent délivrer[1]. Les capitaines de Nantes n’eurent mie conseil de ce faire ni accorder, et excusèrent leurs gens ; et disoîent que ils étoient en Nantes comme souldoiers et commis et ordonnés pour garder la ville. Ces paroles se passèrent, tant que le comte de Bouquinghen fut venu et arrêté à Vennes, et les autres seigneurs à Hainbont, à Camperlé et à Camper-Corentin, ainsi que vous le savez. Quand ils furent là arrêtés, messire Regnault de Thouars, messire le Barrois des Barres, messire Lyonnaulx d’Arraines et grand’foison de chevaliers et écuyers, s’en vinrent au Chastel-Jocelin, à sept lieues de Vennes, là où le connétable de France se tenoit et le comte de la Marche et grand’foison de chevaliers de France, qui volontiers les virent, et bellement les recueillirent. Adonc s’émurent les paroles devant le connétable, en remontrant comme ils avoient entrepris, tels et tels, faire faits d’armes aux Anglois. Le connétable oy volontiers ces paroles, et dit : « Envoyez devers eux, et nous leur donnerons sauf-conduit de faire fait d’armes, si ils veulent venir. » Si envoyèrent premièrement le Gallois d’Aunoy et messire Lyonnaulx d’Arraines à ceux où ils s’étoient ahers à faire fait d’armes, et de asseoir trois coups de glaives à cheval. Quand messire Guillaume Clinton et messire Guillaume Franc entendirent que ils étoient semons des François à faire fait d’armes, si en furent tous réjouis ; et en prirent congé au comte de Bouquinghen et aux barons d’Angleterre de y aller ; et y allèrent, et aucuns chevaliers et écuyers en leur compagnie ; et joutèrent moult vaillamment les Anglois et les François, et firent fait d’armes ainsi que ordonnance se portoit. Là furent requis de messire Regnault de Thouars, de Jean de Chastel-Morant et du Bâtard de Clarens, chacun son chevalier et son écuyer ; c’est à entendre, le sire de Vertaing, messire Jean d’Aubrecicourt et Édouard de Beauchamps. Les trois Anglois en étoient en grand’volonté et vouloient sur le sauf conduit du connétable aller à Chastel-Jocelin.

  1. Acquitter de leurs engagemens.