Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XVI

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CHAPITRE XVI.


Comment les Anglois poursuivoient les Escots pour les combattre ; et comment deux écuyers anglois furent pris par une embuche d’Escots.


Après le reconquêt du châtel de Bervich, le comte de Northombrelande et le comte de Nothingen, qui étoient les deux plus grands de l’ost, avisèrent, au cas que ils avoient toutes leurs gens mis ensemble, que ils chevaucheroient vers leurs ennemis, et si ils les trouvoient ils les combattroient : ainsi fut-il dit et devisé et ordonné en leur ost ; et se départirent tous à un matin et chevauchèrent le chemin de Rosebourch, tout contremont la rivière de Tuide. Quand ils eurent chevauché ensemble environ trois lieues, ils eurent nouvel conseil ; et avisèrent les deux comtes qui là étoient que ils enverroient une partie de leurs gens devers Mauros, une grosse abbaye de noirs moines qui siéd sur la rivière de Tuide et le département des deux royaumes, pour savoir s’il y avoit là nuls Escots embuchés ; et eux et leur plus grosse route chevaucheroient vers la Morlane ; et à faire ce chemin il ne pouvoit être que ils n’ouïssent nouvelles des Escots. Si fut ordonné capitaine de ces gens d’armes, qui devoient être trois cents lances et autant d’archers, un moult vaillant chevalier qui s’appeloit messire Thomas Mousegrave. Si se départirent ces gens d’armes de l’ost, et prirent le chemin les uns à dextre et les autres à senestre ; et chevauchèrent tant messire Thomas et son fils que ils vinrent à Mauros ; et là se logèrent de haute heure pour rafreschir eux et leurs chevaux et pour enquérir justement où les Escots étoient ; et envoyèrent deux écuyers des leurs, bien montés, pour chevaucher sur le pays à savoir du convenant des Escots, ni où ils se tenoient.

Ces deux écuyers, quand ils se furent partis de leurs maîtres, chevauchèrent tant que ils s’embatirent sur une embuche des Escots, desquels messire Guillaume de Lindesée étoit chef ; et se tenoit là à l’aventure pour ouïr nouvelles de Bervich et de son neveu Alexandre Ramesay en quel parti il pouvoit être des Anglois, et moult le désiroit à savoir ; et pouvoit avoir avecques lui environ quarante lances. Sitôt que les Anglois furent entrés en leur embuche ils furent happés ; dont le chevalier eut grand’joye, et leur demanda de quelle part ils venoient. Envis parloient pour découvrir le fait de leurs maîtres ; mais parler leur convint ; car le chevalier leur promit que il leur touldroit les têtes si ils ne disoient vérité de tout ce que on leur demanderoit. Quand ce vint au fort et ils virent que autrement ils ne pouvoient finer, ils parlèrent et recordèrent comment le châtel de Bervich étoit reconquis, et tous ceux qui dedans avoient été trouvés morts, excepté Alexandre Ramesay ; et après comment le comte de Northombrelande et le comte de Nothingen chevauchoient à mont la Tuide pour trouver les Escots, et comment messire Thomas Mousegrave et son fils, et messire Jean Asneton et messire Richard Baiton et bien trois cents lances et autant d’archers étoient logés et arrêtés en l’abbaye de Mauros. Et puis recordèrent comment de ces chevaliers ils étoient envoyés sur le pays, pour savoir justement où les Escots se tenoient. « Par ma foi ! répondit messire Guillaume de Lindesée, vous nous avez trouvés, mais vous demeurerez avecques nous. »

Lors furent traits d’une part, et renchargés aux compagnons sur les têtes que bien ils les gardassent ; et tantôt il fit partir un homme d’armes de sa route et lui dit : « Chevauchez devers nos gens, et leur dites tout ce que vous avez ouï et le convenant des Anglois ; et je me tiendrai ci jusques au soir pour savoir si autres nouvelles nous viendront. » Cil homme d’armes se partit, et chevaucha tant que il vint en un gros village outre la Morlane, que on dit Houdebray, et siéd sur la Tuide entre les montagnes ; et là a grand’prairie et bon pays et gras ; et pour ce s’y tenoient les Escots. Sur le soir vint là l’écuyer et trouva là le comte de Douglas, le comte de Moret, le comte de Surlant, messire Arcebault Douglas et les autres. Sitôt que il fut venu on sut bien que il apportoit nouvelles : si fut mené devers les seigneurs, auxquels il recorda toute l’affaire, ainsi que vous avez ouï.