Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XVII

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CHAPITRE XVII.


Comment les Anglois qui avoient pris le château de Bervich furent par les Escots déconfits, et y fut pris prisonnier messire Thomas Mousegrave.


Quand les chevaliers Escots entendirent que le châtel de Bervich étoit repris des Anglois, si furent grandement courroucés ; mais ce les réconforta que messire Thomas Mousegrave et les chevaliers et écuyers dessus la rivière de Hombre étoient logés à Mauros assez en jeu parti. Si ordonnèrent que sur ces nouvelles ils se départiroient de là, et iroient déloger leurs ennemis et reconquérir aucune chose de leurs dommages. Si s’armèrent, et sellèrent leurs chevaux, et se départirent tout de nuit de Houdebray, et chevauchèrent devers Mauros à l’adresse ; car bien connoissoient le pays ; et furent là venus environ mi-nuit. Mais il commença à pleuvoir une pluie si grosse et unie, et monta un vent si froid qui les frappa parmi les visages, qu’il n’y avoit si fort qui ne fût si battu de pluie et de vent que à peine pouvoient-ils tenir leurs chevaux ; et les pages, de froid et de mal-aise, ne pouvoient porter les lances, mais les laissoient cheoir ; et se déroutoient l’un de l’autre et perdoient leur chemin. Adonc s’arrêtèrent les guides par le commandement du connétable, tous cois à l’encontre d’un grand bois, parmi où il les convenoit passer ; car aucuns chevaliers et écuyers et bien usés d’armes qui là étoient disoient que ils chevauchoient follement, et ce n’étoit mie état de chevaucher ainsi par tel temps et à telle heure ; et que plus y pouvoient perdre que gagner. Si se quatirent et esconsèrent eux et leurs chevaux dessous chênes et grands arbres, tant que le jour fut venu ; et les autres qui tous engelés étoient et tous hors mouillés faisoient grands feux pour eux ressuer et réchauffer ; mais ainçois que ils pussent venir au feu ils eurent trop de peine ; et toutefois de fusils[1] et de secs bois ils en firent tant que ils en eurent assez en plusieurs lieux. Et dura cette pluie et cette froidure jusques à soleil levant ; et toujours pluvina jusques à prime.

Entre prime et tierce se commença le jour à réchauffer et le soleil à luire et à monter, et les aloës[2] à chanter. Adonc se trairent ensemble les capitaines pour conseiller quel chose ils feroient ; car ils avoient failli à leur entente à venir de nuit à Mauros. Si fut conseillé que ils se déjeuneroient là sur les champs de ce que ils avoient, et se rafraîchiroient eux et leurs chevaux et envoieroient leurs gens fourrager sur leur pays. Ainsi fut fait comme il fut ordonné ; et se partirent la greigneur partie de leurs varlets fourrageurs, et s’épardirent sur le pays et ens ès villages voisins. Si rapportèrent les plusieurs foins et avoines pour leurs chevaux et vivres assez pour leurs maîtres.

D’autre part les fourrageurs anglois qui en l’abbaye de Mauros étoient logés, pour trouver vivres, avoient ce matin chevauché si avant que les aucuns fourrageurs anglois et escots se trouvèrent ; et ne l’eurent mie les varlets anglois d’avantage ; mais en y eut en ce rencontre des morts et des blessés, et des battus, et des fourrages perdus, et tant que les nouvelles en vinrent à messire Thomas Mousegrave et aux chevaliers d’Angleterre qui à Mauros étoient. Donc dirent-ils que les Escots n’étoient pas loin de là : si sonnèrent leurs trompettes et firent enseller leurs chevaux, et s’armèrent et eurent conseil de eux tous traire sur les champs. Aussi furent avisés de eux les chevaliers d’Escosse par leurs fourrageurs ; si se hâtèrent du plus tôt qu’ils purent de rafraîchir eux et leurs chevaux, et puis eux mettre en ordonnance de bataille au long de ces bois et tout à la couverte. Si étoient bien sept cents lances et deux mille d’autres gens, que nous appellerons d’ores-en-avant gros varlets, à lances, à haches et à bâtons d’armes ; et disoient ainsi messire Arcebault Douglas et le comte de Douglas son cousin : « Et ne peut nullement demeurer que nous ne ayons besogne ; car les Anglois chevauchent ou chevaucheront à cette remontée. Si soyons sur notre garde et les combattons si nous les véons à jeu parti. » Adonc ordonnèrent deux de leurs hommes d’armes à courir pour découvrir les Anglois et savoir leur convenant ; et se tinrent tous cois en leur embûche.

  1. Charbon tendre, d’où fusin.
  2. Alouettes.