Les Cinq/II/27. Les travaux de Savta

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XXVII

LES TRAVAUX DE SAVTA


Il était convenu entre cette bonne Savta et son estomac qu’un déjeuner de sandwichs, ne pouvait leur suffire : aussi en rentrant à l’hôtel, après la visite rendue à M. Chanut en compagnie de Charlotte, Savta se fit-elle servir dans sa chambre un repas plus convenable. Elle « avait besoin. » Elle mangea beaucoup, longtemps et avec plaisir. Après quoi, elle fit sa vraie sieste, l’autre n’étant qu’une sieste de sandwichs.

Savta n’était pourtant pas une Allemande, mais la Prusse commençait déjà à protéger Bucharest, et l’histoire naturelle constate que les dromadaires eux-mêmes deviennent gloutons sous le protectorat prussien.

Savta fut éveillée par Mlle d’Aleix, qui la pria de l’accompagner.

— Encore ! dit-elle. Princesse, vous ne me laisserez donc pas un instant de repos aujourd’hui !

Brave femme au fond, elle demanda un potage et quelques tranches de pâté avec un blanc de volaille, le dessert et le café : après quoi elle se déclara résignée à partir.

Mlle d’Aleix, comme le matin, la fit quitter l’hôtel à pied.

Au coin de la rue du Bac, devant les Missions Étrangères, une voiture fermée, attelée de deux forts chevaux, attendait. Savta, déjà en nage, jeta sur ce véhicule un regard de convoitise.

— C’est pour nous, dit Charlotte, mais nous n’y serons pas seules.

La portière s’ouvrit et montra Édouard Blunt.

— Le blessé de la Chaussée des Minimes ! fit Savta, qui recula scandalisée : il est donc guéri ?

— Regardez-le bien, dit Mlle d’Aleix.

Savta regarda.

— Et saluez votre jeune maître, ajouta Charlotte : celui-là est le comte Domenico de Sampierre, prince Paléologue.

Savta salua de confiance, mais l’idée lui vint qu’elle accomplissait peut-être une troisième sieste, embellie par un rêve.

Elle n’eut pas le temps de se pincer pour voir si elle était bien éveillée. Sur l’ordre de Charlotte, elle monta dans la voiture qui s’ébranla aussitôt et partit au galop.