Les Compagnons du trésor/Partie 2/Chapitre 09

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Dentu (Tome IIp. 104-119).
Deuxième partie


IX

La lettre de Vincent Carpentier


Il y avait encore dans Paris nombre de gens que le nom du colonel Bozzo-Corona, lu à l’improviste, aurait vivement impressionnés. Ce nom n’était pas pour Irène Carpentier celui d’un inconnu. Elle avait déjà dix ans quand Francesca Corona était apparue comme une souriante providence dans le pauvre logis de son père.

À dix ans, on garde ses souvenirs. Irène savait bien qu’à dater de ce jour l’aisance était entrée chez son père.

L’aisance, oui, mais le bonheur ? Non, certes. Ç’avait été le signal de la séparation et la fin de la famille, heureuse dans sa médiocrité. Reynier était parti pour l’Italie. Elle-même, Irène, avait été placée dans la pension des Dames-de-la Croix.

En somme, tout cela composait ce qu’on appelle d’ordinaire un grand bienfait. C’était de l’argent donné, sans parler de l’aide puissante qui, à la même époque, lança tout à coup Vincent dans le monde des belles affaires et fit du pauvre maçon un architecte renommé.

Pourquoi donc avons-nous pu employer cette locution glacée ; « Pour Irène, le nom du colonel Bozzo n’était pas celui d’un inconnu ? »

C’est qu’Irène, étrangère au colonel, et n’ayant jamais été en rapport personnel qu’avec Francesca Corona, n’avait pu que recevoir les impressions de son père ; or, nous savons de quel genre particulier était la reconnaissance vouée au colonel par Vincent Carpentier.

Irène avait aimé de tout son cœur Francesca, sa véritable bienfaitrice, mais Francesca était morte. Elle gardait à la belle et malheureuse comtesse Corona un tendre souvenir ; pour la mémoire de ce vieillard dont son père parlait avec crainte, elle ne pouvait avoir qu’un vague et froid respect.

D’un autre côté, Vincent, tout en fréquentant ce monde où le colonel lui avait trouvé ses premiers clients, en avait éloigné sa fille de parti pris.

Peut-être devinait-il déjà ce qu’était ce monde, et rien ne lui était plus facile que d’en isoler la jeune élève du couvent de la Croix, qui restait occupée à ses études.

Irène n’avait jamais eu aucune relation ni avec les commensaux de l’hôtel Bozzo-Corona, ni avec les habitués du salon de la comtesse de Clare.

Nous préférons le dire franchement : l’attention qu’elle donnait aux lettres d’or plaquées sur la tombe du colonel ne se rapportait point au passé. Depuis quelques jours, l’inscription, frappée à une certaine heure, — l’heure du rendez-vous, — par les rayons du couchant, lui servait de cadran solaire, et c’était tout.

Cela devait durer quelques jours encore, puis, la diminution des heures diurnes amenant un écart trop grand, elle allait oublier la tombe, comme on cesse d’interroger une horloge arrêtée.

Évidemment Irène ne songeait ni à l’une ni à l’autre des deux incarnations du colonel Bozzo-Corona. L’illustre philanthrope de la rue Thérèse lui était indifférent ; elle ne connaissait pas le Père ou le Maître des Habits-Noirs.

Il est probable qu’elle n’avait jamais ouï parler de la ténébreuse association dont la mort du colonel Bozzo avait inauguré la décadence.

Car Paris respirait depuis quelque temps. Le crime ne s’arrêtait pas : c’est là un commerce qui ne chôme guère, mais du moins n’était-il plus bruit de ces méfaits en quelque sorte insaisissables, qui glissaient comme des serpents hors de la main des juges et défiaient l’habileté proverbiale des Ulysse de la Sûreté.

L’association du Fera-t-il jour demain avait pris ses quartiers de repos en portant le deuil de son chef.

Il était mort, ce général que ses lieutenants, jaloux, mais subjugués, avaient regardé si longtemps comme immortel. Il était mort, ce démon qui se vantait lui-même d’être éternel comme le MAL.

Il était mort dans son lit, bourgeoisement et paisiblement, suffoqué par une dernière quinte de toux, ni plus ni moins qu’un enfant, victime de la coqueluche.

L’éloquence avait parlé sur sa tombe ; de nobles plumes s’étaient inclinées devant sa mémoire, et il avait eu jusqu’à ce suprême honneur d’être insulté par Caliban-pamphlélaire, le maraud qui fourbit la gloire avec une poignée de boue.

Il faut cela chez nous pour donner le dernier poli à la renommée.

Donc, pour Paris honnête qui se compose de vous, de moi et de tout le monde (méfiez-vous !) le juste dormait enveloppé dans le linceul des oraisons funèbres.

Pour cet autre Paris, nocturne capitale du vol et de l’assassinat, forêt invisible dont les loups ont leurs repaires on ne sait où, le diable était retourné en enfer. Cet autre Paris existe, quoi qu’on en dise. Il a sa poésie et ses légendes comme il a ses grands hommes et ses dieux.

Dans ce Paris, la mémoire du colonel Bozzo restait haute comme une épopée. Et de même qu’après le dernier jour de Charlemagne ou de Napoléon, l’espoir restait de les voir tout à coup apparaître, soulevant d’une épaule puissante le marbre du sépulcre, de même les anciens sujets du roi-mystère, les enfants du Père à tous, attendaient avec une confiance superstitieuse la résurrection de leur noir messie.

On l’attendait d’autant mieux qu’une rumeur circulait parmi ce peuple. On disait que le colonel avait emporté le secret des Habits-Noirs, et les Maîtres qui avaient formé autour de lui pendant des années, une sorte de conseil des ministres, ne savaient où était enfoui le fameux trésor, grossi depuis les deux tiers d’un siècle, par la réussite de tant de crimes.

Irène, cependant, restait cachée derrière la bordure fleurie qui ornait sa fenêtre et regardait de tous ses yeux la femme élégante et belle qu’elle avait désignée ainsi « Mme la comtesse. »

Il y avait dans ce regard des inquiétudes et déjà de la jalousie.

Le voisin qui venait d’ouvrir ses persiennes était sans doute ce beau cavalier Mora, qu’elle attendait chaque soir à la même heure, et dont les lettres d’or de la tombe voisine, brillant sous les derniers rayons du soleil couchant, lui annonçaient la visite.

Il y avait du grand seigneur dans cet homme dont l’âge, dès la première vue, semblait un problème assez difficile à résoudre : du grand seigneur de roman ou de comédie.

On a connu beaucoup de ténors italiens, doués de cette beauté bigarrée, noir sur blanc, qui fait tant de ravages dans les avant-scènes de nos théâtres.

Un soir, dans un cercle, où j’étais, par hasard, entouré de vraies baronnes, on jouait à faire le portrait de Don Juan. Plusieurs de ces dames le voyaient moitié neige, moitié encre.

Et de fait, dans ce type splendide des mangeurs de femmes, il y a du héros, mais aussi du coiffeur.

Quant à cette circonstance qu’Irène, pauvre ouvrière, pût connaître Mme la comtesse, il n’y avait là rien que de très simple. Le riche écusson brodé qu’Irène était en train d’achever sur son métier lui avait été commandé par la comtesse elle-même, qui l’avait choisie sur sa réputation d’habileté, pour exécuter ce meuble.

Irène avait vu Mme la comtesse deux ou trois fois seulement, en rapportant à son hôtel les pièces achevées.

Il n’y avait assurément rien d’étonnant non plus à ce qu’une femme du faubourg Saint-Germain vînt prier sur la tombe d’un vieillard généreux qui avait appartenu au très grand monde, et pourtant Irène fut surprise, car, depuis qu’elle habitait le pavillon Gaillaud, elle n’avait jamais vu personne accomplir ce pieux pèlerinage.

À Paris, quand nulle passion politique ne s’en mêle, c’est de très loin qu’on honore les reliques des saints.

Irène avait tourné son regard vers la comtesse tout uniment pour voir si cette dernière avait aperçu le beau cavalier. Entre femmes on se devine.

La comtesse, immobile et penchée, semblait en prières.

Seulement sa prière ne dura pas longtemps.

Quand elle se redressa, ce fut pour darder encore au retour du pavillon ce même regard perçant et rapide.

Mais dans l’intervalle les persiennes avaient roulé sans bruit sur leurs gonds et désormais Irène seule pouvait voir, entre leurs battants demi-fermés, la figure du cavalier qui lui souriait toujours.

Une nuance rosée monta aux joues de la jeune fille. Les persiennes, poursuivant leur mouvement, se fermèrent tout à fait.

Mme la comtesse drapa sur ses épaules les plis légers de son châle de dentelle et s’éloigna sans même accorder un regard à la fenêtre d’Irène.

— Elle ne m’a pas vue, pensa celle-ci, au moment où la comtesse disparaissait derrière les feuillages.

Elle ajouta sans la moindre amertume :

— Sait-elle seulement que c’est ici la maison de sa brodeuse ?

Puis elle dit encore en ramenant ses yeux vers la fenêtre aux persiennes closes :

— Il va venir…

Il y avait en elle une agitation singulière. Elle ne brodait plus, et son oreille tendue cherchait à surprendre le bruit de pas qu’elle attendait dans le corridor.

Dans le corridor, aucun bruit de pas ne se faisait.

Au contraire, Irène entendit marcher au dehors, probablement dans le chemin des Poiriers, car on ne voyait plus personne dans le cimetière.

Une voix contenue dit :

— De ces fenêtres-là, on est aux premières loges !

Irène fit un brusque mouvement pour se lever et jeter un coup d’œil sur le chemin, mais elle s’arrêta, soit frayeur instinctive, soit plutôt que, derrière les persiennes fermées, elle devinât le regard du cavalier Mora fixé sur elle.

Le cavalier pouvait être là, en effet, mais pourquoi Irène aurait-elle eu frayeur de ceux qui passaient dans le chemin ?

Maintenant que le soleil avait fait son office en caressant les lettres d’or du nom de Bozzo, le jour allait baissant ; j’ai peut-être oublié de vous dire que les derrières de la rue des Partants, et généralement les environs du Père-Lachaise ne forment pas le quartier le mieux gardé de Paris.

Irène voulut reprendre sa broderie, mais la voix qui avait parlé tout à l’heure s’était rapprochée.

On eût dit qu’elle chuchotait maintenant dans l’étroite cour plantée de jeunes marronniers, qui séparait le pavillon Gaillaud du chemin.

Irène prêta l’oreille attentivement et saisit quelques mots qu’elle assembla ainsi :

— Du premier étage et même du second, rien ; les arbres empêchent de voir. Au troisième, il n’y a que deux chambres de louées : celle de la brodeuse et celle de l’Italien là-haut, qui a les persiennes fermées. Aux greniers, rien : les lucarnes donnent sur les petits jardins.

C’était assurément quelqu’un qui connaissait bien la maison.

Mais que pouvait-on voir de la chambre de la brodeuse et de la chambre de l’Italien ?…

La cloche de clôture du cimetière tintait dans le lointain, du côté de Charonne. Bientôt, une autre cloche sonna tout près du mur longeant le chemin des Poiriers, et on vit passer dans cette espèce de clairière qui dégageait la tombe du colonel Bozzo un gardien qui disait : « On ferme. »

Aussitôt que ce gardien eut disparu, deux hommes sortirent avec précaution des massifs groupés à droite de la tombe, tandis qu’un troisième se montrait derrière la table de marbre blanc.

Le jour avait tellement baissé qu’on ne pouvait distinguer les traits de ces hommes.

Leur costume n’avait rien de remarquable, en mal ni en bien, et pourtant leur aspect fit naître dans l’esprit d’Irène l’idée que, tout à l’heure, Mme la comtesse, seule et si près d’eux dans ce coin reculé, venait de courir un danger.

Les paroles entendues naguère n’avaient certes pas été prononcées par eux, car la tombe était éloignée d’une centaine de pas pour le moins ; mais je ne sais pourquoi, dans la pensée d’Irène, leur présence se rapportait aux paroles entendues.

Les trois hommes s’éloignèrent, mais non pas du même côté que le gardien.

Irène restait immobile et toute pensive.

— Comme il tarde ! murmura-t-elle tout à coup en remarquant l’ombre épaissie autour d’elle. Il a peut-être entendu, lui aussi ! C’est sans doute un danger nouveau. Il y a tant d’ennemis autour de lui !

Son charmant visage prit une expression de tristesse.

Puis sa rêverie tournant encore une fois et revenant aux objets qui l’avaient récemment frappée, elle ajouta en prenant la lettre sur son métier :

— C’est mon père… c’est mon père qui me met ces idées-là dans l’esprit. Je finirai pour avoir peur de mon ombre !

Le contact de la lettre lui donna un petit frisson.

— Pauvre père ! dit-elle encore, il voit des dangers partout, et des crimes ! Cette histoire qu’il recommence toujours et qu’il entame chaque fois comme s’il dévoilait un grand secret, elle est si confuse !… mais si terrible ! Est-elle vraie, cette histoire ? Elle doit être vraie, et c’est ce qui a porté le dernier coup à sa raison. Il faut bien qu’il y ait quelque chose, puisqu’il a tout abandonné, puisqu’il a brisé sa carrière pour s’enterrer vivant dans ces noirs souterrains de Stolberg.

Dans la demi obscurité, ses yeux essayaient de déchiffrer l’écriture serrée de la lettre.

Elle parvenait à lire surtout parce qu’elle avait déjà lu.

Dans toutes ses lettres, Vincent Carpentier, dont le cerveau était évidemment malade, recommençait le même récit.

Irène lisait :

« … Je vais enfin te dire pourquoi je suis un mort. J’avais vu le petit-fils mettre son couteau dans la poitrine de l’aïeul, je connaissais, pour mon malheur, le secret du démon. Je dis à Reynier de me retenir une place aux Messageries : c’était la troisième place que je retenais. Je cherchais à donner le change. Pendant qu’il était aux Messageries, je m’enfuis avec ses habits. Fuir ! c’est à peine si je pouvais marcher. Les cordes étaient entrées si avant dans ma chair ! Et ma tête était lourde comme si on l’eût remplie d’or… »

— Toujours cette pensée de l’or ! fit Irène en s’interrompant. J’aurais voulu revoir ce tableau qui était dans l’atelier de Reynier et en face duquel Reynier devina pour la première fois la maladie du pauvre père : ce tableau qui représentait un fils assassinant son père dans une cave qui contenait un trésor… On dirait que c’est ce tableau qui est la folie de mon père.

Elle lut encore :

« … C’était du feu qui était dans l’air. Le ciel était couleur d’or, et de plomb, et de sang ! La voiture de l’assassin passa sur la route dans un nuage de poussière. Et l’orage éclata, une tempête toute pareille à celle du récit de Reynier dans l’île de Corse. Je la reconnaissais bien, la tempête, et je rencontrai la maison déserte avec la vieille femme, Bamboche ivre d’eau-de-vie, et ce boule-dogue à figure humaine, Coyatier, le Marchef : toute l’aventure de Reynier, toute ! Seulement, on ne m’avait pas raconté le parricide : je l’avais vu de mes yeux… »

Irène passa ses doigts sur son front.

— La folie se gagne, murmura-t-elle : je deviens folle à vouloir deviner cette énigme ! Reynier en savait-il plus long que moi ? Quand nous allâmes à Stolberg, le père lui parla un peu plus qu’à moi… Mais Reynier ne me cachait rien en ce temps-là… S’il avait su, il aurait parlé… Pauvre Reynier !… Qu’il soit bien heureux avec celle qu’il a choisie !

Il est un accent particulier pour les paroles qu’on prononce dans le but de se tromper soi-même.

Irène n’y voyait plus, mais elle lisait encore moitié en devinant, moitié par souvenir :

« … C’était vers cette maison isolée que se dirigeait la voiture de l’assassin quand je l’avais rencontrée sur la route. Il venait là commander un coup de couteau. Le coup de couteau était pour moi. À travers la porte, j’entendis le sinistre ouvrier qui aiguisait son outil sur une meule… Une fois, dans le midi de la France, du temps que je cherchais la santé pour ma pauvre Irène, la première, ta mère, un malheureux s’était réfugié chez nous.

« Les gendarmes le poursuivaient.

« C’était un ancien soldat d’Afrique ; il avait tué sa femme dans un accès de jalousie. Il portait encore son uniforme.

« Cet homme m’avait fait horreur, d’abord, il se vantait de son crime, mais ma première Irène était comme toi ; son âme voyait tout, elle me dit : «  Celui-là est un pauvre misérable que l’amour a aveuglé ; il se vante, mais il pleure. »

« C’était vrai. Il y a des créatures dont les baisers sont funestes comme la morsure d’un chien enragé.

« L’homme avait été un vaillant soldat. On lui avait broyé le cœur. Nous le gardâmes et nous le soignâmes. Quand il nous quitta, il dit à Irène : « Ce que vous avez fait pour moi, peut-être que je le rendrai à ceux que vous aimez. »

« … C’était cet homme-là, ma fille, qui tournait la meule dans la maison isolée, et qui aiguisait le couteau qui devait faire la fin de moi, pendant que la vieille femme ivre grondait et chantonnait, pendant que la tempête hurlait autour de mon corps. Car bientôt je ne valus pas mieux qu’un cadavre. Je perdis mes sens, couché dans une flaque d’eau, la tête sur la pierre du seuil.

« … Quand je m’éveillai, j’étais dans le lit de Coyatier dit le Marchef, qui veillait à mon chevet. Il m’avait reconnu après tant d’années. La vieille était garrottée avec des cordes dans un coin. Il me dit : « J’ai souvent pensé à votre ange de femme. Je parie qu’elle est morte. Celles-là ne restent jamais bien longtemps sur la terre. »

« — Est-ce donc bien vous ? demandai-je.

« — Oui ; et vous auriez mieux fait de me laisser crever comme un chien, autrefois… Elle est morte, n’est-ce pas ? Les mauvaises durent, les bonnes s’en vont. C’est égal, je lui ai fait une promesse, je vais la tenir… »

La lettre s’échappa des mains d’Irène. La nuit était presque complète.

— Il n’y a pas de folie là-dedans, murmura-t-elle. Et pourtant c’est le fait d’un fou d’écrire toujours, toujours la même histoire dans dix lettres différentes…

Elle s’interrompit en tressaillant.

— Mais comme Julian tarde, s’écria-t-elle. Il y a quelque chose. J’ai peur désormais dans cette maison. Je veux le prévenir, car le danger est pour lui bien plus que pour moi. En bas, tout à l’heure, ces voix parlaient de la fenêtre aux persiennes fermées. C’est sa fenêtre…

Tout à coup elle se prit à écouter.

Un bruit de pas se faisait entendre dans le corridor.

Irène se leva, transfigurée par une joie soudaine.

— Le voilà ! pensa-t-elle. Comme je suis enfant ! Quand je reçois les lettres du pauvre père, je vois partout des dangers…

Elle riait franchement de sa frayeur. On frappa.

Elle dit d’une voix qui tremblait encore un peu, mais c’était de bonheur.

— Entrez !

En même temps, elle marcha vers la porte qui allait donner passage à ce beau cavalier Mora, si impatiemment attendu.

Mais quand la porte s’ouvrit, Irène recula stupéfaite.

Les dernières lueurs du crépuscule éclairaient, sur le seuil cette femme élégante et belle, qui s’était agenouillée naguère devant la tombe du colonel Bozzo.

— Madame la comtesse de Clare ! chez moi ! s’écria Irène.

— Je croyais m’être trompée, répliqua la nouvelle venue, en poussant la porte qu’elle referma derrière elle. Bonsoir, ma chère enfant. Je savais votre adresse, mais il y a loin de la rue des Partants jusqu’ici, et j’ai cru que j’allais m’égarer en chemin.