Les Contes de ma mère l’Oye avant Perrault/Introduction

La bibliothèque libre.


INTRODUCTION

I



Mon intention n’est pas de donner au public un simple recueil de contes, encore moins de lui présenter un pur travail d’érudition sur un sujet qu’il est de mode aujourd’hui de traiter au point de vue philologique et ethnographique. Je laisse à MM. C.-A. Walckenaer, Alfred Maury, Charles Giraud, etc., le soin de chercher d’où viennent les fées, les ogres et la Mère l’Oye elle-même ; je ne veux pas non plus m’inquiéter de savoir, après MM. Gaston Paris, Angélo de Gubernatis, Loys Brueyre, André Lefèvre, Hyacinthe Husson, etc., etc., quels mythes solaires sont renfermés dans Peau d’Âne, la Barbe bleue et Cendrillon.

Cette science est trop haute pour moi ; de plus, elle me paraît encore un peu trop vague et hypothétique. L’avouerai-je, d’ailleurs ? C’est sans enthousiasme que j’ai lu dans la Chaîne traditionnelle de M. Husson que le petit Chaperon Rouge est une aurore, et la Belle au bois dormant, « l’image d’une belle nuit calme et sereine, ou, si l’on veut, de la lumière céleste envahie par la Nuit ou par l’Hiver. » J’aime les contes pour eux-mêmes ; aussi bien que l’allégorie, le symbole me glace, et je serais vraiment fâché que M. Paris me prouvât jusqu’à l’évidence que le Petit Poucet n’a jamais existé qu’au ciel, sous la forme d’un dieu aryen.

Mon but est seulement d’examiner les différentes versions des contes publiés par Charles Perrault, sous le titre de Contes de ma mère l’Oye qui, avant lui ou de son temps, couraient en France et chez nos voisins. Afin que cette étude critique soit le plus exacte et le moins ennuyeuse possible, je produirai in extenso les traditions qui se rapprochent le plus de ces historiettes. Je les comparerai entre elles et je tâcherai d’y retrouver le génie des nations qui les auront fournies.

Je ne prétends pas, notez-le bien, que ces récits soient les sources où a puisé l’auteur de la Barbe bleue ; je suis convaincu, malgré l’opinion contraire de F. Génin et d’A. Maury, qu’il n’a guère consulté que les nourrices ; je crois même qu’on peut regarder comme une des versions du Petit Poucet qui couraient de son temps, la fiaoue qu’Oberlin a donnée dans son Essai sur le patois lorrain. Elle me servira peut-être à faire voir que l’interprétation si ingénieuse et si savante de M. Paris laisse quelque chose à dire et pèche par un certain côté.

Bien que Charles Perrault soit l’objet de cette étude, je n’écrirai point sa biographie. Ce travail a été fait dernièrement par M. André Lefèvre de façon à ce qu’on ait pas à y revenir. L’édition des Contes de ma Mère l’Oye, que le poëte érudit vient de publier dans la Nouvelle Collection Jannet, me paraît être l’édition définitive, et mes lecteurs me pardonneront de les y renvoyer pour tout ce qui n’a pas directement trait à mon sujet.


II


L’auteur du Petit Poucet n’était point en son temps un mince personnage. Membre de l’Académie des Inscriptions et de l’Académie française, il avait su s’élever à l’emploi de premier commis ou, comme nous dirions aujourd’hui, de secrétaire général du ministère des finances. Par Colbert il avait l’oreille de Louis XIV, et c’est sur son conseil que furent rejetés les plans demandés au cavalier Bernin pour la continuation du Louvre. Non-seulement il occupait un poste considérable ; il se montrait de plus, par sa valeur personnelle, tout à fait digne de ses hautes fonctions.

Doué d’un esprit indépendant et aventureux, il était accessible à tous les goûts, à toutes les innovations ; il cultivait à la fois et avec un égal succès les beaux-arts et les belles-lettres. Il finit même par créer en littérature un genre, qu’il n’osa pas avouer d’ailleurs, et auquel il doit d’être immortel.

En 1683, à l’âge de cinquante-cinq ans, il se retira des affaires dans sa maison du faubourg Saint-Jacques pour soigner l’éducation de ses enfants et aussi pour mieux s’adonner aux lettres que, depuis vingt ans, il avait à peu près délaissées. Il y écrivait des pièces de vers assez médiocres, car la poésie était sa partie faible, bien que, dans ses Mémoires, il cite avec complaisance son poëme de Saint-Paulin, « qui eut assez de succès, malgré les critiques de quelques personnes d’esprit. »

Quatre ans après, il composa le poëme du Siècle de Louis le Grand et il le lut dans une séance de l’Académie. On connaît le résultat de cette lecture. En vers parfois spirituels mais d’une allure traînante et d’une forme démodée, Perrault loua son siècle au détriment de l’antiquité. Cette sortie déplut à Boileau qui se leva furieux, éclata en reproches et, depuis lors, se répandit en épigrammes contre le détracteur des anciens.

Perrault, pour défendre son opinion, écrivit le Parallèle des anciens et des modernes ; Boileau riposta par sa traduction de Longin, et toute la littérature se partagea en deux camps. Quoiqu’il eût affaire à un rude adversaire, Perrault se tira de la querelle à son honneur. Il sut garder son sang-froid et resta dans les bornes de la politesse, tandis que Boileau perdit la mesure et se montra presque grossier.

Ce « trouble poétique » aurait suffi à l’ambition de bien des gens ; mais, plus avide de gloire que de bruit, l’auteur du Parallèle visait plus haut : il voulait être immortel. Pour y parvenir, il choisit d’instinct la forme littéraire qui répond le plus exactement au génie français et qui résiste le mieux au temps, « Il y a, dit un écrivain allemand, quelque chose de si vivace dans une anecdote fortement conçue, qu’elle est douée, pour ainsi dire, d’immortalité, et cette immortalité des infiniment petits en littérature mérite d’arrêter l’attention. »

Perrault avait pris pour modèle un de ses amis, son aîné de sept ans, pour qui il ne cachait pas sa profonde admiration. Ce modèle, ou plutôt cet idéal, n’était autre que La Fontaine : on sait que Perrault supplia vainement Colbert de lui maintenir sa pension[1].

Cette préoccupation de Perrault, que M. André Lefèvre a signalée sur nos indications, n’a pas été assez remarquée. Elle éclate pourtant de toutes parts. C’est ainsi que, même après le succès des contes, il s’essaya dans l’apologue et publia une traduction en vers des fables de Faerne, qui avaient fourni tant de sujets à La Fontaine. Il se bornait à traduire, ne se sentant pas à l’aise sur ce terrain dont son ami semblait avoir fait sa propriété exclusive.

Il eut du reste le bon goût d’avouer qu’on ne peut comparer sa traduction, ni même l’original, aux fables du maître. « Les nôtres, dit-il, ressemblent à un habit d’une bonne étoffe, bien taillée et bien cousue, mais simple et tout unie : les siennes ont quelque chose de plus, et il y ajoute une riche et fine broderie qui en relève le prix infiniment. »

Il fut plus hardi et eût été plus heureux avec le conte badin, à en juger par celui qu’on lui attribue et que le lecteur trouvera sous le titre de l’Esprit fort dans l’édition de M. Lefèvre. Malgré le penchant qu’il avait marqué de bonne heure pour le burlesque, il ne persévéra point en cette voie. Il était dans le monde sur un pied d’homme grave qui ne lui permettait pas de pareilles licences. Il s’en explique ainsi dans la préface des contes en vers :

« J’aurais pu rendre mes contes plus agréables en y mêlant certaines choses un peu libres dont on a accoutumé de les égayer ; mais le désir de plaire ne m’a jamais assez tenté pour violer une loi que je me suis imposée, de ne rien écrire qui pût blesser ou la pudeur, ou la bienséance. »

C’est sans doute alors que, tout en restant fidèle à ses principes, il alla puiser dans un des recueils où La Fontaine s’approvisionnait d’habitude et emprunta à Boccace le sujet de Griselidis. Malgré des objections et des critiques dont nous nous occuperons plus tard, Griselidis eut du succès, et Perrault, toujours sur les pas de son guide, publia, non pas Peau d’Âne, comme on le croit communément, mais les Souhaits ridicules.

Peau d’Âne parut pour la première fois en 1694 dans le Recueil des pièces curieuses et nouvelles tant en prose qu’en vers, édité à La Haye, chez Adrian Moëtjens[2]. Les Souhaits ridicules avaient vu le jour en novembre 1693, dans le Mercure galant, page 37, avec un court avertissement du rédacteur, qui se termine par ces mots : « Vous avez lu quantité d’ouvrages de M. Perrault, de l’Académie française, qui vous ont fait voir la beauté de son génie dans les sujets sérieux. En voici un qui vous fera connaître qu’il sait badiner agréablement quand il lui plaît. »

Dans les Souhaits ridicules, Perrault reprenait un sujet traité quinze ans auparavant par La Fontaine sous le titre des Souhaits, et il le reprenait en marchant sur ses traces. Le début du conte rappelle, en effet, celui de la Mort et le Bûcheron :


Il était une fois un pauvre bûcheron
Qui, las de sa pénible vie,
Avait, disait-il, grande envie
De s’aller reposer aux bords de l’Achéron :
— Représentant dans sa douleur profonde,
Que, depuis qu’il était au monde,
Le ciel cruel n’avait jamais
Voulu remplir un seul de ses souhaits.
Un jour que, dans le bois, il se mit à se plaindre,
À lui, la foudre en main, Jupiter apparut…


Jupiter vient là évidemment pour obéir à la poétique de celui qui tenait qu’on doit, autant que possible, relever la matière qu’on traite, et qui a dit de ses propres ouvrages, avec un demi-sourire

que Perrault ne lui a pas emprunté pour versifier ses contes :

Hommes, dieux, animaux, tout y fait quelque rôle,
Jupiter comme un autre…


Il est bien probable que, dans la version populaire, le héros n’était pas un bûcheron et que le rôle de Jupiter était joué par une fée. Ce n’est point un bûcheron et c’est une fée que Mme  Leprince de Beaumont met en scène dans les Trois Souhaits, qu’elle avait sans doute trouvés en Lorraine, pays conteur, ou elle habita quelque temps.

Quoique le personnage du Magasin des enfants à qui elle fait narrer l’historiette, affirme l’avoir lue quelque part, on peut croire qu’elle ignorait l’existence des Souhaits ridicules. À l’époque où elle écrivait son livre en Angleterre (1757), les éditions de Perrault ne contenaient plus les contes en vers. Perdus depuis 1742, ils furent seulement retrouvés et, pour ainsi dire, exhumés en 1776 par le marquis de Paulmy, qui en donna un commentaire dans sa Bibliothèque des romans.

Si Peau d’Âne m’étoit conté
J’y prendrois un plaisir extrême,


s’écrie La Fontaine en 1678, et, seize ans après, Perrault se décide enfin à aborder le conte des fées proprement dit et à nous conter Peau d’Âne. Il y songeait sans doute depuis quelques années, car, dans le second volume de son Parallèle, on lit cette phrase : « Les fables milésiennes sont si puériles que c’est leur faire assez d’honneur que de leur opposer nos contes de Peau d’Âne et de la Mère l’Oye. »

La Porte, dans ses Mémoires, relate qu’en 1645, quand Louis XIV sortit des mains des femmes, « ce qui lui fit le plus de peine étoit qu’on ne lui pouvoit fournir des contes de Peau d’Âne, avec lesquels les femmes avoient coutume de l’endormir. » En 1651, Scarron, dans son Roman comique, dit en parlant de Ragotin : « On changea de discours deux ou trois fois pour se garantir d’une histoire que l’on croyoit devoir être une imitation de Peau d’Âne, » Peau d’Âne était alors le maître conte, le conte type, et on disait indifféremment des contes de Peau d’Âne ou de la Mère l’Oye.

Un peu plus tard, de la chambre des nourrices, les contes de Peau d’Âne passèrent dans les salons. Ce fut, comme l’a fort bien indiqué M. Giraud dans la préface de l’édition Perrin, le genre à la mode, durant le dernier quart du siècle, chez la marquise de Lambert, qui habitait le bel hôtel occupé aujourd’hui par le cabinet des médailles, et où se réunissait une société spirituelle et choisie, dont Fontenelle était le principal personnage ; chez la comtesse de Murat, femme de beaucoup d’esprit, qui écrivit elle-même des contes de fées ; chez Mme d’Aulnoy, amie de Saint-Évremond, et qui se fit une réputation avec ses historiettes ; chez Mme  Le Camus, autre femme aimable et lettrée, parente du cardinal de ce nom, épouse d’un conseiller d’État ; chez la duchesse d’Épernon ; chez la comtesse de Grammont ; enfin chez les grandes dames de Versailles que, selon une expression de Mme  de Coulanges, rapportée par Mme  de Sévigné (6 août 1677), on mitonnait avec des contes de fées.

Mais le conte de fées n’en était pas moins un genre méprisé et regardé par les gens graves comme tout à fait indigne de la littérature. Les critiques qui reprochaient ses historiettes à Boccace, « prétendant qu’il ne convenait nullement à un homme de son âge de se livrer à de semblables bagatelles, » sont de tous les siècles et surtout du XVIIe. On était alors sous l’influence du mot de Louis XIV sur les tableaux de Téniers, et Voltaire nous a appris que le roi Soleil traitait les fables de La Fontaine comme les tableaux de Téniers. Que devait-il penser des contes de Perrault ?

En 1669, dans sa Dissertation sur Joconde, Boileau s’écriait : « Qu’auroit-on dit de Virgile, bon Dieu ! si, à la descente d’Énée dans l’Italie, il lui avait fait conter par un hôtelier l’histoire de Peau d’Âne, ou les contes de Ma Mère l’Oye ? »

À cette question, qui prouvait d’ailleurs que Boileau avait lu le Virgile travesti de Scarron, on aurait pu répondre que l’auteur de l’Énéide eût imité en cela, comme en bien d’autres points, l’auteur de l’Odyssée, qui fait conter par Ulysse à Alcinoüs l’histoire de Polyphème et celle de Circé, lesquelles ne sont pas autre chose que des contes d’ogre et de fée[3]. Mais, à cette époque, il n’était pas encore établi que, comme l’a fort bien dit M. F. Baudry dans la préface des Dieux et les Héros, « la mythologie, au moins dans ses parties essentielles et originales, n’est l’œuvre ni des sages, ni des poètes, mais du peuple et de l’esprit enfantin des hommes primitifs, et qu’elle consista d’abord en traditions populaires allant, à l’occasion, jusqu’aux contes de nourrice. » Cette vérité n’était que vaguement pressentie par quelques rares esprits tels que La Fontaine, Perrault et Fénelon, qui faisait dire impertinemment par Achille à Homère : « L’Odyssée n’est qu’un amas de contes de vieille. »

Peau d’Âne n’eut pas moins de succès que Griselidis, malgré la plaisanterie de Boileau : « Le conte de Peau d’Âne et la femme au nez de boudin, mis en vers par M. Perrault, de l’Académie française ; » malgré le quatrain que le recueil de Moëtjens, qui avait des allures du Figaro d’il y a quinze ans, insère en regard de son Apologie des femmes,

Perrault nous a donné Peau d’Asne ;
Qu’on le loue ou qu’on le condamne,
Pour moi, je dis comme Boileau :
Perrault nous a donné sa peau ;


malgré enfin la deuxième lettre de M. *** à Mlle  *** qui, dans le même recueil, traita Peau d’Âne encore plus mal que la précédente n’avait traité Griselidis.

Harcelé par toutes ces critiques, Perrault crut devoir se justifier d’avoir rimé ces bagatelles. Dans la préface qui figure en tête de la quatrième édition — la troisième est introuvable — il répondit à « quelques personnes qui affectent de paraître graves, et qui ont regardé ses contes avec mépris. »

« Comme j’ai affaire, dit-il, à bien des gens qui ne se payent pas de raisons, et qui ne peuvent être touchés que par l’autorité et par l’exemple des anciens, je vais les satisfaire là-dessus.

« Les fables milésiennes, si célèbres parmi les Grecs et qui ont fait les délices d’Athènes et de Rome, n’étoient pas d’une autre espèce que les fables de ce recueil. L’histoire de la Matrone d’Éphèse est de la même nature que celle de Griselidis : ce sont l’une et l’autre des nouvelles, c’est-à-dire des récits de choses qui peuvent être arrivées et qui n’ont rien qui blesse absolument la vraisemblance. La fable de Psyché, écrite par Lucien et par Apulée, est une fiction toute pure et un conte de vieille, comme celui de Peau d’Ane[4]. Aussi voyons-nous qu’Apulée le fait raconter, par une vieille femme, à une jeune fille que des voleurs avoient enlevée, de même que celui de Peau d’Âne est conté tous les jours à des enfants par leurs gouvernantes et par leurs grand’mères. La fable du laboureur qui obtint de Jupiter le pouvoir de faire, comme il lui plairoit, la pluie et le beau temps, et qui en usa de telle sorte qu’il ne recueillit que de la paille sans aucuns grains, parce qu’il n’avoit jamais demandé ni vent, ni froid, ni neige, ni aucun temps semblable, chose nécessaire cependant pour faire fructifier les plantes, cette fable, dis-je, est de même genre que le conte des Souhaits ridicules, si ce n’est que l’un est sérieux et l’autre comique ; mais tous les deux vont à dire que les hommes ne connoissent pas ce qui leur convient, et sont plus heureux d’être conduits par la Providence que si toutes choses leur succédoient selon qu’ils le désirent. »

Remarquez que ces sujets, la Matrone d’Éphèse, Psyché, Jupiter et le Métayer, avaient été traités par La Fontaine longtemps avant que Perrault écrivît Griselidis, Peau d’Ane et les Souhaits ridicules. Il est bien probable d’ailleurs que c’est à l’apologue du fabuliste que ce dernier a emprunté le Jupiter des Souhaits.

Pour défendre ses contes, Perrault n’appelait modestement à son secours que les gens d’esprit de l’antiquité : Ésope, Lucien, Apulée ; La Fontaine, plus hardi et plus irrévérencieux, avait écrit, vingt-cinq ans auparavant, dans sa fable Contre ceux qui ont le goût difficile :

Vraiment, me diront nos critiques,
Vous parlez magnifiquement
De cinq ou six contes d’enfant.
Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques
Et d’un style plus haut ? En voici. Les Troyens,
Après dix ans de guerre autour de leurs murailles,
Avoient lassé les Grecs qui, par mille moyens,
Par mille assauts, par cent batailles,
N’avoient pu mettre à bout cette fière cité ;
Quand un cheval de bois, par Minerve inventé…

et, ouvrant la bouche de plus en plus grande, durant huit vers encore, il prolonge sa période, puis s’arrête court et se fait déclarer par « quelqu’un de nos auteurs, » que le cheval de bois ainsi que les héros homériques avec leurs phalanges,

Sont des contes plus étranges
Qu’un renard qui cajole un corbeau sur sa voix.

Il revient sur ce sujet au début de chaque livre :

Les fables ne sont point ce qu’elles semblent être…

L’apologue est un don qui vient des immortels…


et, pour mieux relever le genre qu’il cultive, il ne manque pas, dans son épître au Dauphin, comme dans sa préface, d’insister sur l’utilité des fables :

« L’apparence en est puérile, je le confesse ; mais ces puérilités servent d’enveloppe à des vérités importantes… Par les raisonnements et les conséquences qu’on peut tirer de ces fables, on se forme le jugement et les mœurs, on se rend capable des grandes choses… »

Dans sa préface et dans sa dédicace à Mademoiselle, Perrault dira de même de ses contes :

« Quelque frivoles et bizarres que soient toutes ces fables dans leurs aventures, il est certain qu’elles excitent dans les enfants le désir de ressembler à ceux qu’ils voient devenir heureux, et, en même temps, la crainte des malheurs où les méchants sont tombés par leurs méchancetés… Ces contes renferment tous une morale très-sensée, et qui se découvre plus ou moins, selon le degré de pénétration de ceux qui les lisent. »

Et toutes les éditions jusqu’en 1781, à l’exemple de la première, portent ces mots ajoutés au titre : avec des moralités, — et jusque dans ces fameuses moralités en vers, regrettable concession de l’auteur, Sainte-Beuve retrouve « l’ami de Quinault et le contemporain gaulois de La Fontaine. »

Non-seulement, pour justifier ses contes, Perrault, sur les pas de La Fontaine, argue sans cesse de leur utilité ; non-seulement il s’autorise de l’exemple des anciens, il va plus loin : dans son admiration, il met La Fontaine à part et affirme qu’il n’a pas eu son pareil dans l’antiquité.

« On a beau vanter le sel attique, dit-il en 1692 dans le Parallèle des anciens et des modernes, il est de même nature que les autres sels ; il n’en diffère que du plus au moins ; mais celui de M. de La Fontaine est d’une espèce toute nouvelle : il y entre une naïveté, une surprise et une plaisanterie d’un caractère qui lui est tout particulier, qui charme, qui émeut et qui frappe tout d’une autre manière. » Et il cite des exemples, après quoi il ajoute : « Il y a dans toutes ses fables une infinité de choses semblables, toutes différentes entre elles, et dont il n’y a pas une seule qui ait son modèle dans les écrits des anciens. »

Quatre ans après, La Fontaine étant mort, à l’époque même où Perrault écrivait ses contes en prose, il trace ainsi, dans ses Éloges des hommes illustres qui ont paru pendant ce siècle, le panégyrique de celui d’entre eux qu’il avait pris pour modèle :

« Le talent merveilleux que la nature lui donna lui a fait produire des ouvrages d’un agrément incomparable. Il s’y rencontre une simplicité ingénieuse, une naïveté spirituelle et une plaisanterie originale qui, n’ayant jamais rien de froid, cause une surprise toujours nouvelle. Ces qualités si délicates, si faciles à dégénérer en mal et à faire un effet tout contraire à celui que l’auteur en attend, ont plu à tout le monde, aux sérieux, aux enjoués, aux cavaliers, aux dames et aux vieillards de même qu’aux enfants. Jamais personne n’a mieux mérité d’être regardé comme original, et comme le premier en son espèce. Non-seulement il a inventé le genre de poésie où il s’est appliqué, mais il l’a porté à la dernière perfection ; de sorte qu’il est le premier, et pour l’avoir inventé, et pour y avoir tellement excellé que personne ne pourra jamais avoir que la seconde place en ce genre d’écrire. Les bonnes choses qu’il faisoit lui coûtoient peu parce qu’elles couloient de source et qu’il ne faisoit presque autre chose que d’exprimer naturellement ses propres pensées et se peindre lui-même. Son plus bel ouvrage et qui vivra éternellement, c’est son recueil des fables d’Ésope qu’il a traduites ou paraphrasées. Il a joint au bon sens d’Ésope des ornements de son invention, si convenables, si judicieux et si réjouissants en même temps, qu’il est malaisé de faire une ; lecture plus utile et plus agréable tout ensemble. » : Ce portrait est excellent, et il se trouve que l’auteur s’y est peint lui-même. Il n’y a qu’un trait qui ne soit point exact. Il est reconnu aujourd’hui que La Fontaine n’était pas une sorte de fablier qui se couvrait de fleurs et portait des fruits naturellement et sans aucune peine. Sa fausse paresse cachait un travail incessant, ses fréquentes distractions venaient d’une préoccupation perpétuelle. M. de Banville, bon juge en la matière, a expliqué cette absorption d’un esprit supérieur par « les formidables efforts qu’a demandés la création du vers libre ; » j’ajoute avec Perrault : et du « genre de poésie » qu’il voulait y renfermer[5].

C’est pour n’avoir pas possédé cette rare faculté que Perrault a été un aussi médiocre versificateur ; et c’est pour avoir reconnu son immense infériorité sur ce point qu’il a mérité plus tard d’être regardé ainsi que La Fontaine, comme le premier dans son genre.


III


Traiter les contes de fées en vers, les relever, comme on disait, par la poésie, c’était une entreprise difficile, et il ne suffisait pas pour faire absoudre l’auteur d’alléguer l’utilité morale de semblables bagatelles. Perrault le sentait, et d’ailleurs le critique anonyme du recueil de Moëtjens le lui signifiait assez crûment :

« Je ne sais si notre autheur se fait un plan de son ouvrage avant que de travailler ; mais il me semble que souvent il ne suit pas de route assurée et qu’après avoir perdu le temps en digressions inutiles, ou si l’on veut après s’être égaré de son chemin, il se reprend en courant et saute par-dessus le principal de son sujet. Je crois, après y avoir bien pensé, que ce qui l’empêche de marcher constamment sur une ligne, c’est que, ne trouvant point la ligne sur son passage, il la cherche ou il peut et s’engage par là quelquefois dans de mauvais chemins dont il ne revient pas toujours aisément. Il a l’esprit vif, l’expression brillante et variée ; mais la rime, qui ne lui obéit pas toujours, entraîne quelquefois la raison, comme des chevaux mal disciplinés entraînent le cocher et la voiture. »

D’un autre côté, laisser les contes en prose comme au siècle précédent, semblait une tentative bien hardie à une époque où, depuis le grand succès des contes et des fables de La Fontaine, il était de règle de versifier les sujets de peu d’étendue, ainsi que ceux qu’on destinait au théâtre ; où, pressé par un commandement du roi, Molière s’excusait de n’avoir pas eu le loisir de mettre toute la Princesse d’Élide en vers, et où Thomas Corneille, dans l’intérêt de l’œuvre, cousait des rimes à l’admirable prose du Festin de Pierre.

Perrault avait l’esprit aventureux ; mais il était de son temps. Il n’attaquait les anciens qu’au profit des modernes, dont il partageait les idées. Ainsi que l’a dit M. H. Rigaud, dans son histoire de la fameuse querelle, « il était tout entier de son siècle par ses admirations comme par ses dédains. Au Panthéon il opposait le Louvre ; il ne songeait pas un instant à la cathédrale de Bourges ni à Notre-Dame de Paris. » Jamais de lui-même il ne se serait avisé, lui, un académicien, d’écrire des contes en prose.

D’ailleurs, il avait sans doute lu en manuscrit Finette ou l’adroite princesse, que Mlle Lhéritier, sa parente, publia la même année que parut sa Belle au bois dormant, et cet exemple n’était pas fait pour le décider. La prose, en pareil cas, n’offrait pas moins de difficulté que les vers, et Perrault se souvenait de ce que La Fontaine avait écrit dans la préface de son roman de Psyché, où il a employé tour à tour ces deux formes du langage.

« J’ai trouvé de plus grandes difficultés dans cet ouvrage qu’en aucun autre qui soit sorti de ma plume. Cela surprendra sans doute ceux qui le liront : on ne s’imaginera jamais qu’une fable contée en prose m’ait tant emporté de loisirs, car, pour le point principal, qui est la conduite, j’avois mon guide ; il m’étoit impossible de m’égarer : Apulée me fournissoit la matière. Il ne restoit que la forme, c’est-à-dire les paroles, et d’amener de la prose à quelque point de perfection, il ne semble pas que ce soit une chose fort malaisée ; c’est la langue naturelle de tous les hommes. Avec cela, je confesse qu’elle me coûte autant que les vers, que si jamais elle m’a coûté, c’est dans cet ouvrage. Je ne savois quel caractère choisir… »

Tel était précisément l’embarras de Perrault, lorsqu’un heureux hasard le mit sur la voie. Dans la dédicace de son conte de Marmoisan à la fille de notre auteur, Mlle Lhéritier rapporte que dans une compagnie de personnes distinguées, où elle se trouvait, on décerna une infinité d’éloges à Griselidis à Peau d’Ane et aux Souhaits ridicules, puis elle ajoute : « On fit encore cent réflexions dans lesquelles on s’empressa de rendre justice au mérite de ce savant homme, dont il vous est si glorieux d’estre fille ; on parla de la belle éducation qu’il donne à ses enfants ; on dit qu’ils marquent tous beaucoup d’esprit, et enfin, on tomba sur les contes naïfs qu’un de ses jeunes élèves a mis depuis peu sur le papier avec tant d’agrément. »

Il est aisé de se figurer comment les choses se sont passées. Perrault habitait, nous l’avons dit, sa maison du faubourg Saint-Jacques, à portée des collèges, et s’y occupait fort de l’éducation de ses enfants. Un jour, il donna à l’un d’eux, comme thème de narration, un des contes que sans doute il avait l’intention de mettre en vers. C’était un petit bonhomme d’une dizaine d’années, doué d’une excellente mémoire et de beaucoup d’esprit naturel. Il tenait de son père l’amour des contes et il se rappelait les tournures naïves que sa nourrice employait en les disant. Il les reproduisit avec un tel bonheur que son père fut frappé de ce style ingénu qui ne devait rien à l’art.

La Fontaine, cherchant « lequel caractère est le plus propre pour rimer des contes », avait cru que « les vers irréguliers ayant un air qui tient beaucoup de la prose, cette manière pourroit sembler la plus naturelle, et par conséquent la meilleure ». Il avait de plus appelé à son aide le vieux langage « qui, pour les choses de cette nature, a des grâces que celui de notre siècle n’a pas ». Cet air qui tient beaucoup de la prose, Perrault n’arrivait point à le donner à ses vers, et le vieux langage, qui suffisait à la bonhomie malicieuse de contes grivois ne lui semblait pas encore assez naïf pour présenter aux enfants les fées, les ogres et les petits Poucets. Dans cette perplexité, la narration de son fils lui fut un trait de lumière. Sous cette plume inexpérimentée, il trouvait le vrai style du conte de fées, le bégayement des nourrices[6].

Il est facile de mesurer la distance qui sépare la poésie de la prose de Perrault dans ses contes ; il n’est besoin que de lire successivement un court passage de l’une et de l’autre. Voici le début de Griselidis :

Au pied des célèbres montagnes
Où le Pô, s’échappant de dessous ses roseaux,
Va dans le sein des prochaines campagnes
Promener ses naissantes eaux,
Vivoit un jeune et vaillant prince,
Les délices de sa province.
Le ciel, en le formant, sur lui tout à la fois
Versa ce qu’il a de plus rare,
Ce qu’entre ses amis d’ordinaire il sépare
Et qu’il ne donne qu’aux grands rois.

Et voici le commencement du Petit Chaperon Rouge :

« Il étoit une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en étoit folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyoit si bien, que partout on l’appeloit le petit Chaperon rouge. Un jour, sa mère ayant cuit et fait des galettes, lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle étoit malade. Porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. »

Pour que l’homme qui avait écrit ces vers pompeux trouvât cette prose simple et familière, il a fallu évidemment, et quoi qu’en ait dit M. Ch. Giraud, l’intervention d’une main étrangère[7], et Perrault a pu sans invraisemblance publier ses contes sous le nom de son fils : l’enfant avait vraiment collaboré à l’œuvre paternelle.

Il a indiqué le ton et l’allure qui convenaient, le père n’a eu ensuite qu’à arranger les choses et à les mettre, comme on dit, sur leurs pieds[8]. Il les a même quelquefois un peu trop arrangées et enguirlandées de galanterie ; avouons-le, sans aller jusqu’à prétendre, avec Mickiewicz, « qu’il a tourné en caricature des sujets naïfs et populaires, » ni même avec M. Chodzko, « qu’il a métamorphosé ses héroïnes en autant de précieuses, coiffées à la Maintenon, avec du fard et des mouches. » Les héroïnes de Perrault ne s’habillent pas toutes chez la bonne faiseuse, et, du reste, leurs antiques ajustements leur donnent aujourd’hui une tournure de patriarche et de marionnette qui leur sied à ravir.

Quant au reproche d’avoir trop rationalisé le conte, que lui a également adressé le poëte polonais, on peut quelquefois, comme nous le verrons plus tard, le faire remonter jusqu’à la nourrice, ou encore répondre avec Sainte-Beuve que « Perrault, tout en contant pour les enfants, sait bien que ces enfants seront demain ou après-demain des rationalistes… La mesure de Perrault est bien française, » et c’est l’ironie, discrète et souriante, qui fait le charme secret de ses contes.


IV


La tirade contre Homère dans le Siècle de Louis le Grand semble bien hardie ; les contes en simple prose, où les vers ne figurent qu’après le récit, étaient plus hardis encore. Aussi Perrault recula-t-il devant sa propre audace, et c’est surtout par respect humain qu’il les publia sous le nom de son fils. Il n’avait guère modifié les données primitives et ces bagatelles lui avaient peu coûté. Il se garda bien de les lire à l’Académie, où il est probable qu’on les aurait assez mal accueillies.

Cette fois pourtant le succès fut complet et la critique resta muette. Comme il est d’habitude après la réussite de toute œuvre originale, les imitateurs se jetèrent sur ce genre nouveau. Ils l’exploitèrent si bien qu’en 1699 l’abbé de Villiers, pour mettre une digue à ce débordement de féeries, publia ses Entretiens sur les contes de fées. Dans les critiques, d’ailleurs fort justes, qu’il leur adressa, il eut soin de faire une exception pour Perrault. Le théâtre lui-même s’en mêla : un mois après l’apparition des Contes, Dufresny fit jouer aux Italiens les Fées ou les Contes de ma Mère l’Oye qui, en raillant le genre, en constataient la vogue, et, deux ans plus tard, Dancourt donnait aussi une pièce sous le même titre.

Cette vogue passa pourtant bientôt, et Perrault se vit submergé sous les fadaises dont MMmes Lhéritier, d’Aulnoy, de Murat, de la Force, d’Auneuil, etc., remplirent leurs historiettes. Il n’y eut pas seulement la réaction qui suit toujours les succès éclatants. De la part du xviiie siècle, il y eut animadversion : aux yeux des philosophes le merveilleux encourageait les erreurs dont ils voulaient débarrasser l’humanité.

Pendant que ses contes, traduits en toutes les langues, se répandent dans le monde entier, les gens de lettres d’alors, même ceux qui ont des accointances avec les fées, affectent pour Perrault un singulier dédain. On sait qu’une version du Chat botté se trouve dans les Facétieuses nuits de Straparole. Lamonnoye, qui a écrit une préface pour la traduction de Louveau et Larivey, n’y dit pas un mot de Perrault. Le poëte Laisnez qui, en 1709, enrichit cette traduction de notes, cite Molière et La Fontaine à propos des emprunts ou des rencontres, et se tait sur le compte de Perrault. En 1735, Voltaire lui fait assiéger vainement, en compagnie de La Motte et de Chapelain, la porte du Temple du Goût. À la même date, dans sa Bibliothèque des Romans, Langlet-Dufresnoy se plaint de la sécheresse de ses contes, et, en 1772, dans ses Trois siècles de notre littérature, Sabatier de Castres déplore leur manque de délicatesse. D’Alembert, dans l’Éloge qu’il lui a consacré (1772), le traite comme un méchant poëte, et ne mentionne pas ses contes. Dans l’Essai sur les éloges, Thomas, qui n’est pas moins muet sur ce chapitre, résume ainsi son panégyrique : « Que Boileau reste à jamais dans la liste des grands écrivains et des grands poëtes, mais qu’on estime en Charles Perrault de la philosophie, des connaissances et des vertus. » Diderot[9], Marmontel, Rousseau, Grimm, Chamfort lui-même, qui, dans son Éloge de La Fontaine, mentionne Vergier, Grécourt, Sénecé, Piron, ne semblent pas se douter de l’existence des contes de Perrault. En 1775, un savant, un érudit, Oberlin, dans son Essai sur le patois lorrain, donne une version populaire du Petit Poucet, et il n’a pas l’air de savoir que sur ce sujet Perrault a laissé un chef-d’œuvre.

C’est en vain qu’en cette même année 1775, le rédacteur de la Grande Bibliothèque des Romans lui rend justice. C’est en vain que le Cabinet des fées loue en 1785 « le ton naïf et familier, l’air de bonhomie, la simplicité qui font le charme ses contes. » Dans son Cours de littérature (1799-1807), La Harpe ne daigne pas s’en occuper, et dit, en revanche, des contes de Mme d’Aulnoy : « On peut mettre de l’art et du goût jusque dans ces frivolités puériles. Mme d’Aulnoy est celle qui paraît y avoir le mieux réussi. » En 1821, le Dictionnaire historique, critique et bibliographique, copiant la France littéraire de Desessarts, qui avait copié le Dictionnaire historique de 1789, en est encore à attribuer les Contes de fées au jeune Perrault d’Armancour. Enfin, dans la liste donnée par M. André Lefèvre, de 1697, date de la première édition, à 1781, date de la première édition complète, c’est-à-dire en près d’un siècle, on ne compte que huit éditions, et toutes, je le répète, portent après le titre ces mots qui semblent demander grâce : avec des moralités.

C’est seulement en 1826 que commence la réaction. Collin de Plancy publie une bonne édition des Œuvres choisies de Ch. Perrault, de l’Académie française, avec des Recherches sur les contes des fées, où le premier, il appelle Perrault « le La Fontaine des prosateurs. » La même année, C.-A. Walckenaer fait paraître ses Lettres sur les contes de fées attribués à Perrault, où d’ailleurs il présente ces historiettes comme surannées et dédaignées des institutrices, où enfin il ne leur accorde l’exeat qu’à la condition qu’il sera bien convenu qu’elles n’appartiennent pas à Perrault[10]. Le bibliophile Jacob aide au mouvement et, dans la Notice de l’édition qu’il publie la même année, déclare que « par leur bonhomie, par leur simplicité, qui n’exclut pas la grâce et l’esprit, les contes de fées sont restés des modèles inimitables. » Nodier va plus loin et prophétise que sans aucun doute, avec Molière, La Fontaine et quelques belles scènes de Corneille, ce chef-d’œuvre ingénu de naturel et d’imagination, doit survivre à tous les monuments du siècle de Louis XIV. « Je ne crains pas de l’affirmer, dit-il, tant qu’il restera sur notre hémisphère un peuple, une tribu, une bourgade, une tente où la civilisation trouve à se réfugier, il sera parlé, aux lueurs du foyer solitaire, de l’odyssée aventureuse du Petit Poucet, des vengeances conjugales de la Barbe bleue, des savantes manœuvres du Chat botté, et l’Ulysse, l’Othello et le Figaro des enfants vivront aussi longtemps que les autres. »

En haine de Boileau toute l’école romantique fit chorus. Pour elle, Perrault, comme La Fontaine, était un indiscipliné, un précurseur, et la réhabilitation fut aussi éclatante que la chute avait été profonde. En 1845, Théophile Gautier parle du Petit Chaperon rouge et du Chat botté comme de « délicieux récits dont ne peut se lasser l’admiration naïve de l’enfant et l’admiration raisonnée de l’homme fait. » Ailleurs, avec un enthousiasme dont il faut rabattre, il proclame Peau d’Ane « le chef-d’œuvre de l’esprit humain, quelque chose d’aussi grand dans son genre que l’Iliade et l’Énéide. »

Vers la fin de 1861, paraît la splendide édition in-folio d’Hetzel, avec illustrations de Gustave Doré, et Sainte-Beuve, rendant compte de cette magnifique publication dans ses Lundis du Constitutionnel, dit de notre auteur : « Entre tout ce qui défilait devant lui de ces contes de la Mère l’Oye, si mêlés et faits presque indifféremment pour tenir éveillé l’auditoire ou pour l’endormir, il eut le bon goût de choisir et le talent de rédiger avec simplicité, ingénuité. Cela aujourd’hui fait sa gloire. Une Fée, à son tour, l’a touché ; il a eu un don. Qu’on ne vienne plus tant parler de grandes œuvres, de productions solennelles : le bon Perrault, pour avoir pris la plume et avoir écrit couramment sous la dictée de tous, et comme s’il eût été son jeune fils, est devenu ce que Boileau aspirait le plus à être, — immortel ! Était-ce donc la peine de se tant tourmenter et de se tant fâcher, monsieur Despréaux ! »

Vingt ans auparavant, dans son Histoire de la littérature de l’Europe pendant les XVe, XVIe et XVIIe siècles, Henri Hallam, le savant critique anglais, avait, comme Collin de Plancy, reconnu, dans les Contes des Fées, une sorte de pendant en prose des fables de La Fontaine. Enfin, en 1864, dans la meilleure édition des Contes qui ait été faite avant celle de M. André Lefèvre, un membre de l’Institut, M. Ch. Giraud, rapporte que « le petit volume, horriblement imprimé, des Contes de ma Mère l’Oye, publié par Barbin en 1697, et que Nodier, malgré son habile provocation, n’avait pu faire monter, il y a vingt ans, au-dessus de six napoléons, a été payé récemment mille francs à une vente célèbre et en avril dernier plus de quinze cents francs à une autre[11]. » Il en conclut que « dans cet entraînement de la curiosité opulente, il y a plus que de la passion, il y a l’indice d’une révolution des esprits, » et à son tour, il constate que « les contes de Perrault sont des fables de La Fontaine d’un genre à part. »

Après un siècle et demi, Perrault a définitivement atteint son idéal : pour avoir cessé d’imiter La Fontaine et être devenu lui-même, il égale La Fontaine dans le jugement des hommes. Le livre merveilleux qui a ravi nos premiers songes et fait chanter l’oiseau bleu sous le ciel de notre berceau, est mis au rang des œuvres les plus hautes de l’esprit humain ; l’histoire des Contes des Fées se termine, comme une féerie, dans les splendeurs d’une apothéose !


V


De Perrault aux dames qui, de son temps, ou après lui, ont couru la même carrière, il y a une distance énorme. Ce sont de spirituelles caillettes qui, au lieu de suivre comme lui d’aussi près que possible le récit des nourrices, brodent le texte et l’allongent au gré de leur caprice. Pour mieux en juger, prenez le volume de la Bibliothèque rose, où, aux contes de Perrault, on a joint les meilleurs de ses émules les plus célèbres, MMmes d’Aulnoy et Leprince de Beaumont. Le Petit Chaperon rouge tient tout entier en quatre pages ; la Barbe bleue en a neuf ; le plus long de tous, le Petit Poucet, en occupe seize. L’Oiseau bleu et la Chatte blanche en comptent cinquante-sept, et la Biche au bois près de soixante.

Mme Leprince de Beaumont est moins prolixe, et son chef-d’œuvre, la Belle et la Bête, qui n’en est pas mieux écrit, ne prend guère que vingt-deux pages. Sous prétexte que Mérimée était l’arrière-petit-fils de Mme Leprince de Beaumont, M. de Loménie, dans son discours de réception à l’Académie française, a prétendu qu’il y avait « un rapport frappant entre le style des deux auteurs. » N’en croyez pas un mot : rien ne ressemble moins au style sec et brillant de Mérimée que la langue fluide et incolore de Mme Leprince de Beaumont.

Mme d’Aulnoy mêle quelquefois ensemble — et assez mal, comme dans la Chatte blanche — deux traditions populaires ; elle transforme leurs rustiques personnages en princes charmants et en princesses accomplies, puis elle promène ses fades héros à travers des palais étincelants d’or et de diamants. Ce ne sont plus des contes, ce sont des féeries, et c’est pourquoi Mme d’Aulnoy est, de tous les conteurs, celui qui a fourni au théâtre les prétextes les plus commodes aux exhibitions de décors et de costumes assaisonnées de coq-à-l’âne.

Bien que plus vif d’allure, Hamilton, dans ses récits, n’est pas moins long et n’a pas mieux conservé leur caractère simple et naïf aux quelques fables qu’il a pu emprunter à la source commune. On assure qu’il a pris la plume uniquement pour prouver qu’il n’y avait pas grand génie à inventer des aventures merveilleuses comme celles des Mille et une Nuits. C’est possible ; mais on croirait bien plutôt qu’il a voulu parodier les romans de chevalerie. Un critique autorisé, M. Émile Montégut, a avancé, dans la Revue des Deux-Mondes (ier avril 1862), que « l’histoire de Fleur d’Épine peut être présentée comme le plus beau conte de fées qu’on ait écrit en France ». Depuis mon enfance, j’ai dévoré tous les contes, quels qu’ils fussent, que j’ai pu me procurer : ceux d’Hamilton sont les seuls, je l’avoue humblement, que je n’ai jamais lus jusqu’au bout. Malgré l’élégance du style, ces récits interminables, où un auteur sans conviction ne vise qu’à se moquer du lecteur, m’ont toujours singulièrement agacé, et chaque fois que j’y suis revenu, au bout de quelques pages le livre m’a tombé des mains.

Charles Nodier, qui d’ailleurs a bien mérité de Perrault, a un défaut tout aussi grave. Il conte, non pour amuser les gens, ou, ce qui serait mieux encore, pour s’amuser lui-même, mais pour montrer combien il a d’esprit. Jules Janin a dit qu’il n’en avait jamais plus qu’entre deux parenthèses ; or, dans le conte de fées, chose rapide et simple, il ne faut pas faire de parenthèses. La bonhomie de Nodier est artificielle, et il y entre beaucoup d’affectation. L’auteur de Trésor des Fèves n’a écrit qu’une seule historiette dans le vrai style qui convient aux contes des fées. Par malheur, ce n’est pas un conte. J’ai nommé son chef-d’œuvre, le Chien de Brisquet.

En somme, de tous les successeurs de Perrault, celui qui s’en approche le plus, longo sed proximus intervallo, c’est encore, malgré le manque de sobriété et quelque peu de maniérisme, le danois Andersen.

Nous avons déjà parlé de Finette ou l’adroite princesse. On a longtemps donné ce conte sous le nom du maître, et M. Ch. Giraud, tout en le restituant à Mlle Lhéritier, l’a encore admis dans son recueil. Nous allons en résumer rapidement les premières pages pour montrer, par un dernier argument, combien l’auteur de la Barbe bleue est original, et combien il l’emporte sur l’écrivain même dont on n’a pas craint de lui attribuer les œuvres.

L’histoire est adressée à Mme la comtesse de Murat. « Je suis aujourd’hui, dit Mlle Lhéritier de l’humeur du bourgeois gentilhomme. Je ne voudrais ni vers, ni prose pour vous la conter : point de rimes, un tour naïf m’accommode mieux. Je ne cherche que quelque moralité. » Et tout de suite elle énonce les deux proverbes sur lesquels son conte est fondé ; puis la voilà qui, prise d’un beau feu, se met à rimer une trentaine de vers, puis elle s’écrie : « Mais je n’y songe pas, madame, j’ai fait des vers ; au lieu de m’en tenir au goût de M. Jourdain, j’ai rimé sur le ton de M. Quinault, etc. » Au bout de trois pages qui, pour les enfants, font l’effet de la forêt inextricable de la Belle au bois dormant, l’auteur se décide enfin à entrer en matière.

Il s’agit d’un roi qui, s’en allant en Palestine faire la guerre aux infidèles, confie son royaume à son ministre. Il a trois filles, Nonchalante, Babillarde et Finettes. Développement du caractère de chacune, développement fort long et tout à fait inutile, puisque les noms suffisent pour mettre le lecteur au courant. Finette est tellement fine qu’elle découvre un piège dangereux qu’un ambassadeur de mauvaise foi avait tendu au roi son père. En mettant l’article du traité dans les termes que lui dicte sa fille, celui-ci trompe le trompeur. Tout cela voudrait être naïf et n’est que niais, et le conte continue ainsi durant quarante-sept pages.

« Il est une folie d’esprit qui plaît, a dit M. Giraud dans sa préface ; il en est une autre qui n’a pas de sel : c’est de l’extravagance. Perrault a su l’éviter, comme les anciens, par la simplicité du récit et la sobriété des détails. » Ce n’est pas le cas de Mlle Lhéritier, et je m’étonne qu’un critique aussi délicat que M. Giraud ne s’en soit pas avisé.

Voici maintenant, traduit littéralement, le début du même conte chez un auteur italien que le marquis de Paulmy déclare tout à fait ridicule, et de qui Génin a dit dans l’Illustration (ier mars 1856) : « Les métaphores violemment burlesques, dont il a composé le tissu de son style, seraient insupportables en français, supposé (ce que je ne crois pas) qu’on parvînt à les rendre toujours intelligibles. »

« Il était une fois un très-riche, très-riche marchand, nommé Marcone, qui avait trois filles d’une grande beauté, Bella, Cenzola et Sapia Liccarda. Un jour il dut entreprendre un voyage pour les affaires de son commerce. Comme il savait qu’en grandissant les filles aiment à mettre le nez hors des fenêtres, il fit clouer toutes les siennes et laissa en partant à chacune de ces demoiselles un anneau orné d’une certaine pierre qui se couvrait de taches, quand celle qui le portait à son doigt commettait quelque action déshonnête.

« Il ne se fut pas plutôt éloigné de la Ville-Ouverte (ainsi s’appelait cet endroit) qu’on commença à se monter sur les appuis des fenêtres et à se montrer à travers les guichets. On en fit tant que Sapia Liccarda, qui était la plus petite, finit par se démener et crier que leur maison n’était pas un marché aux citrons ni une poissonnerie pour qu’on y vît un pareil mêli-mêlo, et tant de commérages avec les voisins.

« Leur maison était située vis-à-vis le palais du roi, lequel avait trois fils, Ceccariello, Grazullo et Tore. En apercevant ces jeunes filles, qui étaient fort agréables à voir, ceux-ci se mirent à leur faire les doux yeux, puis à leur envoyer des baisers avec la main ; des baisers ils en vinrent aux paroles, des paroles aux promesses et des promesses aux actions, tellement qu’un soir, à l’heure où, pour n’avoir pas affaire à la nuit, le soleil se retire avec ses rentes[12], tous trois escaladèrent la maison. Les deux aînés s’arrangèrent avec les deux plus grandes sœurs, mais lorsque Tore voulut toucher Sapia Liccarda, elle s’enfuit comme une anguille dans sa chambre et s’y barricada, si bien qu’il ne fut pas possible de l’aborder. Le pauvre petit se plaignit à ses frères de l’ennui qu’il avait de tenir la mule pendant que les autres chargeaient les sacs du moulin.

« Au matin, quand les oiseaux, trompettes de l’aurore, sonnèrent tous le boute-selle pour faire monter à cheval les heures du jour, les deux couples… etc. » Je m’arrête au moment où ce conte, déjà fort scabreux chez Mlle Lhéritier, commence à effaroucher le lecteur français. Je n’ai pas besoin de faire remarquer combien, à côté du verbiage de Mlle Lhéritier, ce style est vif et pittoresque, et quelle saveur a cette langue bizarre. Cyrano de Bergerac, en sa burlesque audace, n’a pas trouvé des images plus inattendues ni d’un mauvais goût plus charmant et plus raffiné. L’auteur les prodigue avec le demi-sourire d’un homme d’esprit qui s’amuse, et presque toujours il s’en sert pour peindre le lever ou le coucher du soleil. On dirait qu’il a parié d’exprimer chaque fois ces phénomènes avec une nouvelle métaphore. D’ailleurs, à part ces excès de la singularité et de la verve inventive, il s’éloigne bien moins que Perrault de la source populaire où l’un et l’autre ont puisé leurs récits. Il s’adresse aux gens des carrefours, tandis que Perrault cherche à plaire aux belles dames de la cour de Louis XIV.

Ce n’était pourtant pas un homme du commun que le cavalier Giovan Battista Basile qui, sous l’anagramme de Gian Alesio Abbattutis, publia à Naples, en 1637, Pentamerone, overo lo cunto de li cunti, trattenemiento de li peccerille, ce qui veut dire les Cinq journées, ou le conte des contes pour la récréation des petits enfants. Né à Naples vers la fin du seizième siècle, J.-B. Basile était comte del Torone et mourut en 1637 au service du duc de Mantoue. On a de lui, sous le titre de Opere poetiche (Mantoue, 1613), des madrigaux, des odes, de petits poëmes, etc. Son Pentamerone, écrit en dialecte napolitain, contient cinquante contes de fées et quatre églogues. Génin affirme qu’à son apparition ce livre eut un prodigieux succès ; M. Charles Giraud prétend au contraire qu’il n’eut pas alors un grand retentissement. Ni l’un ni l’autre ne nous disent sur quoi ils basent leur assertion. Tout ce que nous savons, c’est qu’il fut réédité à Naples, trente-sept ans après, en 1674 et à Rome en 1679, qu’en outre il fut traduit deux fois : i° en langue italienne vulgaire (Naples, 1754) ; 2° en patois bolonais (Bologne, 1742, et Venise, 1813). À l’heure actuelle, il est moins connu en Italie qu’en France et surtout en Allemagne, où, en 1864, M. Félix Liebrecht en a publié une traduction.

Ce n’est pas au cavalier Basile, c’est à un troubadour que Mlle Lhéritier — elle-même nous en prévient — a emprunté l’Adroite princesse. F. Génin, qui a imité un des contes du Pentamerone, déclare, on l’a vu, cet ouvrage « impossible à traduire en français. » Il n’en a pas moins prétendu que ce recueil était la source où Perrault avait puisé « le fond de sa narration, qu’il écrivit, ajoute-t-il, à sa guise, platement et sans couleur. » Cette étonnante assertion nous ferait croire que le critique, d’ordinaire si judicieux, n’a lu ni Perrault ni les contes du Pantamerone qui ressemblent à ceux de Perrault.

Avant Génin, la Bibliothèque des romans avait traduit ou plutôt travesti quatre morceaux choisis dans l’impertinent ouvrage (c’est elle qui parle) de Gian Alesio Abbattutis. « Qu’on juge de notre travail, dit douloureusement le traducteur. Nous sommes obligé de traduire premièrement du napolitain en bon italien ; secondement, de l’italien littéralement en français ; troisièmement, de tourner la traduction littérale française assez bien pour la présenter d’une manière agréable à des lecteurs français, en leur faisant sentir le sel d’une plaisanterie étrangère et le mérite des proverbes et des expressions populaires propres aux habitants d’une grande ville située à 350 lieues de Paris. »

Après cette singulière explication, le lecteur ne sera pas surpris que les contes du Pantamerone puissent paraître impertinents… dans la traduction de la Bibliothèque des Romans.

Nous avons traduit, dans l’édition de Naples (1674), ceux des contes du Pentamerone qui sont bâtis sur le même fond que les histoires de Ma Mère l’Oye. Nous les avons rendus aussi littéralement que possible, estimant qu’en pareil cas il faut laisser toute sa saveur au texte original. Bien que ce texte soit en dialecte napolitain du xviie siècle, et que nous n’ayons pas eu le secours d’un dictionnaire napolitain-italien[13], nous devons déclarer que nous n’avons pas trouvé la difficulté aussi insurmontable que nous l’avions craint d’après les assertions de Génin et du marquis de Paulmy.

Nous avons été pourtant aidé par notre excellent confrère de Lauzières-Thémines, qui a longtemps habité Naples, et qui a bien voulu venir à notre secours dans les passages par trop obscurs — ceux principalement qui font allusion à des usages locaux. Nous lui en offrons ici nos sincères remercîments. C’est grâce à lui que nous pouvons révéler au public français un écrivain bizarre, mais très-spirituel et très-digne de figurer en tête de la littérature féerique.

Notre ami Frédéric Baudry, l’éminent philologue, nous a rendu le même service pour les contes allemands de ce recueil, et nous lui devons la même reconnaissance. Nous croyons d’ailleurs inutile de présenter à nos lecteurs les frères Grimm, les ingénieux érudits qui les ont recueillis sans les arranger au point de vue littéraire. Tout le monde a lu la très-remarquable traduction que M. Baudry a publiée de leurs Contes choisis.

Nous sommes enfin tout aussi obligé à notre confrère et ami Loys Brueyre, qui a mis fort courtoisement à notre disposition les trésors de sa riche bibliothèque et de sa vaste érudition.


  1. Walckenaer a un moment attribué à Perrault l’Amour vengé, une agréable idylle de La Fontaine
  2. Ce recueil se compose de trente parties reliées en cinq volumes in-12. Bibliothèque de l’Institut, AA, 304. Arsenal, 12086.
  3. Boileau a été au-devant de l’objection. Selon lui, au jugement d’Aristote, « l’Odyssée est un ouvrage tout comique. » Or, il n’y a rien de pareil dans Aristote qui, au contraire, fait sortir la tragédie de l’Odyssée aussi bien que de l’Iliade. Boileau, qui appelle le Roland furieux un poème héroïque et sérieux, confond ici le bas avec le simple, le plaisant avec le naïf.
  4. Perrault aurait pu ajouter que cette historiette, écrite il y a plus de sept cents ans, commence comme un conte de fées : Erant in quádam civitate rex et regina….
  5. Voir d’ailleurs l’excellente édition de La Fontaine, par M. Louis Moland (Garnier, 1876), où cette vérité éclate à chaque page.
  6. On jugera peut-être que, dans cette découverte d’un style, nous faisons au jeune Perrault d’Armancour une part trop considérable et au-dessus de la portée d’un enfant. Pour répondre à cette objection, nous demanderons la permission de citer la lettre ci-dessous. Elle a été écrite, après le siége de Paris, par une petite fille de onze ans qui venait de passer une année entière loin de ses père et mère, et qu’on hésitait à faire ramener dans la ville en proie aux premiers troubles de la Commune.
    « Villers-sur-Mer, 15 mars 1871.
    « Mon cher père,
    « Tu ne sais pas ? Eh bien ! tout le monde part, et nous, nous ne partons pas. Tous nos amis partent demain, et moi je pleure !… Je voudrais bien vous voir. Je parle du moment où nous allons partir, et puis je pense que ce n’est pas demain, et je me mets à pleurer, et puis je dis à grand’mère que je ne veux plus rien faire ; puis, cinq minutes après, comme je m’ennuie, je reprends mon tricot et je tricotte. Au fait, tu ne sais pas ? Eh bien ! j’ai fini mes bas. Ils ont des petits pieds comme des petits amours ; ils sont tout à fait jolis. Je suis en train de faire une garniture de bonnet pour le petit D. Mme D. part demain à cinq heure du matin, et nous, nous ne partons pas ! J’ai cependant tout ce qu’il faut pour partir : je suis vaccinée, ça a bien pris, les croûtes sont tombées et j’ai une mine excellente. Fais-nous donc bien vite revenir. Si tu savais comme j’ai envie de vous voir !
    « Vois-tu, j’ai dis à grand’mère : Brûle tout le bois que nous avons pour partir plus vite ; grand’mère a répondu que ce ne serait pas cela qui nous ferait partir plus vite.
    « Au fait, tu ne m’a pas encore dis comment allait Cora* si on l’avait mangée ou si elle vivait encore.
    « Adieu, mon cher père, je t’aime et t’embrasse,
    « Ta fille,
    « FRANÇOISE.
    « Tu diras à mère Anne que je l’embrasse. Grand’mère te fais ses compliments. »
    Cette lettre est authentique. Nous n’avons fait que la ponctuer et, ainsi qu’on l’a vu, nous en avons respecté les fautes d’orthographe. Croit-on que l’enfant qui a trouvé dans sa tête et dans son cœur cette page si naturelle et si naïvement passionnée, — non toutefois sans une pointe de malice, — n’eût pas été capable d’écrire de mémoire un Petit Chaperon Rouge à l’état brut, quelque chose comme la version patoise du Petit Poucet que nous donnons plus loin ?
    *Sa tortue.
  7. L’écart serait plus grand encore, si nous comparions la prose des contes avec la prose mêlée de vers des allégories froides et alambiquées qui ont pour titres : Dialogue de l’Amour et de l’Amitié, le Miroir ou la Métamorphose d’Orante, et enfin le Labyrinthe de Versailles où Perrault a rimé une trentaine de moralités galantes péniblement tirées des fables d’Ésope.
  8. Un seul fait pourrait peut-être invalider notre système. Dans son Traité des Matériaux manuscrits (1836), Alexis Monteil raconte, t. II, p. 181, qu’il possède un manuscrit de l’année 1618 (in-4*, basane bleue, filets), qui a pour titre : Contes de Fée, et dont le style, « pour la forme et la gracieuse naïveté, » ressemble, dit-il, à celui de Perrault. Nous avons vainement recherché ce manuscrit. Que contient-il et Perrault l’a-t-il connu ? S’il existe encore, nous saurions un gré infini à son propriétaire actuel de vouloir bien nous le communiquer.
  9. Dans son Troisième Entretien sur le Fils naturel, Diderot se demande, sans nommer Perrault, pourquoi la situation de l’héroïne de la Barbe bleue au haut de la tour, qu’il reconnaît d’ailleurs être fort pathétique, n’attendrit pas un homme sensé, comme elle fait pleurer les petits enfants, « C’est qu’il y a, dit-il, une Barbe bleue qui détruit son effet. »
  10. i. On se demande pourquoi la récente édition Jouaust, d’ailleurs si élégamment illustrée, a réimprimé cette dissertation qui est aujourd’hui par trop insuffisante.
  11. i. Ce très-rare exemplaire de l’édition princeps repose, magnifiquement relié, à la Sorbonne (bibliothèque de M. Cousin, 9677). Il est orné d’un très-médiocre frontispice de Clouzier. C’est cette gravure par trop naïve que, sur la couverture de ce volume, M. Rickebusch a reproduite aussi exactement que le permettaient le bon goût et les lois de la perspective.
  12. i. Textuel.
  13. Ce dictionnaire existe, mais nous n’avons pu nous le procurer.