Les Coréens : Aperçu ethnographique et historique/chapitre III

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Maisonneuve frères et Ch. Leclerc (p. 41-59).


CHAPITRE III

Caractères physiques et intellectuels


§ 1. — TYPES CORÉENS


Les Coréens, au point de vue des caractères physiques, appartiennent à la race Jaune ou Mongolique. On distingue cependant, dans leur pays, trois types principaux qui semblent correspondre à des couches différentes de population, fournies par les émigrations successives qui ont pénétré dans la péninsule.

Le premier de ces types, qui semble prédominant dans une assez forte proportion, est caractérisé par une face large et en quelque sorte aplatie, des pommettes saillantes, une bouche très allongée avec des lèvres épaisses et arrondies, des yeux bridés et obliques ; un nez petit, écrasé ; une barbe rare ; le teint jaune, plus foncé que celui des Chinois et des Japonais.

Le second type, au contraire, présente une face allongée et ovale, un nez proéminent, des yeux légèrement bridés, de petites paupières, une bouche moyenne, des lèvres peu épaisses, des oreilles fines, une barbe et tout un système pileux assez développé ; un teint jaune assez clair, parfois presque blanc ; des cheveux le plus souvent noirs, et par exception roux ; des yeux bruns d’ordinaire, parfois d’un bleu verdâtre ou cuivré. Quelques individus de ce second type ont la poitrine et les jambes couvertes de longs poils généralement noirs ou bruns.


Fig. 1. — Coréen.


Le troisième type enfin se rapproche du premier, mais les individus qui le composent sont moins haut de taille, ont les mâchoires plus proéminentes, la barbe moins fournie, le nez un peu moins écrasé et la peau d’une couleur plus brune.

La première pensée, quand on étudie ces trois types caractéristiques de la population coréenne, est de la rattacher aux « Trois Han » que nous voyons figurer parmi les éléments constitutifs du Tchao-sien aux temps anciens de son histoire. Cette pensée toutefois ne repose que sur une simple hypothèse, car on manque à peu près complètement de données anthropologiques sur ces Trois Han, et jusqu’à présent rien n’autorise à attribuer à ceux-ci les particularités somatologiques qui ont été remarquées chez les Coréens de nos jours.

Il semble cependant avéré que le premier des trois types répond à un élément tongouse venu du midi de la Sibérie orientale, par la voie du Peh Tchih-li, et très mêlé de sang chinois. C’est aussi aux métissages qui se sont fréquemment opérés avec les habitants du nord de la Chine que les Coréens doivent cette chevelure noire si caractéristique qui se rencontre dans une proportion probablement peu inférieure à celle de dix-neuf sur vingt. La largeur de la face, assez commune d’ailleurs chez les Chinois, semble cependant les rapprocher davantage des tribus mongoliques de l’Asie Centrale.


Fig. 2. — Mousse coréen.


On a supposé que des mélanges avaient dû s’opérer dans les premiers siècles de notre ère entre les Coréens, les Chinois et les Japonais. Les traces de ces mélanges, d’ailleurs vraisemblables, ne sont plus guère apparentes aujourd’hui, si ce n’est à la pointe méridionale de la presqu’île qui fait face aux côtes du Japon et dans l’île de Quelpaert où les deux peuples ont dû se trouver fréquemment en contact, depuis les temps anciens jusqu’à nos jours.

Il ne semble pas possible d’établir, pour les femmes coréennes, trois types correspondant pour les caractères extérieurs à ceux des hommes ; maison remarque, dans les basses classes surtout, des physionomies qui rappellent étonnamment celles des femmes aïno de Yéso ou de Karafuto. Les dames de haut rang ressemblent souvent à des chinoises du Nord. Il y a néanmoins chez elles cette particularité qu’elles ont souvent une peau très blanche et sur les joues une coloration plus prononcée que chez leurs voisines du Céleste-Empire. La plupart sont, relativement aux hommes, de fort petite taille ; leur chevelure, en outre, manque de souplesse.

Les nouveau-nés ont souvent la peau d’une couleur jaune très prononcée ; en grandissant, cette couleur, diminue d’intensité et devient tantôt jaune assez clair ou tout à fait brune. L’habitude d’aplatir la tête des enfants en bas âge paraît avoir à peu près complètement disparu de Corée, ainsi que la pratique du tatouage, qu’on suppose empruntée au Japon.

La vieillesse altère rapidement les traits du visage chez les Coréens, et les femmes du pays ne conservent pas longtemps leur fraîcheur et leurs autres caractères juvéniles. Dès qu’elles ont eu plusieurs enfants, les rides apparaissent en grand nombre sur leur figure et leurs cheveux deviennent de plus en plus rares.

Les hommes du peuple sont d’ordinaire vigoureux et peuvent porter aisément de lourds fardeaux. Quelques lutteurs du pays passent pour avoir donné des preuves d’une force prodigieuse.

Les Coréens, pour la plupart, vivent avec une extrême sobriété, et peuvent se soutenir plusieurs jours avec très peu de nourriture. Il n’en a pas toujours été ainsi : car les Japonais avaient remarqué, lors de leurs incursions dans le pays des trois Han, que les Coréens consommaient une quantité énorme de vivres, ce qui les rendait lourds dans leurs mouvements, paresseux et incapables de toute initiative.

Les maladies sont fréquentes dans la péninsule, bien que le climat soit généralement sain. On mentionne, parmi les plus terribles, une sorte de typhus qui fait beaucoup de victimes ; l’épilepsie, dont les cas sont très nombreux ; les fluxions de poitrine fréquentes, surtout dans les provinces du nord-ouest ; les diphtéries ; etc. La petite vérole y cause aussi des ravages, ainsi que la dysenterie. Le choléra y a fait plusieurs terribles apparitions.

Il paraît néanmoins que le chiffre de la population va sans cesse en augmentant dans presque toutes les provinces de la Corée, et que d’année en année il s’y crée de nouvelles villes ou villages ; les montagnes elles-mêmes, longtemps abandonnées, commencent à se couvrir de cultures et de petites habitations. On a évalué le nombre des habitants du royaume à 7, 10 et même 15 millions. Les données statistiques sérieuses font absolument défaut[1].



§ 2. — INSTITUTIONS, MŒURS ET COUTUMES


Ce qu’on appelle « la civilisation coréenne » tire son origine de la Chine. C’est, en effet, à ce dernier pays que les Coréens ont emprunté leurs institutions morales et politiques, leur culture intellectuelle et les éléments des sciences et des arts. La philosophie de Confucius, sur laquelle repose, de nos jours encore, l’édifice social des Chinois, est, pour les habitants de la péninsule, la règle des mœurs publiques, aussi bien dans les classes supérieures que dans les classes les plus infimes de la société.

Un auteur chinois prétend, cependant, que les Coréens n’ont pas accepté la philosophie chinoise, en ce qui concerne le « dualisme » primordial et générateur des êtres (Yin et Yang). Si cet auteur a voulu parler des bouddhistes, la théorie dualiste n’est pas plus admise en Corée qu’en Chine et au Japon ; mais s’il a fait allusion aux classes lettrées du pays, son observation n’est certainement pas exacte.

De même qu’en Chine, toutes les institutions civiles ont pour point de départ indiscutable la doctrine appelée Hyo-to (en chinois Hiao-tao), c’est-à-dire « la Voie de la Piété filiale ». Une loi qui serait en contradiction flagrante avec cette doctrine, serait lettre morte, et nul n’aurait l’obligation de la respecter et de s’y soumettre. Cette « voie » de la Piété filiale règle non seulement les devoirs des membres de la famille les uns vis-à-vis des autres, mais le modus vivendi de tous les sujets tant entre eux qu’avec le roi. Celui-ci est réputé « le père et la mère » de la nation ; et comme rien n’est plus respecté en Corée que l’autorité paternelle, il jouit d’un pouvoir absolu qui n’est tempéré que par les règles même de cette Piété filiale, auxquelles il ne saurait se soustraire sans faire immédiatement acte d’abdication.

Le respect des enfants pour les auteurs de leurs jours est considéré comme le devoir le plus essentiel et le plus indispensable qui puisse exister dans la société. Aussi le code criminel n’a-t-il admis la peine de mort que pour un seul crime : « celui d’avoir injurié ses parents ». Les autres crimes, sont punis de coups de bambous, ou de l’exil dans les îles qui entourent la péninsule[2].

La polygamie existe en Corée à peu près comme en Chine ; mais la plupart des habitants ne profitent point de la tolérance de la loi, et n’ont qu’une seule épouse. Chez les grands seigneurs qui se donnent le luxe de plusieurs femmes, rarement plus de deux ou trois, il en est une, ordinairement la première reçue dans la maison, qui porte le titre de « grande femme », et jouit d’une certaine autorité sur ses compagnes, le plus souvent considérées comme des concubines légales ou comme de simples servantes. Les enfants des différents lits sont réputés appartenir tous à la « grande femme ».

Dans les classes supérieures, les femmes sont soumises à une sorte de réclusion perpétuelle. Elles ne peuvent quitter le gynécée ou « appartement intérieur » que dans des cas exceptionnels, et il ne leur est jamais permis de sortir avant la tombée de la nuit. Achetées par leur époux, elles sont la propriété absolue de leur mari ; et la loi coréenne les considère en quelque sorte comme n’existant pas. Nul ne peut pénétrer dans la partie des habitations où elles demeurent, pas même les agents du gouvernement, si ce n’est aux époques de troubles et de rébellions. Ignorées de l’autorité, elles ne sont pas justiciables de la justice, et leurs époux seuls ont à répondre devant les tribunaux du pays des actes coupables qu’elles ont pu commettre. Pendant les heures de nuit, durant lesquelles l’usage ne permet pas aux hommes de circuler dans les rues, les femmes coréennes, surtout celles des classes moyennes et inférieures, ont la liberté de se promener et de vaquer à leurs petites affaires domestiques. Il y a même une loi d’après laquelle il est permis aux femmes seules de sortir entre huit heures du soir et une heure du matin. On désigne, sous le nom de Pem-ya-hata, la violation de cette loi. Durant cet espace de temps, les Coréennes ne sortent cependant point sans se cacher le visage. On assure d’ailleurs que leur conduite est honnête et réservée.

La population de la Corée est répartie en plusieurs castes. Après les membres de la famille royale, c’est à la noblesse lettrée qu’appartient le premier rang dans l’État ; cette noblesse cultive la philosophie confucéiste et les sciences de la Chine. Vient ensuite la noblesse militaire. Les fonctionnaires publics qui se livrent à des travaux intellectuels, les employés de l’administration, composent la troisième caste. Les industriels et les commerçants, d’une part ; les paysans, les chasseurs et les pêcheurs, de l’autre, constituent les castes inférieures. Au-dessous de ces castes, il en existe encore plusieurs autres qui sont considérées comme méprisables : elles comprennent les bouchers, les tanneurs de cuir, et enfin les esclaves. Ceux-ci ont droit de se racheter ; et, s’ils épousent des femmes libres, les enfants qui naissent de leur union sont réputés affranchis.

La caste des bouchers, dans laquelle sont compris la plupart des métiers consistant à donner la mort à des animaux ou à travailler les produits de leurs cadavres ; est organisée d’une façon qui rappelle la caste des Yeta japonais. Elle est gouvernée par un chef choisi par elle et qui est reconnu par les autorités du pays, avec lesquelles il traite des affaires et des intérêts de ce que l’on peut considérer comme sa corporation. Tous les membres de la caste professent un grand respect pour ce chef et se conforment toujours à ses arrêts. Il est considéré comme investi d’une sorte de pouvoir judiciaire absolu, lorsqu’il s’agit des membres de sa corporation.

Les Coréens ne paraissent pas avoir pour le culte bouddhique, qui est la religion officielle de leur pays, un bien grand enthousiasme. La plupart d’entre eux professent une sorte de scepticisme et de mépris pour les pratiques et pour l’enseignement des bonzes. Chez les habitants des campagnes, on trouve des traces de fétichisme qui semblent se rattacher aux vieilles croyances de leurs pères. On prétend que certains Coréens font encore aujourd’hui des cérémonies en l’honneur du Soleil et des Étoiles, et que quelques-unes d’entre elles rappellent les usages des anciens Guèbres.

La Corée était anciennement organisée, au point de vue de la propriété foncière, sur les bases d’une sorte de communisme assez semblable à celui qui existait au Pérou, dans l’empire des Incas, avant la conquête espagnole. On partageait les terres arables entre tous les habitants, qui n’en étaient qu’usufruitiers, la loi ne permettant pas qu’une parcelle quelconque du pays soit la propriété d’aucun des sujets du roi. La répartition des terres propres à la culture était opérée par les agents du gouvernement, et l’étendue agraire attribuée à chaque père de famille était proportionnée au nombre de têtes qui existaient dans sa maison.

L’instruction publique est très répandue en Corée. Comme on l’a compris par ce qui a été dit plus haut, cette instruction est à peu près exclusivement chinoise. Les enfants apprennent bien dans les écoles à lire les lettres de l’alphabet coréen ; mais, dès qu’ils ont acquis cette première connaissance, leurs maîtres ne les occupent plus qu’à l’étude des lettres, de la littérature et des sciences de la Chine.

La musique est fort en honneur dans le Tchao-sien ; et les classes élevées surtout lui consacrent une grande partie de leurs instants de loisir. C’est une musique composée généralement d’après les préceptes de l’art chinois ; et cet art, dont on a eu tort de se moquer sans le comprendre, n’est pas sans mérite. « Les Chinois, a dit P. Amiot, sont peut-être la nation du monde qui a le mieux connu l’harmonie et qui en a le plus universellement observé les lois. » Les Coréens emploient la gamme de sept notes et empruntent à la peau tendue, aux cordes de soie, à la terre cuite et aux calebasses, les sons à l’aide desquels ils constituent leurs orchestres.

L’industrie est peu avancée en Corée. La politique soupçonneuse du gouvernement de la péninsule a toujours fait des efforts pour s’opposer à tout ce qui pourrait faire croire aux étrangers que le pays possède de grandes ressources et les éléments d’un commerce d’exportation quelque peu étendu. D’accord avec ce principe, tout s’oppose dans la contrée, non seulement au développement de l’industrie somptuaire, mais encore au progrès des arts décoratifs. L’usage de la soie, sans être précisément prohibé, est remplacé le plus souvent par celui du chanvre qui fournit, suivant les Coréens, des tissus moins coûteux et plus solides. Une réaction a cependant commencé à se produire contre cette tendance restrictive, depuis que les Japonais ont renoué des relations avec le sud de la péninsule ; et il n’y a pas à douter que l’industrie ne reprenne bientôt un important essor dans toutes les provinces du Tchao-sien.

La monnaie habituelle de la Corée se compose de sapèques de cuivre, plus rarement de fer, percés au centre de manière à pouvoir être enfilés. Les plus anciennes pièces portent la légende Sam-han-tu-po, c’est-à-dire Monnaie courante de la triarchie des San-kan, dont il a été parlé plus haut[3]. Ces pièces paraissent remonter aux premiers siècles de notre ère.


Fig. 3. — Ancienne monnaie coréenne.


Malgré sa situation exceptionnellement avantageuse pour le progrès de la marine, la Corée n’a point possédé jusqu’à ce jour de vaisseaux capables d’entreprendre des pérégrinations lointaines ; et il ne paraît pas que ses navires aient jamais tenté des traversées plus longues que celle qui devait les conduire jusqu’au Japon. En revanche, le cabotage est très développé sur les côtes de la péninsule, et d’innombrables petites embarcations font sans cesse le service des ports et des nombreuses îles qui les environnent, surtout du côté du golfe de Peh Tchih-li. Ces embarcations ont le plus souvent deux mâts. Une grande cabine avec toiture en recouvre presque foule l’étendue.


Fig. 4. — Bateau de cabotage.


Il n’y a pas à douter que la révolution qui s’est opérée récemment en Corée et le contact chaque jour plus fréquent des indigènes avec les marchands japonais et européens, ne transforme en peu d’années les conditions actuelles de la marine, de l’industrie et du commerce dans le Tchao-sien. Tant que ce royaume a pu éviter d’entrer en rapport avec les pays étrangers, il a trouvé des garanties de sécurité et même un certain état prospère dans les entraves mises par le gouvernement local à toute tentative de multiplier les forces productives de la nation. Il ne peut plus en être ainsi ; et désormais les indigènes ne sauraient vivre longtemps avec les faibles ressources qui suffisaient naguère à leurs besoins. Il faudra, bon gré mal gré, qu’ils arrivent à relever leur industrie, sans laquelle les moyens d’existence ne tarderaient pas à leur manquer.

Déjà le gouvernement de Séoul a jugé utile d’envoyer une mission au Japon à l’effet d’y étudier les institutions commerciales et autres qui pourraient être avantageusement établies dans la péninsule. À l’instar des Japonais aussi, les Coréens ont organisé un service des postes et créé quelques établissements consulaires. C’est par l’initiative du Japon que la civilisation européenne aura été introduite de vive force au milieu d’eux, et que leur pays, naguère encore strictement fermé aux étrangers, sera bientôt ouvert a toutes les nations.


Fig. 5. — Timbres-poste coréens.


L’invasion imminente des idées européennes est, pour la Corée, le signal d’une époque critique et d’une révolution économique des plus radicales. Nous ne tarderons pas à connaître les effets de cette révolution.
  1. On trouvera cependant dans l’appendice de ce petit volume, un tableau aussi approximatif que possible de la population actuelle de la Corée.
  2. Klaproth, Aperçu des trois royaumes, p. 91. — la mansuétude des lois coréennes, il faut le dire, est en désaccord avec le récit des voyageurs qui, depuis Hamel de Gorcum, n’ont pas cessé de décrire longuement les différents genres de tortures et de supplices pratiqués dans la péninsule. Il est évident que les institutions et les usages de la Corée ont dû changer considérablement suivant les époques ; et jusqu’à présent nos connaissances relatives à ce pays sont trop imparfaites pour qu’il soit possible de distinguer les particularités de temps et de lieux. L’ouverture des ports de Corée au commerce européen permettra sans doute de rectifier prochainement les données que nous ont fourni les auteurs chinois et qui, jusqu’à présent, sont les plus complètes que nous possédions sur cette dernière terra incognita du monde asiatique. (Voy., néanmoins, Hamel, Relation du naufrage d’un vaisseau holandois sur la coste de l’isle de Quelpaert, traduction de Minutoli, p. 118 et sv. ; Dallet, Histoire de l’Église de Corée, t. I, p. lxv ; Revue de l’Orient, 1847, p. 383.)
  3. Siebold, Archiv zur Beshreibung von Japon, Nippon vii, p. 25.