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Les Cultes (Verhaeren)

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Les Forces tumultueusesSociété du Mercure de France (p. 109-114).
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LES CULTES




Toutes les enclumes des ors et des tonnerres
Retentissent, là-haut, en des amas de nuit ;
Un atelier de feu et d’ombre y fut construit
Par Gog et par Magog pour les dieux millénaires.

Ammon et Jéhovah y rencontrent Satan ;
Le vieux Vulcain y frappe, à coups brutaux mais justes,
Pour le compte du Christ, l’auréole des justes.
Les deux portiers saint Pierre et Thot ont l’air content.

Tous les schismes sont loin. Seule survit l’idée.
Les Dieux sont assez vieux pour ne faire plus qu’un
Et recueillir pour soi, dans tous et dans chacun,
Le multiforme écho des prières dardées.


Les sophistes sacrés marquent d’un scel pieux
— Serpent, lotus ou croix — la science du monde,
Et baptisent l’envol des forces errabondes
Qui passent au delà des hommes et des dieux.

Sur l’arbre du mystère, ils greffent le prodige ;
Le miracle incessant tient la place des lois,
Leur passion du ciel prend en croupe la foi
Et l’élève, de roc en roc, jusqu’au vertige.

Il n’est plus rien de vrai, puisque tout est divin.
L’esprit doit abdiquer l’orgueil qui le fait vivre
Pour lui-même, par la pensée et par le livre ;
On empoisonne l’inconnu dont il a faim.

Voici la paix de la banale certitude ;
Hommes, pourquoi chercher ? Vous avez le repos,
Il coule en vous, mais c’est du plomb, parmi vos os,
Et du bonheur, dans sa plus morne plénitude.

Rien n’est plus haut, malgré l’angoisse et le tourment,
Que la bataille avec l’énigme et les ténèbres ;
Oh nos flèches d’airain trouant les soirs funèbres,
Vers quelque astre voilé qui brûle au firmament !


Et qu’importent le doute ardent, l’ombre profonde,
Le tumulte qui rend l’effort plus effréné ;
Cœur et cerveau, dans un élan simultané,
Chacun à travers soi doit conquérir le monde.

Dites, la proie et le butin qu’est l’univers
Saignant, dans la splendeur de l’étendue entière ?
Nous travaillons et nous pensons de la matière,
Et son secret vit en nous-mêmes, à découvert.

Nos contrôles le voient, s’ils ne le définissent ;
L’unité est en nous, et non pas dans les dieux ;
L’effroi si longtemps maître a déserté les cieux
Et s’est éteint dans les yeux morts des Pythonisses.

L’homme respire et sur la terre il marche, seul.
Il vit pour s’exalter du monde et de lui-même ;
Sa langue oublie et la prière et le blasphème ;
Ses pieds foulent le drap de son ancien linceul.

Il est l’heureuse audace au lieu d’être la crainte  ;
Tout l’infini ne retentit que de ses bonds
Vers l’avenir plus doux, plus clair et plus fécond
Dont s’aggrave le chant et s’alentit la plainte.


Penser, chercher et découvrir sont ses exploits.
Il emplit jusqu’aux bords son existence brève ;
Il n’enfle aucun espoir, il ne fausse aucun rêve,
Et s’il lui faut des Dieux encore — qu’il les soit !