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Les Désirs et les jours/1/07

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Texte établi par L’Arbre (1p. 60-65).
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VII

Depuis quelque temps, Massénac défend le paradoxe que la vie est un jeu où la police est l’adversaire qu’il faut déjouer. Il s’est procuré un Code criminel et il consacre à cette étude passionnante ses jours et ses nuits. Il a déjà trouvé vingt moyens d’enfreindre la loi sans en subir les conséquences. Sa science est encore toute spéculative. Comme un néophyte, il tient à convaincre. Il expose des cas à ses camarades, les invite à le prendre en défaut. Partout où il va, il apporte la même préoccupation. Certains sont scandalisés, d’autres se moquent de lui.

La séance à laquelle Massénac doit être présenté à Germaine a lieu au Cercle paroissial, dans une salle où se réunissent à tour de rôle, les peintres du dimanche, les dames de Sainte Anne et le cercle ouvrier.

Ce soir, la réunion est mixte. Massénac et Auguste prennent place dans un coin de la salle nue, où les cadres ne sont même pas accrochés, mais appuyés aux murs, posés de guingois sur des meubles ébréchés et même sur des fauteuils. On les déplace pour s’asseoir.

Il y a là des femmes vieilles et laides, des adolescentes excitées, une femme de trente ans dont les cheveux tout blancs contrastent avec les traits jeunes, la peau fraîche ; une fillette au visage fané, des vieilles filles en grand nombre, reconnaissables à leurs jupes désuètes, à un lorgnon, à des chemises attachées au cou, à leur visage luisant ; des hommes, presque tous laids et vieux ou efféminés. Pierre se demande où tous ces gens se cachent le jour dans Deuville et surtout quel miracle a pu opérer leur rencontre. Isolés, ils passeraient inaperçus. En groupe, ils s’éclairent étrangement les uns les autres.

Massénac veut raconter à Auguste le dernier procédé qu’il a découvert pour déjouer la loi : le crime parfait. Auguste ne l’écoute pas. Une jeune fille, qui a remporté un prix de musique, s’installe au piano. Sa mère, en robe claire à petites fleurs, se tient debout, près d’elle, la main sur le cahier de musique, prête à tourner les pages, un sourire triomphant dans tous les plis de son visage.

La jeune pianiste, en robe blanche, plutôt grassouillette, sourit gentiment. Auguste remarque dans l’oreille de Pierre qu’elle offre d’une façon mélancolique le contraste d’une beauté indéniablement virginale et d’un regard qui ne l’est plus.

Durant l’intermède, on sert du punch aux invités. Auguste veut refuser, mais Massénac prend un verre pour lui.

Enfin, Germaine paraît. Elle a quelque chose de félin dans la démarche et dans sa chevelure sombre courent des reflets mordorés. Elle n’est pas belle, mais vive, enjouée ; tous ses gestes disent le plaisir d’agir. Pierre l’aime aussitôt.

Un chanteur à lorgnon succède à la pianiste. Massénac ne quitte pas des yeux Germaine qui a l’air de s’amuser. Pendant l’intermède, des groupes se forment : en dépit des efforts des organisateurs, ils ne se mêlent pas. Une adolescente pousse l’inconvenance jusqu’à se laisser embrasser entre deux portes.

Enfin, Germaine se libère d’un groupe de vieilles filles et ils peuvent l’approcher. Elle a amené une amie. Après les présentations, Auguste les entraîne dans un restaurant.

Massénac est ébloui par le luxe qui l’entoure, le menu compliqué, l’éclat des couverts. Auguste parfaitement maître de lui, indique sa place à Massénac à côté de l’inconnue. Pierre est ému, intimidé par le charme de Germaine et absorbé par la crainte de commettre un impair. Germaine est déjà assise. Il s’approche de la table. Auguste lui fait un signe, sous prétexte d’attirer son attention sur un mot de l’inconnue. Il comprend et présente la chaise à la jeune fille.

Germaine ne le regarde pas. La compagne de Pierre, moins jolie que Germaine, est aussi intimidée que lui. Auguste conduit la conversation, s’adressant à l’une ou l’autre jeune fille, les interrogeant, les taquinant, relevant leurs moindres propos, les commentant, pour en faire ressortir la profondeur ou la finesse. Pierre, tout entier à la tâche de surveiller ses compagnons pour imiter leurs gestes, ne réussit pas à se mêler à la conversation, qui, d’ailleurs est un monologue d’Auguste, rendu particulièrement brillant par l’admiration des deux jeunes filles. Après le souper, celles-ci ne veulent pas se séparer. Elles remercient Auguste, font en chœur son éloge. Elles ont promis de rentrer ensemble. Massénac, oublié de tous, parle alors de partir. Germaine proteste, mais Auguste dit :

— Il est fatigué. Il sait mieux que toi ce qu’il doit faire.

Auguste ne pense pas que Massénac a senti l’incorrection de cette remarque. Celui-ci n’en laisse rien paraître et s’en va, délivré.

Germaine reproche à Auguste sa dureté. Il est heureux qu’elle l’ait remarquée.

— Vous ne gardez pas longtemps vos amis, dit l’inconnue.

— Vous croyez, dit-il. Il se met à rire, se sentant admiré.

La mauvaise humeur d’Auguste contre Pierre a une cause secrète. Le jeune homme aime à discuter avec Louis et Maurice Lavelle qui l’ont suivi au collège. Il a eu l’imprudence de leur présenter Massénac qu’il se flattait d’élever ainsi avec lui. Or, comme Germaine, les Lavelle prennent Massénac trop au sérieux. Ils ne font aucune différence entre lui et Pierre et même invitent seul ce dernier. Auguste en souffre. Les taquineries des deux frères devant son camarade, froissent son amour-propre.

Auguste, en quittant ses compagnes, s’enferme dans sa chambre sous prétexte de travailler. Il s’installe à la fenêtre dans l’obscurité et laisse errer sa pensée. Que font en ce moment ses amis Lavelle ? Louis est un bon vivant. Il est gras et jovial. Il traite comme ses plus intimes amis les gens qu’il rencontre pour la première fois. Auguste, au contraire, est exclusif en amitié. Il ne se livre pas facilement.

Maurice Lavelle est tout l’opposé de son frère. Il est grand et malingre. Il se range dans la catégorie des types sensibles. Son défaut, c’est de se méfier de son intelligence, qui est fine. Il trouve péniblement ses idées ou plutôt les formules qui enveloppent ses sentiments devant une idée.

Louis et Maurice ne peuvent comprendre qu’Auguste défende sincèrement une opinion d’une façon brillante. « Je me méfie de ce qui brille », dit Louis, qui est attiré par Massénac parce que celui-ci est sans surprise. Quand Auguste a longuement discuté, exposé sa pensée avec feu, alors que Massénac n’a fait que poser les questions, Louis résume le débat en disant : « Massénac a été très brillant. » Cette phrase a le don de déprimer Auguste.