Les Dents du tigre/II, 5

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XV. — Weber prend sa revanche.

Don Luis eut un moment de stupéfaction. Florence ici, Florence qu’il avait laissée dans le train sous la surveillance de Mazeroux, et à qui, matériellement, il était impossible de revenir à Paris avant huit heures du soir !

Aussitôt d’ailleurs, et malgré la déroute de son cerveau, il comprit. Florence, se sachant poursuivie, les avait entraînés jusqu’à la gare Saint-Lazare, et elle descendait à contre-voie tandis que l’excellent Mazeroux, emmené par le train, surveillait la voyageuse absente.

Mais soudain la situation lui apparut dans toute son horreur. Florence était là, pour réclamer l’héritage, et cette réclamation, il l’avait dit lui-même, constituait la preuve de culpabilité la plus effroyable.

D’un bond, sous l’impulsion d’un sentiment irrésistible, don Luis fut auprès de la jeune fille, la saisit par le bras, et lui dit avec une violence presque haineuse :

— Qu’est-ce que vous venez faire ici ? Qu’est-ce que vous venez faire ? Pourquoi ne m’avoir pas averti ?…

M. Desmalions s’interposa. Mais don Luis, sans lâcher prise, s’écria :

— Eh ! monsieur le préfet, vous ne voyez donc pas que tout cela n’est qu’une erreur ? La personne que nous attendons, que je vous ai annoncée, n’est pas celle-ci. L’autre se cache, comme toujours. Mais il est impossible que Florence Levasseur…

— Je n’ai aucune prévention contre mademoiselle, dit le préfet de police d’une voix impérieuse. Mais mon devoir est de l’interroger sur les circonstances qui déterminent sa visite. Je n’y manquerai pas…

Il dégagea la jeune fille et la fit asseoir. Lui-même prit place devant son bureau, et il était facile de voir combien la présence de la jeune fille l’impressionnait. Par cette présence l’argumentation de don Luis se trouvait pour ainsi dire illustrée. L’entrée en scène d’une personne nouvelle, ayant des droits à l’héritage, c’était incontestablement, pour tout esprit logique, l’entrée en scène d’une criminelle apportant elle-même les preuves de ses crimes. Don Luis le sentit nettement, et, dès lors, il ne quitta plus des yeux le préfet de police.

Florence les regardait tour à tour comme si tout cela eût été pour elle la plus insoluble des énigmes. Ses beaux yeux noirs conservaient leur habituelle expression de sérénité. Elle n’avait plus son vêtement d’infirmière, et sa robe grise, très simple, sans ornements, montrait sa taille harmonieuse. Elle était grave et tranquille ainsi que de coutume.

M. Desmalions lui dit :

— Expliquez-vous, mademoiselle.

Elle répliqua :

— Je n’ai rien à expliquer, monsieur le préfet. Je viens à vous chargée d’une mission que je remplis sans en connaître la signification exacte.

— Que voulez-vous dire : sans en connaître la signification ?

— Voici, monsieur le préfet. Quelqu’un en qui j’ai toute confiance, et pour qui j’éprouve le plus profond respect, m’a priée de vous remettre certains papiers. Ils concernent, paraît-il, la question qui fait l’objet de votre réunion d’aujourd’hui.

— La question d’attribution de l’héritage Cosmo Mornington ?

— Oui, monsieur le préfet.

— Vous savez que, si cette réclamation ne s’était pas produite au cours de cette séance, elle eût été sans effet ?

— Je suis venue dès que les papiers m’ont été remis.

— Pourquoi ne vous les a-t-on pas remis une heure ou deux plus tôt ?

— Je n’étais pas là. J’avais dû quitter en toute hâte la maison que j’habite actuellement.

Perenna ne douta pas que ce fût lui qui, par son intervention, avait, en provoquant la fuite de Florence, dérangé les plans de l’ennemi.

Le préfet continua :

— Donc vous ignorez les raisons pour lesquelles on vous a confié ces papiers ?

— Oui, monsieur le préfet.

— Et vous ignorez aussi, évidemment, ce en quoi ils vous concernent ?

— Ils ne me concernent pas, monsieur le préfet.

M. Desmalions sourit, et prononça nettement, les yeux attachés à ceux de Florence :

— D’après la lettre qui les accompagne, ils vous concernent directement. Ils établissent, en effet, de la manière la plus certaine, paraît-il, que vous descendez de la famille Roussel et que vous avez, par conséquent, tous les droits à l’héritage Cosmo Mornington.

— Moi !

Le cri fut spontané, cri d’étonnement et de protestation.

Et, tout de suite, insistant :

— Moi, des droits à cet héritage ! Aucun, monsieur le préfet, aucun. Je n’ai jamais connu M. Mornington. Quelle est cette histoire ? Il y a là un malentendu.

Elle parlait avec beaucoup d’animation et avec une franchise apparente qui eut impressionné un autre homme que le préfet de police. Mais pouvait-il oublier les arguments de don Luis et l’accusation portée d’avance contre la personne qui se présenterait à cette réunion ?

— Donnez-moi ces papiers, fit-il.

Elle sortit d’un petit sac une enveloppe bleue qui n’était point cachetée, et à l’intérieur de laquelle il trouva plusieurs feuilles jaunies, usées à l’endroit des plis, déchirées çà et là.

Au milieu d’un grand silence, il les examina, les parcourut, les étudia dans tous les sens, déchiffra à l’aide d’une loupe les signatures et les cachets dont ils étaient revêtus, et dit :

— Ils offrent tous les signes de l’authenticité, les cachets sont officiels.

— Alors, monsieur le préfet ? articula Florence d’une voix qui tremblait…

— Alors, mademoiselle, je vous dirai que votre ignorance me semble bien incroyable.

Et, se tournant vers le notaire, il prononça :

— Voici, en résumé, ce que contiennent et ce que prouvent ces documents. Gaston Sauverand, héritier en quatrième ligne de Cosmo Mornington, avait, comme vous le savez, un frère plus âgé que lui, du nom de Raoul, et qui habitait la République Argentine. Ce frère, avant de mourir, envoya en Europe, sous la garde d’une vieille nourrice, une enfant de cinq ans qui n’était autre que sa fille, fille naturelle, mais reconnue, qu’il avait eue de Mlle Levasseur, institutrice française établie à Buenos-Aires. Voici l’acte de naissance. Voici la déclaration, écrite tout entière et signée par le père. Voici l’attestation libellée par la vieille nourrice. Voici le témoignage de trois amis, commerçants notoires de Buenos-Aires. Et voici les actes de décès du père et de la mère. Tous ces documents furent légalisés et portent les cachets du consulat de France. Je n’ai, jusqu’à nouvel ordre, aucun motif de les suspecter, et je dois considérer Florence Levasseur comme la fille de Raoul Sauverand et comme la nièce de Gaston Sauverand.

— La nièce de Gaston Sauverand… sa nièce… balbutia Florence.

L’évocation d’un père qu’elle n’avait pour ainsi dire pas connu ne l’émouvait pas. Mais elle se mit à pleurer au souvenir de Gaston Sauverand qu’elle chérissait si tendrement et à qui elle se trouvait unie par des liens de parenté si étroits.

Larmes sincères ? ou bien larmes de comédienne qui sait jouer son rôle jusqu’en ses moindres nuances ? Ces faits lui étaient-ils vraiment révélés ou bien simulait-elle les sentiments que la révélation de ces faits devait produire en elle ?

Plus encore qu’il ne surveillait la jeune fille, don Luis observait M. Desmalions, et tâchait de lire la pensée secrète de celui qui allait décider. Et soudain il vit avec une telle certitude que l’arrestation de Florence était chose résolue, comme peut l’être l’arrestation du plus monstrueux criminel, qu’il s’approcha de la jeune fille et lui dit :

— Florence.

Elle leva sur lui ses yeux brouillés de pleurs et ne répliqua point.

Alors il s’exprima lentement :

— Pour vous défendre, Florence, car vous êtes, à votre insu, je n’en doute pas, dans l’obligation de vous défendre, il faut que vous compreniez la situation terrible où vous placent les événements. Florence, M. le préfet de police a été conduit, par la logique même de ces événements, à cette conviction définitive que la personne qui entrera dans cette pièce et dont les droits à l’héritage seront évidents est la personne même qui a tué les héritiers Mornington. Vous êtes entrée, Florence, et vous êtes l’héritière certaine de Cosmo Mornington.

Il la vit qui frémissait des pieds à la tête, et qui devenait pâle comme une morte. Pourtant elle n’eut pas un mot de protestation et pas un geste.

Il reprit :

— L’accusation est précise, vous n’y répondez pas ?

Elle resta longtemps sans parler, puis déclara :

— Je n’ai rien à répondre. Tout cela est incompréhensible. Que voulez-vous que je réponde ? Ce sont des choses si obscures !…

En face d’elle don Luis frissonnait d’angoisse. Il balbutia :

— C’est tout ?… Vous acceptez ?…

Au bout d’un instant, elle dit à mi-voix :

— Expliquez-vous, je vous en supplie. Vous voulez dire, n’est-ce pas ? qu’en ne répondant pas j’accepte l’accusation…

— Oui.

— Et alors ?

— C’est l’arrestation… la prison…

— La prison !

Elle parut souffrir atrocement. La peur décomposait son beau visage. La prison, pour elle, cela devait représenter les tortures subies par Marie-Anne et par Sauverand. Cela devait signifier le désespoir, la honte, la mort, toutes ces horribles choses que Marie-Anne et Sauverand n’avaient pu éviter et dont elle serait victime à son tour…

Un accablement immense la terrassa, et elle gémit :

— Comme je suis lasse !… Je sens si bien qu’il n’y a rien à faire !… Les ténèbres m’étouffent… Ah ! si je pouvais voir et comprendre !…

Un long silence encore. Penché sur elle, M. Desmalions l’étudiait aussi de toute son attention concentrée. À la fin, comme elle se taisait, il tendit la main vers le timbre, et sonna, à trois reprises.

Don Luis ne bougea pas, les yeux éperdument attachés à Florence. Au fond de lui, c’était la bataille suprême entre tous ses instincts d’amour et de générosité qui le portaient à croire la jeune fille, et sa raison qui l’obligeait à la défiance. Innocente ? Coupable ? Il ne savait pas. Tout était contre elle. Et cependant pourquoi n’avait-il pas cessé de l’aimer ?

Weber entra, suivi de ses hommes. M. Desmalions s’entretint avec lui en désignant Florence. Weber s’approcha d’elle.

— Florence, appela don Luis.

Elle le regarda, et elle regarda Weber et ses hommes, et, soudain, comprenant ce qui allait se passer, elle recula, vacilla un moment sur elle-même, étourdie, défaillante, et s’abattit dans les bras de don Luis :

— Ah ! sauvez-moi ! Sauvez-moi ! je vous en supplie.

Et il y avait dans ce geste un tel abandon, et il y avait dans ce cri une détresse où l’on sentait si bien l’effarement de l’innocence, que don Luis fut brusquement éclairé. Une foi ardente le souleva. Ses doutes, ses réserves, ses hésitations, ses tourments, tout cela fut englouti sous l’assaut d’une certitude qui déferlait en lui comme une vague indomptable. Et il s’exclama :

— Non, non, cela ne sera pas ! Monsieur le préfet, il y a des choses qui ne sont pas admissibles…

Il s’inclina sur Florence, qu’il tenait dans ses bras si fortement que personne n’aurait pu la détacher de lui. Leurs yeux se rencontrèrent. Son visage était tout contre celui de la jeune fille. Il tressaillit d’émotion à la sentir toute palpitante, si faible et si désemparée, et il lui dit passionnément, d’une voix si basse qu’elle seule put l’entendre :

— Je vous aime… je vous aime… Ah ! Florence, si vous saviez ce qui se passe en moi… ce que je souffre, et combien je suis heureux… Ah ! Florence, Florence, je vous aime…

Sur un signe du préfet, Weber s’était éloigné. M. Desmalions voulait assister au choc imprévu de ces deux êtres si mystérieux, don Luis Perenna et Florence Levasseur.

Don Luis délia ses bras et assit la jeune fille sur un fauteuil. Puis, posant ses deux mains sur les épaules, face à face, il prononça :

— Si vous ne comprenez pas, Florence, moi je commence à comprendre bien des choses, et déjà j’y vois presque dans les ténèbres qui vous effraient. Florence, écoutez-moi… Ce n’est pas vous qui agissez, n’est-ce pas ?… Il y a un autre être derrière vous, au-dessus de vous. Et c’est lui qui vous dirige… n’est-ce pas ? Et vous ignorez même où il vous conduit ?

— Personne ne me dirige… Quoi ?… Expliquez-vous.

— Oui, vous n’êtes pas seule dans la vie. Il y a bien des actes que vous accomplissez parce qu’on vous dit de les accomplir et que vous les croyez justes, et que vous ignorez leurs conséquences… Répondez… Êtes-vous entièrement libre ? Ne subissez-vous aucune influence ?

La jeune fille semblait s’être reprise et son visage recouvrait un peu de ce calme qui lui était habituel. On eût dit, cependant, que la question de don Luis l’impressionnait.

— Mais non, dit-elle, aucune influence… Non, je suis sûre.

Il insista, avec une ardeur croissante :

— Non, vous n’êtes pas sûre, ne dites pas cela. Quelqu’un vous domine, et sans que vous le sachiez. Réfléchissez… Vous voici héritière de Cosmo Mornington… héritière d’une fortune qui vous est indifférente, je le sais, je l’affirme. Eh bien, cette fortune, si ce n’est pas vous qui la désirez, qui donc en sera le maître ? Répondez… Y a-t-il quelqu’un qui ait intérêt ou qui croie avoir intérêt à ce que vous soyez riche ? Tout est là. Votre existence est-elle attachée à celle d’un autre ? Êtes-vous son amie ? sa fiancée ?

Elle eut un sursaut de révolte.

— Oh ! jamais ! Celui dont vous parlez est incapable…

— Ah ! s’écria-t-il, secoué de jalousie, vous l’avouez… Il existe donc bien, celui dont je parle ! Ah ! je vous jure que le misérable…

Il se retourna vers M. Desmalions, la figure convulsée de haine, sans plus essayer de se contenir.

— Monsieur le préfet, nous arrivons au but. Je connais le chemin qui nous y mènera. La bête fauve sera traquée cette nuit… demain au plus tard… Monsieur le préfet, la lettre qui accompagne ces documents, la lettre non signée que mademoiselle vous a remise, cette lettre fut écrite par la mère supérieure qui dirige une clinique située avenue des Ternes. En faisant une enquête immédiate dans cette clinique, en interrogeant la supérieure, en la confrontant avec mademoiselle, on remontera jusqu’au coupable lui-même. Mais il ne faut pas perdre une minute… sinon, ce sera trop tard, la bête fauve aura pris la fuite.

Son emportement était irrésistible. Sa conviction s’imposait avec une force contre laquelle on ne pouvait lutter.

M. Desmalions objecta :

— Mademoiselle pourrait nous renseigner…

— Elle ne parlera pas, ou du moins elle ne parlera qu’après, quand cet homme aura été démasqué devant elle. Ah ! monsieur le préfet, je vous supplie d’avoir confiance en moi comme les autres fois. Toutes mes promesses n’ont-elles pas été exécutées ? Ayez confiance, monsieur le préfet, ne doutez plus. Rappelez-vous que toutes les charges, et les plus lourdes, accablaient Marie-Anne Fauville et Gaston Sauverand et qu’ils ont succombé malgré leur innocence. La justice voudra-t-elle que Florence Levasseur soit sacrifiée comme les deux autres ? Et puis, ce que je demande, ce n’est pas sa libération, mais le moyen de la défendre… c’est-à-dire une heure ou deux de répit. Que le sous-chef Weber soit responsable d’elle. Que vos agents nous accompagnent. Ceux-là, et d’autres aussi, car ce n’est pas trop pour prendre au gîte l’abominable assassin.

M. Desmalions ne répondit pas. Au bout d’un instant il emmena Weber à part, et il eut avec le sous-chef une conversation qui dura quelques minutes. En réalité, M. Desmalions ne semblait pas très favorable à la demande de don Luis. Mais on entendit Weber qui disait :

— N’ayez aucune crainte, monsieur le préfet, nous ne risquons rien.

Et M. Desmalions céda.

Quelques moments plus tard, don Luis Perenna et Florence montaient dans une automobile avec Weber et deux inspecteurs. Une autre auto, chargée d’agents, suivait.

La maison de santé fut littéralement investie par les forces policières, et Weber accumula les précautions d’un siège en règle.

Le préfet de police, qui s’en vint de son côté, fut introduit par le domestique dans l’antichambre, puis dans le salon d’attente. La supérieure, mandée aussitôt, le rejoignit. En présence de don Luis, de Weber et de Florence, tout de suite, sans préambule, il l’interrogea.

— Ma sœur, dit-il, voici une lettre que l’on m’a apportée à la Préfecture et qui m’annonçait l’existence de certains documents concernant un héritage. D’après mes informations, cette lettre, non signée, et dont l’écriture est déguisée, aurait été écrite par vous. En est-il ainsi ?

De figure énergique, d’aspect résolu, la supérieure répliqua sans embarras :

— Il en est ainsi, monsieur le préfet. Comme j’ai eu l’honneur de vous l’écrire, j’aurais préféré, pour des raisons faciles à comprendre, que mon nom ne fût pas prononcé. D’ailleurs l’envoi seul des documents importait. Mais, puisque l’on a pu remonter jusqu’à moi, je suis prête à répondre.

M. Desmalions reprit, en dévisageant Florence :

— Je vous demanderai d’abord, ma sœur, si vous connaissez mademoiselle ?

— Oui, monsieur le préfet. Florence a passé six mois chez nous comme infirmière, il y a quelques années. J’étais si contente d’elle que j’ai été heureuse de la reprendre il y a huit jours. Sachant son histoire par les journaux, je l’ai simplement priée de changer de nom. Le personnel de la maison était nouveau. C’était donc ici, pour elle, un refuge assuré.

— Mais vous n’ignorez pas, puisque vous avez suivi les journaux, les accusations dont elle est l’objet ?

— Ces accusations ne comptent pas, monsieur le préfet, pour quiconque connaît Florence. C’est une des âmes les plus hautes et une des consciences les plus nobles que j’aie rencontrées.

Le préfet continua :

— Parlons des documents, ma sœur. D’où viennent-ils ?

— Hier, monsieur le préfet, j’ai trouvé dans ma chambre un avis par lequel on s’offrait à me remettre des papiers intéressant Mlle Florence Levasseur…

— Comment pouvait-on savoir, interrompit M. Desmalions, qu’elle était dans cette maison ?

— Je l’ignore. On m’annonçait simplement que les papiers seraient tel jour — c’est-à-dire ce matin — à Versailles, poste restante, à mon nom. On me priait de n’en parler à personne et de les remettre à Florence Levasseur cet après-midi à trois heures, avec mission de les porter sur-le-champ au préfet de police. On me chargeait en outre de faire parvenir une lettre au brigadier Mazeroux.

— Au brigadier Mazeroux ! C’est bizarre.

— L’envoi de cette lettre, paraît-il, concernait toujours la même affaire. J’aime beaucoup Florence. J’ai donc envoyé la lettre, et ce matin j’ai été à Versailles. On ne m’avait pas trompée : les papiers étaient là. Quand je suis revenue, Florence était absente. Je n’ai pu les lui remettre qu’à son retour, vers quatre heures.

— Ils avaient été expédiés de quelle ville ?

— De Paris. L’enveloppe portait le timbre de l’avenue Niel, qui est précisément le bureau le plus proche d’ici.

— Et le fait de trouver tout cela dans votre chambre ne vous semblait pas étrange ?

— Certes, monsieur le préfet, mais pas plus étrange que tous les épisodes de l’affaire elle-même.

— Cependant… cependant… reprit M. Desmalions, qui examinait la pâle figure de Florence, cependant, en constatant que les instructions que l’on vous donnait provenaient d’ici, de cette maison, et qu’elles concernaient justement une personne qui résidait dans cette maison, n’avez-vous pas eu l’idée que cette personne…

— L’idée que Florence avait pénétré dans ma chambre à mon insu, pour y faire une pareille besogne ? s’écria la supérieure. Ah ! monsieur le préfet, Florence en est incapable.

La jeune fille se taisait, mais sa figure contractée laissait voir les sentiments d’effroi qui la bouleversaient.

Don Luis s’approcha et lui dit :

— Les ténèbres se dissipent, n’est-ce pas, Florence ? et cela vous fait mal. Qui a donc déposé la lettre dans la chambre de la mère supérieure ? Vous le savez, n’est-ce pas ? et vous savez qui mène toute cette intrigue ?

Elle ne répondit pas. Alors, s’adressant au sous-chef, le préfet prononça :

— Weber, veuillez visiter la chambre que mademoiselle occupa.

Et comme la religieuse protestait :

— Il est indispensable, déclara-t-il, que nous soyons éclairés sur les raisons pour lesquelles mademoiselle garde un silence aussi obstiné.

Elle-même, Florence indiqua le chemin. Mais, au moment où Weber sortait, don Luis s’écria :

— Attention, sous-chef.

— Attention, et pourquoi ?

— Je ne sais pas, fit don Luis, qui, en effet, n’aurait pu dire pourquoi la conduite de Florence l’inquiétait, je ne sais pas… Cependant, je vous préviens.

Weber haussa les épaules, et, accompagné de la supérieure, s’en alla. Dans l’antichambre, il prit deux hommes avec lui. Florence marchait en avant. Elle monta un étage et suivit un long corridor bordé de chambres, lequel, après un tournant, aboutissait à un petit couloir extrêmement étroit et terminé par une porte.

C’était là qu’elle habitait.

La porte ouvrait, non pas à l’intérieur de la chambre, mais à l’extérieur. Florence la tira donc vers elle tout en reculant, ce qui obligea Weber à reculer également. Elle en profita pour entrer d’un bond, et pour refermer la porte sur elle, avec une telle promptitude que le sous-chef, en voulant saisir le battant, ne rencontra que le vide.

Il eut un mouvement de colère.

— La coquine ! elle va brûler des papiers.

Et, s’adressant à la sœur :

— Cette chambre n’a pas d’autre issue ?

— Aucune, monsieur.

Il essaya d’ouvrir, mais elle avait fermé à clef et au verrou. Alors il livra passage à un des hommes, un colosse, qui, d’un coup de poing, démolit un des panneaux.

Weber repassa au premier rang, glissa le bras par la brèche, tira le verrou, fit manœuvrer la clef, et entra.

Florence n’était plus dans la chambre.

En face, une petite fenêtre ouverte montrait le chemin suivi.

— Crebleu de bon sort ! cria-t-il, elle a fichu le camp.

Et, retournant vers l’escalier, il ordonna d’une voix tonnante :

— Qu’on surveille toutes les sorties ! Qu’on lui mette la main au collet !

M. Desmalions accourut. Croisant le sous-chef, il se fit donner des explications, puis gagna la chambre de Florence. La fenêtre ouverte donnait sur une petite courette intérieure, sorte de puits par où s’aéraient certaines pièces de l’immeuble. Des tuyaux descendaient jusqu’en bas. Florence avait dû s’y accrocher. Mais quel sang-froid et quelle volonté indomptable dénonçait une telle évasion !

Déjà les agents s’étaient répandus de tous côtés pour barrer la route à la fugitive. On ne tardait pas à savoir que Florence, dont on cherchait les traces au rez-de-chaussée et au sous-sol, était rentrée de la courette dans la chambre située au-dessous de la sienne, et qui était précisément celle de la supérieure, qu’elle avait revêtu une robe de religieuse et que, à l’abri de ce déguisement, elle avait passé inaperçue au milieu même des gens qui la poursuivaient !

On s’élança dehors. Mais la nuit était venue. Comment les recherches ne seraient-elles pas vaines en ce quartier populeux ?

Le préfet de police ne cachait pas son mécontentement. Don Luis, très déçu également par cette fuite qui contrariait ses plans, ne se fit pas faute de souligner la maladresse de Weber :

— Je vous l’avais bien dit, sous-chef, il fallait prendre vos précautions ! L’attitude de Mlle Levasseur laissait tout prévoir. Il est évident qu’elle connaît le coupable, et qu’elle a voulu le rejoindre, lui demander des explications et, qui sait ? le sauver, s’il arrivait à la convaincre. Et que se passera-t-il entre eux ? Se sentant découvert, le bandit est capable de tout.

M. Desmalions questionna de nouveau la supérieure, et il ne tardait pas à apprendre que Florence Levasseur, huit jours plus tôt, et avant de se réfugier à la clinique, avait habité durant quarante-huit heures un petit hôtel meublé de l’île Saint-Louis.

Si peu que valût l’indication, on ne pouvait la négliger. Le préfet de police, qui conservait tous ses doutes à l’égard de Florence et qui attachait une importance extrême à la capture de la jeune fille, enjoignit à Weber et à ses hommes de suivre cette piste sans plus tarder. Don Luis accompagna le sous-chef.

Tout de suite l’événement donna raison au préfet de police. Florence s’était réfugiée dans l’hôtel meublé de l’île Saint-Louis, où elle avait retenu une chambre sous un nom d’emprunt. Mais elle n’était pas arrivée qu’un petit gamin se présentait au bureau de l’hôtel, la faisait demander et l’emmenait avec lui.

On monta dans la chambre et l’on trouva un paquet enveloppé d’un journal et qui contenait une robe de religieuse. Donc aucune erreur possible.

Plus tard, dans la soirée, Weber réussit à découvrir le petit gamin. C’était le fils d’une concierge habitant le quartier. Où avait-il pu conduire Florence ? Interrogé, il répondit que pour rien au monde il ne trahirait la dame qui s’était confiée à lui et l’avait embrassé en pleurant. La mère le supplia. Son père le gifla. Il fut inflexible.

En tout cas, on pouvait conclure de l’incident que Florence n’avait pas quitté l’île Saint-Louis ou les environs immédiats de l’île Saint-Louis.

Toute la soirée on s’obstina. Weber avait établi son quartier général dans un cabaret où les renseignements étaient centralisés et où les agents revenaient de temps à autre prendre ses ordres. En outre, il demeurait en communication permanente avec la Préfecture.

À dix heures et demie, un peloton d’agents envoyé par le préfet vint se mettre à la disposition du sous-chef. Mazeroux, qui arrivait de Rouen, furieux contre Florence, s’était joint à ce peloton.

Les recherches continuèrent. Peu à peu, don Luis en avait pris la direction, et c’était pour ainsi dire sur ses inspirations que Weber sonnait à telle porte ou interrogeait telle personne.

À onze heures, la chasse demeurait toujours sans résultat. Une inquiétude violente crispait don Luis.

Mais un peu après minuit un coup de sifflet strident rallia tous les hommes à l’extrémité orientale de l’île, au bout du quai d’Anjou. Là, deux agents les attendaient, entourés d’un groupe de passants. Ils venaient d’apprendre que, plus loin, sur le quai Henri-IV, en dehors de l’île par conséquent, une automobile de louage avait stationné devant une maison, qu’on avait entendu le bruit d’une discussion, puis que l’automobile avait disparu du côté de Vincennes.

On courut au quai Henri-IV. La maison fut aussitôt désignée. Au rez-de-chaussée, une porte donnait directement sur le trottoir. Le taxi avait stationné quelques minutes devant cette porte. Deux personnes étaient sorties du rez-de-chaussée, dont une femme que l’autre personne entraînait. Lorsque la portière de l’auto eut été refermée, une voix d’homme, à l’intérieur, avait crié :

— Chauffeur, boulevard Saint-Germain. Les quais… et puis la route de Versailles.

Mais les renseignements de la concierge furent plus précis. Intriguée par le locataire de ce rez-de-chaussée, locataire qu’elle n’avait vu qu’une fois, le soir, qui payait son terme au moyen de mandats signés du nom de Charles et qui ne venait chez lui qu’à de longs intervalles, elle avait profité de ce que sa loge était contiguë à l’appartement pour écouter le bruit des voix. L’homme et la femme disputaient. À un moment, l’homme cria plus fort :

— Venez avec moi, Florence, je le veux. Dès demain matin je vous donnerai toutes les preuves de mon innocence. Et, si vous refusez quand même de devenir ma femme, je m’embarquerai. Toutes mes mesures sont prises.

Et, un peu après, il se mit à rire et dit encore, d’une voix très haute :

— Peur de quoi, Florence ? que je vous tue, peut-être ? Non, non, soyez tranquille…

La concierge n’avait plus rien entendu. Mais n’était-ce pas suffisant pour justifier toutes les craintes ?

Don Luis empoigna le sous-chef par le bras :

— En route ! Je le savais, cet homme est capable de tout. C’est le tigre ! Il va la tuer !

Il s’élança, emmenant le sous-chef vers les deux autos de la préfecture, qui stationnaient à cinq cents mètres de là. Mazeroux, cependant, essaya de protester :

— Il vaudrait mieux fouiller la maison, recueillir des indices…

— Eh ! s’exclama don Luis en redoublant de vitesse, la maison, les indices, on les retrouvera… tandis que lui, il gagne du terrain… et il emmène Florence… et il va la tuer… C’est un guet-apens… j’en suis sûr…

Il criait dans la nuit, et entraînait les deux hommes avec une force irrésistible.

Ils approchaient.

— En marche ! commanda-t-il, dès qu’ils furent en vue des autos. Je vais conduire moi-même.

Il voulut monter sur le siège, mais Weber le poussa à l’intérieur en objectant :

— Inutile… ce chauffeur-là connaît son affaire. Nous irons plus vite.

Don Luis, le sous-chef et deux policiers s’engouffrèrent dans la voiture, Mazeroux prit place auprès du chauffeur.

— Route de Versailles ! proféra don Luis.

L’auto s’ébranla, et il continuait :

— Nous le tenons !… Vous comprenez bien que l’occasion est unique. Il doit aller à bonne allure, mais sans trop forcer puisqu’il ne se croit pas poursuivi… Ah ! le bandit, ce que ça va ronfler… Plus vite, chauffeur ! Mais pourquoi diable sommes-nous chargés à ce point ? À nous deux, sous-chef, cela eût suffi… Eh ! Mazeroux, vous allez descendre et monter dans l’autre auto… Mais oui, n’est-ce pas, sous-chef, c’est absurde…

Il s’interrompit, et, comme il était placé à l’arrière entre le sous-chef et un agent, il se souleva vers la portière et murmura :

— Ah çà ! mais, par où prend-il, cet imbécile-là ? Ce n’est pas le chemin… Voyons, voyons, qu’est-ce que ça veut dire ?

Un éclat de rire lui répondit. C’était Weber qui trépignait de joie. Don Luis étouffa un juron, et, faisant un effort terrible, voulut sauter de voiture. Six mains s’abattirent sur lui et l’immobilisèrent. Le sous-chef le tenait à la gorge. Les agents paralysaient ses bras. La voiture, très exiguë, ne lui permettait pas de se débattre, et il sentit, sur sa tempe, le froid d’un revolver.

— Pas de chichi ! gronda Weber, ou je te brûle, mon bonhomme. Ah ! ah ! tu ne t’y attendais pas, à celle-là… Hein ! la revanche de Weber !…

Et, comme Perenna se débattait, il ajouta, d’une voix menaçante :

— Tant pis pour toi… Je compte jusqu’à trois… un… deux…

— Mais enfin, quoi ? qu’y a-t-il ? hurla don Luis.

— Ordre du préfet, reçu tout à l’heure.

— Quel ordre ?

— T’emmener au Dépôt si la nommée Florence nous échappait encore.

— Tu as le mandat ?

— J’ai le mandat.

— Et après ?

— Après, rien… La Santé… l’instruction…

— Mais, bougre de sort, le tigre file pendant ce temps… Non, non, mais faut-il en avoir une couche !… Quelles gourdes que ces gens-là ! Ah ! cré tonnerre !

Il écumait de rage, lorsqu’il s’aperçut que l’on entrait dans la cour du Dépôt, il se raidit, désarma le sous-chef, étourdit d’un coup de poing l’un des agents.

Mais dix hommes se pressaient aux portières. Toute résistance était inutile. Il le comprit et sa fureur redoubla.

— Tas d’idiots ! proféra-t-il, tandis qu’on l’entourait et qu’on le fouillait à la porte du greffe. Tas de ratés ! Saboteurs ! Est-ce qu’on cochonne une affaire comme ça ! Ils ont le bandit à portée de la main et c’est l’honnête homme qu’ils coffrent… Et le bandit s’esbigne… Et le bandit va faire un massacre… Florence… Florence…

À la lueur des lampes, au milieu des policiers qui le maintenaient, il était magnifique d’impuissance et d’énergie.

On l’entraîna. Avec une force inouïe il se dressa, secoua les hommes accrochés à lui comme une meute pendue à la chair de quelque bête agonisante et indomptable, se débarrassa de Weber, et, apostrophant Mazeroux, le tutoyant, superbe d’autorité, presque calme tellement il semblait dominer la rage qui bouillonnait en lui, il ordonna, en petites phrases haletantes, brèves comme des commandements militaires :

— Mazeroux, saute chez le préfet !… Qu’il téléphone à Valenglay… Oui, le ministre, président du Conseil… Je veux le voir… Qu’on le prévienne. Qu’on lui dise que c’est moi… moi, l’homme qui a fait marcher le Kaiser[1]… Mon nom ? Il le connaît. Et s’il ne s’en souvient pas, qu’on le lui rappelle. Le voici, mon nom.

Il fit une pause de quelques secondes, puis, plus calme encore, déclara :

— Arsène Lupin ! Qu’on lui téléphone ces deux mots, et cette simple phrase : « Arsène Lupin désire entretenir le président du Conseil de choses très graves. » Qu’on lui téléphone cela immédiatement. Le président du Conseil serait fort mécontent s’il apprenait plus tard qu’on a négligé de lui transmettre ma demande. Va, Mazeroux, et ensuite retrouve les traces du bandit.

Le directeur du Dépôt avait ouvert le registre d’écrou.

— Inscrivez mon nom, monsieur le directeur, fit don Luis. Inscrivez : Arsène Lupin.

Le directeur sourit et répliqua :

« Je serais bien embarrassé s’il me fallait en inscrire un autre. C’est celui-là que porte le mandat qui vous concerne : Arsène Lupin, dit don Luis Perenna.

Don Luis eut un petit frisson en entendant ces mots. Arrêté en tant qu’Arsène Lupin, il se trouvait dans une situation singulièrement plus dangereuse.

— Ah ! dit-il, on a donc résolu…

— Mon Dieu, oui, dit Weber qui triomphait. On a résolu d’attaquer le taureau par les cornes et de frapper Lupin en pleine figure. C’est de l’audace, ça, hein ? Bah ! tu en verras bien d’autres.

Don Luis ne broncha pas. Se retournant vers Mazeroux, il répéta :

— N’oublie pas mes instructions, Mazeroux.

Mais un autre coup lui était réservé. À son appel le brigadier ne répondit pas.

Don Luis l’observa avec plus d’attention, et, de nouveau, tressaillit. Il venait de s’apercevoir que Mazeroux, lui aussi, était entouré d’hommes et maintenu solidement. Et le malheureux brigadier, immobile, silencieux, pleurait.

Weber redoubla de gaieté.

— Tu voudras bien l’excuser, Lupin. Le brigadier Mazeroux est ton compagnon, sinon de cellule, du moins de Dépôt.

— Ah ! fit don Luis en se raidissant, Mazeroux est écroué ?

— Ordre du préfet. Mandat en règle.

— Et à quel titre ?

— Complice d’Arsène Lupin.

— Lui, mon complice. Allons donc ! Lui ! le plus honnête homme du monde !

— Le plus honnête homme du monde, évidemment. N’empêche qu’on s’adressait à lui pour t’écrire et qu’il te portait tes lettres. Preuve qu’il connaissait ta retraite. Et puis, bien d’autres choses qu’on t’expliquera. Lupin. Tu auras de quoi t’amuser.

Don Luis murmura :

— Mon pauvre Mazeroux !

Et à haute voix :

— Pleure pas, mon vieux. C’est l’affaire d’une petite nuit. Mais oui, je te prends dans mon jeu, et nous abattrons le roi d’ici quelques heures. Pleure pas, je te réserve une situation autrement belle, plus honorable, et surtout plus lucrative. J’ai ton affaire. Si tu crois que je n’ai pas tout prévu, moi aussi ! Tu me connais pourtant bien ! Donc, demain, je serai libre, et le gouvernement, après t’avoir élargi, te bombardera quelque chose comme colonel, avec des émoluments de maréchal. Pleure pas, Mazeroux.

Puis, s’adressant à Weber, il lui dit, du ton d’un chef qui donne la consigne et qui sait que cette consigne ne sera pas même discutée :

— Monsieur, je vous prie de remplir la mission de confiance que j’avais confiée à Mazeroux : d’abord prévenir M. le préfet de police que j’ai une communication de la plus haute importance à faire à M. le président du Conseil, ensuite retrouver à Versailles, et dès cette nuit, les traces du tigre. Je connais vos mérites, monsieur, et je m’en rapporte entièrement à votre zèle et à votre diligence. Rendez-vous demain à midi.

Et, toujours comme un chef qui a communiqué ses ordres, il se laissa conduire dans sa cellule.

Il était une heure moins dix. Depuis cinquante minutes, l’ennemi roulait sur la grande route, emportant Florence ainsi qu’une proie qu’il semblait désormais impossible de lui ravir.

La porte fut fermée, verrouillée.

Don Luis pensa :

— En admettant que M. le préfet accepte de téléphoner à Valenglay, il ne s’y décidera que ce matin. Donc, jusqu’à ce que je sois libre, c’est huit heures d’avance que l’on donne au bandit. Huit heures… Malédiction !

Il réfléchit encore, puis haussa les épaules de l’air de quelqu’un qui pour l’instant n’a pas mieux à faire que d’attendre, et il se jeta sur sa couchette en murmurant :

— Dodo, Lupin.


  1. Voir 813.