Les Deux Frères (Sand)/5

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Calmann Lévy (p. 40-54).



V


À neuf heures du soir, on vint m’appeler avec Ambroise de la part de madame, et je la trouvai au donjon avec ses deux amis et Hélène Hurst, admise aussi au conseil.

On se souvient que depuis longtemps le donjon, confié aux soins et à la garde d’Ambroise Yvoine, avait été mis en bon état de réparation. Ambroise l’avait toujours habité depuis avec Espérance, le père Michelin trouvant convenable de ne pas élever un garçon dans le même local que ses filles. M. de Salcède avait veillé à ce que ce donjon fût pour son élève une habitation saine et aussi riante que peut l’être une tour féodale. Il l’avait meublé et lambrissé très-convenablement, surtout depuis l’époque où la comtesse y était venue en secret voir son enfant malade. Dans la prévision d’une nouvelle éventualité de ce genre, il avait, outre la chambre d’Espérance, arrangé une pièce pour elle, disant aux Michelin qu’il mettait là en dépôt des meubles qu’il ne pouvait loger au Refuge. C’est dans cette pièce que madame de Flamarande était installée tandis que madame de Montesparre occupait l’appartement d’Espérance, situé au-dessous, chaque étage du donjon ne contenant qu’une pièce à pans coupés, avec des cabinets dans les tourillons.

Madame vint à nous, nous serra les mains et nous fit asseoir, puis on ferma les portes et on attendit que M. de Salcède eût fini d’écrire quelque chose. Je le regardais curieusement. Il avait toujours son habit de paysan, qu’il portait avec l’aisance d’un gentilhomme ; il était toujours aussi beau que je l’avais vu au Refuge, et madame était aussi belle qu’au lendemain de son mariage. Elle avait trente-huit ans, il en avait quarante-trois ; c’est peut-être l’âge des grandes passions pour les deux sexes. Madame de Montesparre n’était pas aussi merveilleusement conservée que madame la comtesse : elle avait pris un peu d’embonpoint ; mais, toujours mise avec un goût exquis, elle ne paraissait guère avoir plus de trente ans, bien qu’elle eût la quarantaine. C’était toujours une charmante femme, très-sympathique, et qui me sembla même plus séduisante et plus intéressante qu’autrefois. Elle ne méritait pas l’accusation de légèreté que M. le comte avait portée sur elle. Elle avait aimé uniquement M. de Salcède et s’était dévouée et sacrifiée à lui et à madame de Flamarande sans arrière-pensée. Elle avait beaucoup souffert, et, pour surcroît de douleur, elle avait perdu son fils. Ses beaux yeux bleus avaient pleuré, on le voyait bien ; mais sa générosité l’avait soutenue. Je trouvai en elle un charme que je ne lui avais pas connu et qui ennoblissait singulièrement l’expression de sa figure.

Quand M. de Salcède eut écrit deux pages, il les remit à madame de Montesparre, qui prit la parole et dit :

— Hélène Hurst, Charles Louvier, Ambroise Yvoine, vous êtes, avec nous trois ici présents, et l’abbé Ferras, qui sera demain ici, les seuls confidents d’un secret duquel dépend l’avenir d’une mère et de ses deux enfants. Il s’agit de savoir si vous devez continuer à garder ce secret le reste de votre vie, ou si, de concert avec nous, vous devez le rompre. Veuillez nous dire séparément si, au cas où nous serions décidés à le garder, vous prendriez sans regret et sans scrupule aucun l’engagement de le garder aussi.

Hélène Hurst parla la première.

— Je promets les yeux fermés, dit-elle, de me conformer aux intentions de ma chère maîtresse, quelles qu’elles soient.

— À vous, Charles, me dit la comtesse.

Je n’hésitai pas à promettre le secret, et j’ajoutai que je le regardais comme nécessaire, sauf à m’expliquer, si on le désirait.

— Tout à l’heure, dit M. de Salcède, qui m’examinait avec attention ; vous promettez le secret, c’est bien, merci. — Et toi, Ambroise ?

— Moi, monsieur Alphonse, dit Ambroise qui grattait sa tête crépue, je ne promets rien.

Nous eûmes tous un mouvement de surprise. Je croyais, pour mon compte, qu’Ambroise était soumis à M. Alphonse comme le chien à son maître.

— C’est bien, reprit le marquis avec beaucoup de tranquillité. Les raisons que je t’ai déjà données ne t’ont pas convaincu ?

— Je ne dis pas ça, répondit le paysan, mais je ne les ai pas bien comprises. Il faudra qu’on me les répète.

— Justement, tu es ici pour les entendre.

Et il fit signe à madame de Montesparre de parler.

Mais madame de Flamarande la prévint par un petit exorde.

— Mes amis, nous dit-elle, j’aurais voulu ne prendre aucun parti sur l’avenir avant que la tombe fût refermée sur celui qui nous a tracé à tous des devoirs si difficiles à remplir ; mais le temps presse parce que la présence de Roger rendra nos explications presque impossibles. Expliquons-nous donc tout de suite, il le faut ; mais, si quelqu’un de vous croyait avoir un blâme à exprimer sur la conduite du père de mes enfants, je le supplie de se rappeler que sa veuve est ici, et qu’elle y est venue pour entourer sa tombe de tout le respect possible.

Je n’avais pas besoin de cette recommandation. J’avais, malgré tout, aimé fidèlement le comte de Flamarande. Hélène était bien trop convenable pour émettre une opinion quelconque. Ambroise pouvait être plus inquiétant ; mais, en terminant son admonestation, madame de Flamarande ne l’avait pas regardé. Ses yeux s’étaient involontairement attachés à ceux de madame de Montesparre, dont l’attitude résolue n’annonçait pas qu’elle fût portée à ménager le défunt. Hélène et moi, nous nous étions inclinés en signe d’assentiment. Sans s’incliner, Ambroise avait dit :

— Ça, c’est juste, ça se doit !

Madame de Montesparre reprit de sa voix nette, un peu méridionale :

— La volonté dont nous subissons ici les conséquences ne sera pas discutée ; mais il faut bien qu’il soit constaté, — ici elle lut le papier qu’elle tenait, — que cette volonté pèse à jamais sur les nôtres et que nous ne pouvons l’enfreindre, ni aujourd’hui ni demain, sans blesser la religion des deux fils de M. de Flamarande. Gaston consentira-t-il sans scrupule à être réintégré dans ses droits, contrairement à la volonté paternelle ? Roger verra-t-il sans trouble apparaître ce frère sur la légitimité duquel son père a voulu laisser planer un doute ? Et, en dehors de la famille, ces inconvénients ne se produiront-ils pas avec la rudesse cynique qui est le propre de l’opinion ? Non, il ne sera jamais possible de dégager la veuve de M. de Flamarande d’un soupçon dont ses fils ressentiront également l’outrage, qui jettera une ombre de méfiance et de tristesse sur leur vie entière, méfiance qui les amènera peut-être quelque jour à tirer l’épée, à exposer leur vie pour la réputation de leur mère… Voyons, courage, dit encore madame de Montesparre en remettant le papier à M. de Salcède et en embrassant madame de Flamarande, qui pleurait, la tête dans ses mains : nous avons décidé que votre devoir d’épouse et de mère était d’obéir à votre mari au delà de la tombe, et vous avez reconnu que nous avions bien jugé. Soumettez-vous par amour pour vos enfants ; leur amour et leur bonheur vous dédommageront.

— Oui, oui, je le sais, répondit madame Rolande en serrant les mains de madame Berthe dans les siennes. Tout pour eux, c’est convenu ! mais laissez-moi pleurer sur moi qui ne pourrai plus voir Gaston qu’en secret et sans lui ouvrir mon cœur.

Nous étions tous profondément émus de sa douleur ; M. de Salcède se détourna pour cacher la sienne. Je vis, au soulèvement de ses épaules, que sa poitrine se remplissait des sanglots qu’il imposait à madame de Flamarande.

— Toi, pensai-je, tu es un honnête homme ; tu aimes mieux faire souffrir celle que tu aimes que d’imposer ton fils à la société et à Roger.

Ambroise, qui ne soupçonnait pas les motifs attribués par moi au marquis, continuait à ne pas comprendre. Il demanda la parole.

— Monsieur Alphonse, dit-il, vous direz ce que vous voudrez. Je sais bien que vous comptez servir de père à Espérance, et que vous serez pour lui un meilleur père que… pardon ! je ne veux rien dire de l’autre… Tenez, je vous aime bien, je me jetterais au feu pour vous, mais j’aime aussi le gars Espérance ; faites excuse, madame la comtesse, c’est mon enfant aussi, à moi ! C’est moi, le vieux Ambroise, qui lui ai appris à être fin chasseur, fort nageur et bon connaisseur en chevaux et en toutes choses de la campagne. C’est moi qui le premier l’ai fait parler quand il ne voulait parler à personne ; c’est moi qui l’ai porté sur mon dos pour lui faire connaître les hauts quand il avait les jambes trop menues. J’en ai fait le plus joli montagnard qu’il y ait à vingt lieues d’ici, et, pendant que M. Alphonse lui donnait de l’esprit, moi, je lui faisais un beau et bon corps. Les enfants… moi, je suis comme M. Charles, je n’en ai jamais eu et j’en suis fou. Et je ne suis pas comme M. Alphonse, qui dit qu’on est assez heureux quand on a bonne conscience et belle clarté d’esprit. Dame, excusez-moi, je suis un pauvre, j’ai été élevé à la peine et j’ai travaillé pour avoir quelque chose. Aussi je dis qu’il faut avoir quelque chose pour être heureux, et je ne crache pas sur la richesse. M. Alphonse n’est pas un pauvre, mais enfin il nous a dit, quand il s’est établi céans, qu’il se retirait de la grande compagnie parce qu’il s’était ruiné à l’étranger, et nous voyons bien, malgré sa grande charité, car il donne au-dessus de ses moyens, qu’il a mis son restant dans un bout de terre qui ne fait pas une fameuse seigneurie. Dame, il y en a grand, et il y a de la belle herbe ; mais c’est tout raviné, et, s’il y cueille de quoi remplir ses herbiers, il n’en tire pas beaucoup d’autre revenu. Alors, moi, je me dis : On parle du revenu de la famille Flamarande par cent mille et cent mille, Espérance a droit à la moitié du tout, et, pour des raisons de prince que les gens comme nous ne comprennent guère, vous allez le priver de son dû ! Ça n’est pas juste, et, foi d’homme, je ne vous promets point de ne pas lui dire, si je lui vois des ennuis : « Mais vous êtes le comte de Flamarande, il n’y en a pas deux, il n’y a que vous. »

— C’est bien, Ambroise, répondit M. de Salcède, qui l’avait écouté en souriant ; mais nos raisons de prince te paraîtront sérieuses lorsque tu sauras que je suis pour le moins aussi riche que l’était M. de Flamarande. Je n’ai jamais été ruiné. J’ai dû donner ce motif à mon établissement ici, et, depuis quinze ans que j’y vis, — pas beaucoup mieux que toi, — j’ai thésaurisé. Gaston sera mon héritier, il ne trouvera pas de dettes et n’aura à partager avec personne. Si madame de Flamarande veut bien y consentir, je donne suite et fin aux démarches que j’ai déjà faites, non pour le reconnaître, je n’ai pas ce droit-là, mais pour l’adopter, comme la loi m’y autorise.

— C’est différent, répliqua Ambroise. Pourtant le nom… Les nobles tiennent au nom !

— Tu sais bien que M. Alphonse a toujours été le marquis de Salcède, et j’ajouterai, si cela te touche, que mon père était grand d’Espagne de première classe.

— Je ne sais pas ce que c’est, reprit Ambroise, et ça m’est égal. Du moment que mon gars Espérance sera aussi bien partagé que son frère, je ne dis plus rien et je lève la main en promesse de ne dire jamais un mot ni à lui ni aux autres.

Ainsi se termina la conférence. Nous étions tous contents, sauf la pauvre madame, qui paraissait accablée et qui nous serra la main en silence avec ses grands yeux pleins de larmes. Je me retirais avec Yvoine lorsque je me sentis toucher légèrement l’épaule dans l’obscurité, et, me retournant, je vis une femme qui me faisait signe de la suivre. Je crus que c’était Hélène qui avait quelque chose à me demander pour le service de madame. Je la suivis vers le donjon ; mais là elle s’arrêta et me dit tout bas :

— J’ai à vous parler ; où pourrions-nous être seuls ?

Je reconnus madame de Montesparre et la priai de me suivre. Je lui fis traverser les étables et passai devant la crèche où jadis j’avais déposé Gaston. Dans cette saison, les animaux étaient encore avec les chiens dans les pâturages de la montagne. Au bout de l’étable s’ouvrait une porte donnant sur l’ancien parc. Quand nous fûmes assez loin des bâtiments :

— Monsieur Louvier, me dit la baronne, j’ai des choses très-délicates mais très-sérieuses à vous dire. C’est peut-être un peu tôt, c’est même beaucoup trop tôt, mais je ne puis différer. Il faut que je donne suite à un projet qui m’apparaît comme le meilleur de tous, le seul qui ne sacrifie personne… que moi ! Je sais combien on peut compter sur votre caractère et sur votre bon jugement. Vous avez ici la confiance de tous, je veux vous donner aussi la mienne, si vous voulez bien l’accepter.

Je répondis que cette confiance m’honorait infiniment, et madame de Montesparre, qui était fort animée, me parla ainsi :

— Je sais, monsieur Louvier, que vous avez eu connaissance des lettres écrites autrefois par moi à votre maîtresse, et qui furent interceptées par son mari. D’ailleurs, vous étiez chez moi au moment de la terrible dispute entre M. de Flamarande et M. de Salcède. Vous savez la vérité, vous, sur la cause de cette querelle, dont les résultats, après avoir été si funestes à M. de Salcède, sont, aujourd’hui si graves pour madame de Flamarande. — Je ne vous la demande pas, cette vérité, je ne veux pas la savoir. Vous connaissez mon secret, à moi. Il est très-simple, et je n’ai pas lieu d’en rougir. J’ai aimé M. de Salcède d’une amitié très-vive ; je l’aime aujourd’hui d’une amitié plus calme, mais tout aussi dévouée. Je ne veux pas savoir non plus s’il aime toujours d’amour madame de Flamarande, ni si l’affection qu’elle lui porte, et qu’elle lui doit, est de la passion ou de la reconnaissance. Au moment où nous sommes, je vois cette femme excellente accablée d’un chagrin mortel devant la nécessité de vivre éloignée de son fils aîné. J’ai approuvé, j’approuve qu’il ne soit pas réintégré dans sa famille ; mais ce que je ne pouvais dire qu’à vous, ce que je n’oserais pas encore lui dire à elle-même, c’est qu’il n’y a pour elle qu’un moyen de vivre avec ses deux fils, sans cesser d’être irréprochable aux yeux du monde et de Roger ; ce moyen…, ne le devinez-vous pas ?

— Je n’en vois pas d’autre, répondis-je, qu’un mariage, dans un ou deux ans, entre M. de Salcède, père adoptif de Gaston, enfant inconnu, et madame veuve de Flamarande, mère d’un fils unique, le comte Roger.

— Parfaitement ; grâce à cette combinaison, le monde, qui ne sait rien, n’a rien à soupçonner et rien à dire. Les deux jeunes gens peuvent se connaître et s’aimer. S’ils ne s’aiment pas, n’ayant rien à discuter en fait d’intérêts, ils se tolèrent. Leur mère les voit à toute heure et peut donner le nom de fils adoptif à Gaston. Lui seul n’est pas dupe de ce compromis, puisqu’il l’a vue et qu’il l’aime filialement ; mais je connais ce jeune homme, il approuvera qu’on la mette à l’abri du soupçon, et il sera bien assez dédommagé pour renoncer aux droits que la loi lui maintient.

Après un moment de réflexion, je répondis à madame de Montesparre que son idée était la meilleure qui eût été émise, mais qu’il n’y avait pas de solution possible qui n’eût son côté faible, car la sienne ne remédiait pas au danger des revendications de Gaston. Il connaissait le visage de sa mère, elle avait commis l’irréparable imprudence de le voir et de l’appeler son fils.

— On aura beau faire entendre à ce jeune homme, ajoutai-je, qu’il est né d’une faute, il saura bien qu’il est né dans le mariage, et que, par conséquent, il est censé né du mariage. Je ne vois pas que l’adoption par M. de Salcède lui crée l’obligation de renoncer à l’héritage de M. de Flamarande.

— Pardonnez-moi, répondit la baronne ; j’ai consulté. Cette adoption peut avoir pour condition que Gaston, qui est majeur, renoncera à l’éventualité de tout autre avantage ou succession quelconque.

— Alors, madame la baronne, votre idée est excellente ; je m’y rangerais complétement dans le cas où madame la comtesse reviendrait, par excès d’amour maternel, sur la décision que vous lui avez fait prendre aujourd’hui.

— Pourquoi cette restriction, monsieur Charles ? Est-ce que mon idée n’est pas bonne dans tous les cas ?

— Je serais embarrassé de vous bien exprimer ma répugnance. Un mariage avec l’homme accusé à tort ou à raison par le défunt mari…

— Oh ! le défunt mari, s’écria un peu vivement la baronne. Dieu ait son âme et lui fasse grâce ! Quant à moi…

Elle s’arrêta brusquement ; nous traversions la chapelle, car on avait fermé, sans nous savoir dehors, la porte des étables, et nous étions revenus sur nos pas pour traverser cette chapelle, dont la porte sur la cour devait rester ouverte toute la nuit à cause de la veillée du prêtre. En passant devant le catafalque, qu’éclairait tristement la lueur des cierges, madame de Montesparre, qui était au moment de jeter sur le défunt un blâme énergique, fut saisie de peur et prit mon bras par un mouvement nerveux, comme si elle eût vu le comte de Flamarande se dresser hors de son suaire de plomb. Moi, j’éprouvai une émotion non moins vive, mais de surprise et non de frayeur. Le prêtre n’était pas seul à veiller. Il y avait, à peu de distance de lui, un jeune paysan agenouillé sur la tombe du berger Gaston, immobile, et la tête dans ses mains, comme plongé dans la douleur ou dans la méditation.

— Est-ce lui ? demandai-je tout bas à la baronne quand nous fûmes sur le seuil pour sortir.

— Qui, lui ? me répondit-elle de même.

— Gaston. Je ne l’ai pas vu depuis beaucoup d’années ; je ne le connais plus.

— Je n’ai remarqué que le prêtre, reprit-elle. Voyons donc !

Elle fit un pas pour regarder l’inconnu ; mais, au frôlement de sa robe, il se détourna tout à fait et s’effaça dans l’obscurité. La baronne sortit avec moi et me dit :

— Ce ne peut pas être Gaston, il est au Refuge.

— Le Refuge est bien près, madame la baronne, surtout par l’espélunque !

— Ah ! vous savez donc tout ? Mais il faut savoir encore ceci : comment et pourquoi Gaston viendrait-il prier ou méditer ?…

— Madame la baronne connaît-elle la légende du berger Gaston ?

— Parfaitement ; elle est trop liée à l’histoire actuelle des Flamarande pour que je l’ignore.

— Eh bien, le nouveau Gaston, qui, au contraire de l’ancien, survit à son père légal, vient peut-être lui dire dans le silence de la nuit et en face de l’autel : « Suis-je ton fils ? »

— Alors, Charles, il saurait son histoire, à lui ? Voilà qui changerait tout et ferait peut-être échouer toutes nos combinaisons. Comment le savoir ?

— Je le saurai, répondis-je, mais il faut d’abord s’assurer que c’est lui qui est là.

La baronne me pressa de nouveau le bras. L’inconnu venait vers nous. Il se retirait. Nous nous plaçâmes de manière à le voir sans être vus. Il passa, et, au reflet de lumière qui sortait de la chapelle la baronne le reconnut parfaitement : c’était Gaston.

— Suivez-le, me dit la baronne, tâchez de le faire parler ; moi, il faut que je rentre. On ne me sait pas dehors, on pourrait fermer le donjon. Arrachez à cet enfant le secret de sa pensée : il le faut ! Demain, nous nous concerterons, vous et moi.