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Les Deux fraternités/06

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Tallandier (p. 78-92).


CHAPITRE VI


Sous la pluie fine qui tombait sans interruption, Cyprien Mariey avançait d’un bon pas, malgré le pavé un peu glissant. Il s’en allait de cette aîlure dégagée de l’ouvrier parisien, les mains dans les poches de son veston du dimanche, la mine calme et souriante de l’homme qui a bien accompli son devoir toute la semaine et qui se trouve satisfait d’avoir une journée de repos.

Il s’arrêta tout à coup et enleva vivement la casquette neuve que Micheline, sa chère ménagère, lui avait offerte la veille. D’une rue transversale débouchaient deux hommes en pardessus sombres, le parapluie à la main. L’un était mince, de haute taille et d’allure très aristocratique ; l’autre plus petit, un peu replet, son visage intelligent et grave encadré de beaux favoris grisonnants.

— Ah ! bonjour, Mariey ! dit le premier en tendant la main à l’ouvrier. Nous ne serons pas en retard, je crois ?

— Oh ! non, pour sûr, monsieur le marquis ! La réunion est à deux heures, il nous faut à peine cinq minutes pour arriver.

— Marchons, alors. Venez sous mon parapluie, Mariey ; il nous servira à tous deux… Les autres seront là-bas ?

— Oui, monsieur, ils l’ont promis. Malheureusement, beaucoup de ceux qui ont connu Prosper sont partis je ne sais où. C’est un fait exprès ! Enfin, il en reste encore quelques-uns, qui n’ont pas oublié la façon dont il nous a faussé compagnie. Je leur ai raconté l’histoire de l’héritage telle que vous avez réussi à la connaître, monsieur Hablin.

Ces mots s’adressaient au compagnon du marquis de Mollens.

— Oui, c’était gentil, ça. Et maintenant, vous savez, ils mènent grand train, sa sœur et lui.

— Ce qui ne l’empêchera pas tout à l’heure d’affoler toutes ces malheureuses cervelles d’ouvriers en leur parlant du « hideux capital », dit M. de Mollens avec une tristesse railleuse. Mais soyez sûr que son argent, à lui, est en sûreté !

Cyprien crispa les poings en murmurant :

— Misérable menteur ! Ça me fait bouillir, voyez-vous, monsieur le marquis ! Aussi, bien qu’il soit mon cousin — il ne l’a guère montré, du reste —, j’ai voulu aider à le démasquer, si c’est possible. Je le considère comme un malfaiteur qui empoisonne le malheureux peuple.

— Hélas ! combien sont-ils ainsi ! murmura M. Hablin. Lui est particulièrement dangereux, car il a une éloquence entraînante, il claironne des phrases creuses mais fascinantes, il enlève un auditoire disposé à l’avance par les excitations des feuilles avancées et par d’habiles courtiers en anarchie.

— Beaucoup d’ouvriers de chez nous seront à la réunion, dit Cyprien. L’agitation augmente, nous aurons certainement la grève un de ces jours. On travaille beaucoup les camarades, ils ont la tête tout à fait montée. Maintenant, nous ne sommes plus qu’un petit noyau qui ne veut pas entendre parler de grève, parce que nous voyons très bien qu’il s’agit simplement de faire le jeu d’agitateurs politiques — de ce coquin de Prosper, peut-être !

— Vous gardez une dent à votre cousin, Mariey ? dit en souriant M. de Mollens.

— Monsieur, ça me révolte, que voulez-vous ! répliqua Cyprien d’un ton indigne. Penser que cet hypocrite, ce jouisseur, berne comme cela le pauvre peuple ! Ah ! non, c’est plus fort que moi !

— Nous voici arrivés, je crois, dit M. Hablin.

Ils se trouvaient devant une vieille maison de rapport. Sous la porte cochère s’engouffraient, par groupes ou isolément, des hommes, la plupart des ouvriers, quelques-uns en habits de travail, d’autres endimanchés. Parmi eux se voyaient quelques gens à l’allure de bourgeois.

M. de Mollens et ses compagnons entrèrent comme eux, ils se trouvèrent dans une cour étroite et longue. En face d’eux se dressait un bâtiment composé d’un simple rez-de-chaussée, et garni de grandes fenêtres haut placées. Sur la façade était placardée une affiche écarlate, où se lisait en lettres énormes :


GRANDE
CONFÉRENCE CONTRADICTOIRE


le socialisme, espoir des peuples
Par le citoyen Alcide GOTON


mort à la vieille société
Par le citoyen Julien LOUVIERS
Député collectiviste


— Il a supprimé son premier prénom, vous avez vu, monsieur le marquis ? dit Cyprien en riant. Il doit toujours craindre qu’une ancienne connaissance ne vienne lui dire son fait. Mais ça, c’est une malice cousue de fil blanc, car il n’a guère changé, et il est facile à reconnaître.

— Vous l’avez revu, Mariey ? demanda M. de Mollens tout en gravissant les quelques marches qui donnaient entrée dans la salle.

— Il y a quelques jours, je l’ai aperçu dans une chic auto. Monsieur se prélassait dans sa fourrure, fallait voir ça ! Le roi n’était pas son cousin !

La salle était aux trois quarts pleine. Le marquis, M. Hablin et Cyprien rejoignirent un petit groupe qui leur adressait des signes discrets. Il était composé d’ouvriers dont la tenue simple et correcte contrastait avec les manières grossières et bruyantes de ceux qui les entouraient.

À tous, M. de Mollens et M. Hablin serrèrent la main avec de cordiales paroles. Entre ces fils du peuple et ces deux hommes distingués, intelligents et bons, qui leur donnaient, avec leur cœur, une partie de leur temps et de leur fortune, on sentait l’affection réelle et forte, l’amitié sincère, sans défiance.

— C’est-y vous, monsieur, qui répondrez aux bêtises du petit Goton ? demanda un jeune ouvrier en se reculant pour avancer la chaise de M. de Mollens.

— Non, c’est M. Hablin qui aura cet honneur. Je me suis réservé Prosper Louviers ou Julien, comme vous voudrez.

— C’t’espèce de canaille ? dit un ouvrier d’un certain âge avec un geste de mépris fort expressif. Dites-lui bien son fait, monsieur le marquis, faites-lui rentrer ses mensonges dans la gorge.

— Le voilà ! chuchota Cyprien.

Sur l’estrade venaient d’apparaître deux hommes. L’un était petit, bedonnant, le front chauve, la mine chafouine. L’autre était Prosper Louviers — non plus le Louviers élégant, cherchant, dans ses manières et sa tenue, à singer le grand seigneur, mais un Louviers démocratique, bon enfant, les mains dans ses poches, la tenue négligée, l’air souriant et affable.

Des applaudissements éclatèrent, avec des cris de : « Vive Louviers ! Vive la sociale ! »

Souriant toujours, Prosper prit place sur une des chaises préparées sur l’estrade. Son regard, machinalement, tomba sur un point de la salle, celui où se trouvaient le marquis et ses compagnons.

Il pâlit, ses traits se crispèrent, tandis qu’une lueur de fureur et d’inquiétude traversait son regard.

Un pli profond barrait son front. Il cherchait.

Sur un geste d’appel, un ouvrier, jeune encore, grand blond à la mine intelligente et rusée, s’approcha de lui. Le député lui parla à l’oreille ; l’autre inclina plusieurs fois la tête en signe d’assentiment et s’en alla se perdre au milieu des auditeurs.

Le gros petit homme commençait son discours. Il était fait à souhait pour servir de repoussoir à Prosper Louviers, car son éloquence était aussi terne, aussi insignifiante que sa personne.

M. Hablin, qui maniait admirablement l’ironie, se contenta de lui lancer de temps à autre quelques répliques cinglantes qui égayèrent en général l’auditoire, peu charmé par les phrases sèches d’Alcide Goton. Seuls, quelques cris hostiles à l’adresse de l’interrupteur furent poussés par les plus exaltés des auditeurs.

C’était maintenant le tour de Louviers. Il se leva et s’avança, la tête haute, promenant sur la foule un regard dominateur et décidé, où un observateur eût pu discerner pourtant une sourde anxiété.

Il avait une voix sonore, les phrases à effet ne lui manquaient pas, le geste venait toujours parfaitement à l’appui des paroles. De plus, il avait conservé cet ascendant qu’il possédait déjà, n’étant encore qu’ouvrier, sur ses camarades — ascendant dû à une intelligence forte et lucide et à une volonté dominatrice qui savait se dissimuler pour ne pas effaroucher les susceptibilités, mais qui ne s’en exerçait que plus sûrement sur celle d’autrui.

Cette fois, l’auditoire écoutait. Des applaudissements nourris soulignaient les périodes particulièrement lyriques.

— … Oui, citoyens, nous vous obtiendrons la grande, l’entière liberté, l’égalité sociale qui vous délivrera du douloureux servage pesant depuis des siècles sur le malheureux prolétariat français. Nous balayerons ces restes des vieilles institutions d’autrefois, des superstitions encore existantes ; nous verrons enfin régner sur la société nouvelle la fraternité universelle…

M. de Mollens se leva, les bras croisés, sa belle tête énergique tournée vers le député, et sa voix nette, très mordante, lança :

— Si cette fraternité est dans le même genre que la vôtre, Prosper Louviers, je crois que le peuple pourra attendre longtemps avant de voir l’âge d’or promis !

En une seconde, les deux hommes se mesurèrent du regard. Une colère intense luisait au fond des prunelles du député, tandis que dans les yeux de M. de Mollens on eût pu discerner un calme et hautain mépris.

— Que lui reprochez-vous à ma fraternité ? riposta Prosper d’un ton de défi.

— Tout simplement de consister en belles phrases et de ne jamais passer aux faits. Vous souvenez-vous, monsieur le député, du temps où vous étiez ouvrier chez Vrinot frères…

Un coup de sifflet retentit dans la salle, un cri de : « Hou ! hou ! À bas l’aristo ! » Et ce fut une tempête de clameurs et de sifflets obligeant M. de Mollens à s’interrompre.

— Ils vont vous empêcher de parler, monsieur le marquis, dit Cyprien avec colère.

— C’est probable, répondit M. de Mollens avec calme. Cela est une des tactiques de ces coquins.

C’était bien là, en effet, ce qu’avait imaginé Prosper pour éviter les accusations qu’il pressentait devoir lui être lancées. Il continua sa conférence, mais, lorsque le marquis voulut de nouveau l’interrompre, cris et sifflets recommencèrent de plus belle.

— Vous n’y arriverez pas, mon cher ami, dit M. Hablin. Ce sera comme cela jusqu’à la fin.

— Je continuerai quand même, car je le gêne visiblement. Sa parole est nerveuse, il n’a pas tous ses moyens, c’est certain ; il craint, malgré tout…

— T’as peur de la vérité, espèce de repu, égoïste, menteur ! clama un ouvrier près de Cyprien, en tendant son poing vers Louviers.

M. de Mollens, impassible sous les insultes, continua à couper d’interruptions la conférence du député, visiblement agacé et furieux.

Mais, comme le marquis recommençait pour la quatrième fois, ce fut un tumulte dans la salle, les assistants se ruèrent sur le petit groupe avec des cris de haine. À grand-peine, M. de Mollens et ses compagnons réussirent à gagner la porte en faisant crânement face aux assaillants, et non sans récolter quelques blessures, heureusement sans gravité.

— Nous avons perdu notre temps, messieurs ! dit Cyprien dont la main était contusionnée par un barreau de chaise.

M. de Mollens secoua la tête.

— Non, mon ami, on ne perd jamais son temps quand on fait son devoir, celui-ci dût-il nous conduire à l’insuccès. Et, du reste, nous avons au moins obtenu ce résultat de gêner considérablement l’éloquence de cet homme, de détourner quelque peu à notre profit l’attention que lui prêtent d’ordinaire ces malheureux trompés par lui. Allons, mes chers amis, rentrez chez vous. Nous serons peut-être plus heureux une autre fois. Mariey, voulez-vous vous charger de ce petit paquet pour Mlle Césarine ?

— Avec plaisir, monsieur le marquis… Mais, vous êtes blessé ?

Un peu de sang glissait, en effet, sur le front de M. de Mollens.

— Tiens, c’est vrai. Oh ! ce n’est rien du tout, une égratignure ! Au revoir, Mariey, à dimanche prochain.

Cyprien reprit le chemin de son logis en compagnie de quelques camarades qui demeuraient aussi de ce côté. Il s’en alla tout droit chez Mlle Césarine, qui faisait la lecture à ses protégés, très attentifs.

Lorin, le père, était mort deux ans auparavant, mais les charges de Mlle Césarine n’avaient pas diminué pour cela, car elle s’était empressée de recueillir aussitôt une malheureuse petite fille percluse de tous ses membres.

Cyprien lui remit le petit paquet de M. de Mollens, qui contenait d’excellent chocolat pour les jeunes infirmes, puis il raconta l’emploi de leur après-midi.

Mlle Césarine secoua la tête en murmurant :

— Ils veulent faire la nuit autour des pauvres âmes ignorantes. Quand je pense que ce Louviers, qui ose parler de fraternité, m’a dit un jour, autrefois : « Quelle bêtise, mademoiselle Césarine, de vous fatiguer comme ça pour des étrangers ! C’est moi qui les laisserais pourrir dans leur coin ! »

— Oh ! c’est bien ça, allez ! Il est tout de même, aujourd’hui, quand il vient faire le bon enfant devant « ses frères les prolétaires », et qu’il se moque d’eux par-derrière avec ses manières de gros bourgeois… Allons, au revoir, mademoiselle Césarine, je m’en vais vite pour rassurer Micheline, car elle était inquiète en me voyant aller à cette conférence, crainte des horions. Elle avait un peu raison, mais enfin, ça s’est bien passé quand même, grâce au sang-froid et aux bons poings de ces messieurs.


Le divorce de Zélie Louviers avait été prononcé ; elle était venue s’installer chez son frère, dans le vaste et luxueux appartement loué par le député collectiviste. Cet arrangement ne déplaisait pas trop à Prosper, sa sœur lui étant utile pour tenir sa maison et donner quelques réceptions. Ils s’entendaient assez bien, ayant généralement les mêmes goûts et les mêmes opinions. Si quelque discussion éclatait entre eux, Prosper disait froidement :

— Tu sais, rien ne t’empêche de t’en aller ailleurs. Je ne te retiens pas de force ici.

Et Zélie, qui appréciait à leur juste valeur le luxueux confort de l’installation de son frère et l’agrément d’un personnel nombreux et bien stylé, redevenait aussitôt souple et aimable.

Cet après-midi-là, elle se tenait dans le petit salon japonais — d’un japonais qui eût quelque peu étonné les habitants de l’empire du Soleil Levant. Mais ni Prosper ni Zélie ne regardaient de si près à l’exactitude. Il leur suffisait que l’aspect fût luxueux, chatoyant, coloré. La sobriété du goût et le sens artistique ne comptaient pas précisément au nombre de leurs facultés.

Zélie venait de rentrer d’une promenade dans l’auto que Prosper avait laissée aujourd’hui à sa disposition, le député s’étant rendu démocratiquement à pied jusqu’à la salle de conférences. Assis près de la cheminée où flambait un feu clair, la jeune femme, en coquette toilette d’intérieur, commençait la lecture d’un roman dont ses amies lui avaient dit merveille.

La porte s’ouvrit tout à coup sous une main brusque. Prosper entra, les sourcils froncés, l’air sombre.

— Tiens, te voilà ! dit Zélie. Tu n’as pas une mine triomphante. Ça n’a pas bien marché ? Il lança son chapeau au hasard et se laissa tomber dans un fauteuil qui craqua douloureusement.

— Bien marché !… C’est-à-dire que, sans ma présence d’esprit, j’avais des ennuis gros comme moi ! Figure-toi qu’il y avait là Cyprien Mariey avec cet aristo dont il est l’âme damnée, le marquis de Mollens.

— Ah bien ! c’était du joli ! s’exclama Zélie en laissant glisser son livre à terre.

— Près d’eux, j’ai cru reconnaître des figures d’autrefois, des copains de notre quartier. On avait manigancé quelque chose contre moi, pour me faire du tort. Heureusement, j’ai pu arranger l’affaire ; je les ai empêchés de parler, selon un petit système qui réussit toujours très bien. Finalement, mes braves auditeurs ont fait tant de chahut que le Mollens et ses acolytes ont été obligés de quitter la salle. N’empêche que ma conférence a été troublée et qu’elle n’a pas produit l’effet attendu. Ce misérable Cyprien ! Si je le tenais !


— Canaille ! dit Zélie avec colère.

— Et puis, songe que pareille aventure peut encore m’arriver d’un moment à l’autre ! Ce marquis a l’air d’un homme fameusement résolu et qui n’a pas froid aux yeux. Quant à Cyprien, il est certainement furieux de me voir riche, tandis que lui est resté dans la misère… Il faut absolument que je trouve un moyen…

Et, appuyant son front sur sa main, Prosper réfléchit longuement.

— J’ai trouvé ! s’écria-t-il tout à coup. Il y a, parmi mes admirateurs, un jeune ouvrier du nom d’Eugène Labouret ; j’en ferai ce que je voudrai… avec de l’argent surtout. C’est lui qui a donné aujourd’hui le signal des cris et des sifflets destinés à couvrir la voix des interrupteurs gênants. Je l’attacherai à ma personne et il me rendra le même service dans toutes mes conférences. Comme cela, ce sera plus sûr.

— Oui, mais à la Chambre ? Il est probable que ces gens-là ne garderont pas la chose pour eux, et alors, si un député de l’opposition, en pleine séance, te lance au nez…

— Oui, oui, j’ai bien pensé à ça ! Et là, pas moyen de le faire taire. Mais cela n’aurait pas un très grand inconvénient. Mes collègues du parti ne me verraient pas d’un plus mauvais œil, pour la simple raison qu’ils sont tous pénétrés des mêmes sentiments que moi. Va donc demander à Vullier, l’archimillionnaire, de partager avec les ouvriers des usines Michot qu’il a entraînés à la grève l’année dernière et qui meurent de faim aujourd’hui. Va donc demander à Moriet ce qu’il envoie aux œuvres de bienfaisance, tandis que sa femme est couverte de diamants et qu’il donne toutes les semaines des dîners fins ! Ah ! la bonne blague !… Mais on y coupe toujours ! Et Prosper se renversa dans son fauteuil avec un rire moqueur.

— Non, vois-tu, ce n’est pas la Chambre qui m’inquiète le plus… Mais avec Labouret, je viendrai à bout de mes ennemis. Je le ferai appeler dès demain, car j’ai précisément plusieurs conférences ces temps-ci. Nous chauffons ferme les ouvriers électriciens, la grève n’est plus qu’une question de jours. Allons, je vais changer de tenue, maintenant. J’en ai assez de faire le « frère des ouvriers » !

Ils se mirent à rire, et Prosper, se levant, se dirigea vers la porte. Au moment de l’ouvrir, il se détourna.

— Irons-nous au théâtre, ce soir ? Morand m’a envoyé des cartes pour les Variétés. Un bon garçon, tout de même ! Il ne nous en veut pas du tout.

— Bah ! il était aussi content que moi de la solution ! Et puis, tu as très bien su arranger la chose. Tu es habile.

— Quelquefois, ma petite ! répliqua le député d’un air suffisant. J’ai assez bien mené ma barque encore aujourd’hui, de façon à m’éviter peut-être de très grandes complications. Quoique, après tout, ces cervelles d’ouvriers soient si bien préparées, chauffées et exaltées par nous que les accusations lancées contre moi n’auraient peut-être pas eu grand effet ! ajouta-t-il en haussant les épaules.