Les Dieux antiques/Persée

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J. Rothschild, éditeur (p. 164-172).

Gorgones.



LES HÉROS
ET
LE PAYS DE L’IMMORTALITÉ

PERSÉE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Perseus.)


Persée est le grand héros d’Argos et le fondateur mystique de la dynastie des Perséides ou enfants de Persée. Héraclès appartenait à la famille de Persée : on nous présente sa mère Alcmène comme la petite-fille du héros.

L’histoire d’Héraclès a été, cependant, racontée avant celle de Persée, parce qu’Héraclès n’est le descendant de Persée que dans la seule mythologie d’Argos. Chaque État ou chaque cité avait son propre fonds de traditions, dont aucune ne s’accordait de tous points avec celles des autres États ou des autres cités, et les légendes d’Héraclès se connaissaient au loin plus que celles de Persée ; elles servirent de fondement à l’histoire non seulement de ce dernier, mais de beaucoup d’autres héros. Vous voici donc prévenus que le conte de Persée est véritablement la répétition du conte d’Héraclès (fig. 128), quoique le peuple d’Argos, jadis, n’ait point eu vent de cela. Des différences dans les noms des personnes et des lieux mentionnés obscurcirent les points de contact suffisamment pour faire paraître ces contes très-différents aux yeux de gens que rien ne portait à les examiner avec minutie ou plutôt avec un esprit critique. Héros particuliers à chaque cité, qui les honorèrent comme leur défenseur, Thésée à Athènes et Œdipe à Thèbes répondaient à Fig. 128. — Héraclès.
Persée d’Argos. Les hommes de Thèbes, d’Argos et d’Athènes regardaient leurs légendes héroïques comme des histoires distinctes véritablement. Le sont-elles ? Point. Mais simplement la répétition du même conte, les noms des lieux et des personnes changés, et quelques-uns des accidents altérés.

Revenons à Persée, et d’abord à la fable de sa naissance. Acrisios, roi d’Argos, fut averti, par l’oracle de Delphes, que si sa fille Danaé avait un fils, il serait, lui, tué par cet enfant. Aussi enferma-t-il Danaé dans une tour, mais Zeus y entra sous forme de pluie d’or ; et Danaé devint mère de Persée. Acrisios plaça Danaé et son nouveau-né dans un coffre que les vagues de la mer portèrent à l’île de Sériphos. La jeune femme et l’enfant, sauvés, furent traités avec bonté par Dictys, frère de Polydccte, roi de l’île. Persée grandit, doué d’une beauté et d’une force plus qu’humaines. Ses yeux étincelants et ses cheveux d’or le faisaient pareil à Phoïbos, seigneur de la lumière. La destinée qui échut à Persée fut toutefois un lot de dur labeur, de peine et de danger, terrible enfin ; mais que devait suivre une grande récompense. Voici. Le cruel Polydecte chercha à gagner l’amour de Danaé ; et comme Danaé refusait, ce roi mit à son tour la princesse en prison, disant qu’elle n’en sortirait pas, à Fig. 129. — Tête de Méduse.
moins que Persée n’apportât la tête de la gorgone Méduse, l’une des trois filles de Phorcos et de Célo (fig. 129). Ses sœurs, Stheino et Euryale, étaient immortelles : mais, elle, était mortelle. La légende est belle : on dit que Méduse vivait, avec ses sœurs, dans l’Ouest lointain, bien au-delà des jardins des Hespérides, où le soleil ne brillait jamais : rien de vivant ne s’y faisait voir. Altérée d’amour humain et de sympathie, elle visita ses parentes les Grées, qui ne voulurent l’aider. Aussi quand Athéné vint du pays libyen, implora-t-elle son aide ; mais la déesse la lui refusa, alléguant que les hommes reculeraient devant la sombre mine de la Gorgone. Méduse avait dit qu’à la lumière du soleil sa face pouvait être aussi belle que celle d’Athéné ; et la déesse, dans sa colère, répliqua que tout mortel qui regarderait ce visage serait changé en pierre. C’est ainsi que l’aspect de la malheureuse devint autre, et que ses cheveux furent des serpents qui s’enroulèrent et s’enlacèrent autour de ses tempes. Persée parvint à trouver le refuge de Méduse et plus tard à la tuer : pour cela les dieux l’aidèrent.

Mais n’anticipons point. Persée dormait encore sur le sol argien qu’Athéné se tint devant lui et lui donna un miroir dans lequel il vit, réfléchie, la face de Méduse ; ainsi il était possible au héros de la reconnaître, car, Méduse elle-même, il ne pouvait la contempler et vivre. Quand il s’éveilla, il trouva le miroir à son côté, et sut que ce n’était pas un songe. Il voyagea vers l’Ouest avec bon espoir et, la nuit suivante, reconnut, dans son sommeil, Hermès, le messager céleste, qui lui donna l’épée tuant tout mortel qu’elle frappe : le dieu lui ordonna en outre d’obtenir le secours des Grées dans sa recherche ultérieure. Quand il s’éveilla, il prit avec lui l’épée et alla à la terre des Grées, où Atlas supporte les piliers des hauts cieux : là, dans une caverne, il trouva les trois sœurs qui avaient un œil à elles trois, qu’elles se passaient l’une à l’autre. Cet œil, Persée le saisit ; et par ce fait obligea les Grées à le guider vers la demeure de Méduse. Sur leur avis, il alla jusqu’au bord du fleuve océan coulant autour de la terre entière : où les nymphes lui donnèrent le casque d’Hadès, qui accorde à qui le porte le pouvoir d’aller invisible, et un sac où mettre la tête de Méduse ; puis les sandales d’or d’Hermès qui l’emporteraient plus prompt qu’un rêve sur la trace des sœurs Gorgones. Armé de la sorte, Persée s’approcha de la demeure de la Gorgone ; et pendant le sommeil des trois sœurs, l’épée infaillible frappa et acheva la funeste vie de Méduse. Quand les immortelles Gorgones s’éveillèrent et virent l’une d’elles assassinée, elles s’élancèrent, dans une poursuite folle, après Persée ; mais avec la coiffure d’Hadès, il voyagea invisible ; et les sandales d’or le portèrent comme un oiseau par les airs. Il alla devant lui jusqu’à ce qu’il entendît une voix lui demander s’il avait apporté la tête de Méduse. C’était la voix du vieillard Atlas, supportant de ses épaules les piliers des cieux, à qui il tardait d’être soulagé de son terrible labeur. À sa prière, Persée lui montra la face de la Gorgone ; et les membres rudes du vieillard se raidirent aussitôt, comme les arêtes aux flancs d’une colline ; sa chevelure éparse ressembla à la neige qui couvre un sommet de montagne. Persée se dirigea vers la terre des Hyperboréens, qui ne connaissent ni jour ni nuit, ni orage, ni sécheresse, ni la mort ; mais vivent joyeusement parmi de beaux jardins, où les fleurs ne se fanent et ne disparaissent jamais. Le héros ne séjourna pas longtemps dans cette terre heureuse ; il se rappela sa mère Danaé, en prison à Sériphos, et, une fois de plus, avec ses sandales ailées, fuit aux bords libyens. Sur un roc, il vit une belle jeune fille enchaînée, un grand dragon s’approchant pour la dévorer. Mais avant que le monstre saisît sa proie, l’infaillible épée l’abattit ; et, ôtant sa coiffure, Persée se tint devant Andromède (fig. 130). On célébra bientôt après des noces, où siégeait la jeune fille, épouse de Persée : mais un accident marqua cette fête. Phinéas, qui avait souhaité d’épouser Andromède, injuria Persée ; le fiancé, dévoilant la face de la Gorgone, changea Phinéas et tous ses compagnons Fig. 130. — Andromède et Persée (bas-relief).
en pierre. Persée ne demeura point en Libye. Céphée, père d’Andromède, le supplia de rester ; mais il fit hâte vers Sériphos et délivra sa mère Danaé de la prison ; avec la face de la Gorgone il changea encore en pierre le tyran Polydecte. Ainsi se termina l’œuvre ; et Persée rendit à Hermès le casque d’Hadès, et les sandales et l’épée. Athéné prit la tête de la Gorgone et la plaça sur son égide. Si l’on se souvient, il reste à faire s’accomplir l’avertissement donné par l’oracle de Delphes au roi Acrisios. Quand Persée retourna avec Danaé à Argos, Acrisios, qui avait grand’ peur, s’enfuit à Larisse, où il fut reçu par le chef Teutamidas. Persée y vint aussi, pour participer aux jeux célèbres qui devaient se donner en la plaine, devant la cité. D’un bout à l’autre il triompha ; mais pendant qu’il jetait ses disques, l’un d’eux dévia et tua Acrisios. Certaines légendes veulent que le chagrin de cette mort qu’il avait causée involontairement l’ait amené à céder à son parent Mégapenthès la souveraineté d’Argos ; il aurait alors été mourir dans la cité de Tiryns, entourée par lui d’énormes murailles.

Voyez-vous à quelles histoires cette légende ressemble surtout ? À celles d’Héraclès, nous l’avons dit ; puis à d’autres que nous verrons : exploits de Thésée, de Bellérophon, de Céphale et d’Œdipe. L’avertissement donné à Acrisios se trouve dans plus d’un conte : Laios est averti, à Thèbes, qu’il sera tué par son fils ; Priam, dans Troie, est averti que son enfant causera la ruine de cette ville. Même prophétie est aussi faite aux parents de Télèphe, de Kuros (le Cyrus des Latins), de Romulus, et de bien d’autres.

Suites ordinaires de cet avertissement : les enfants sont exposés, quelques-uns sur le flanc d’une colline, tels qu’Œdipe, Pâris et Télèphe ; plusieurs sur la mer, tels que Dionysos et Persée ; ou dans un berceau sur le bord d’une rivière, comme Romulus. Dans les différents cas, ils sont sauvés ; et l’époque de leur croissance, jusqu’à l’âge d’homme, est généralement décrite avec les mêmes traits. Revenons maintenant aux détails premiers de la légende. Qu’est-ce que la pluie d’or dans la prison de Danaé ? La lumière du matin qui coule sur les ténèbres de la nuit. Que montre l’assujettissement de Persée à Polydecte ? Une autre forme de l’assujettissement d’Héraclès à Eurysthée, de Poséidon à Laomédon, et d’Apollon Fig. 131. — Vase montrant les Grées.
à Admète. Qu’est Polydecte ? La même chose que Polydegmon, ou Hadès, roi de la terre obscure, lequel saisit gloutonnement tout ce qui se met à sa portée. Enfin Méduse et ses sœurs ? Méduse est la nuit étoilée, solennelle dans sa beauté, et condamnée à mourir quand vient le soleil ; ses sœurs représentent les ténèbres absolues que l’on supposait impénétrables au soleil. Voir dans le voyage de Persée à la terre des Grées la contre-partie du voyage d’ Héraclès à la terre des Hespérides. Les Grées personnifient le crépuscule ou l’obscurité, la région des ombres douteuses et des obscurs brouillards (fig. 131). Comparez aussi le dragon libyen tué par Persée avec ses autres formes en tant que Python, Fafnir, Vritra, le Sphinx et la Chimère. Le mariage d’Andromède ressemble, du reste, à ceux d’autres héroïnes mythiques : il suit le meurtre d’un monstre, comme celui d’Ariane, de Brunehilde, de Déjanire, de Médée, de Jocaste et de toutes. Le retour de Danaé à Argos, c’est la restitution d’Iole à Héraclès, de Briséis à Achille, d’Antigone à Œdipe, et de Brunehilde à Sigurd. Qui n’a reconnu en l’épée que porte Persée les rayons perçants du soleil qui est invincible dans sa force ? Bien d’autres êtres mythiques sont en possession de ces armes irrésistibles, n’est-ce pas ? Tous ces héros dont la vie, au fond, ressemble à celle d’Héraclès et de Phoïbos. Ainsi nul autre ne peut manier la lance d’Achille ou l’arc d’Odyssée (l’Ulysse latin) ; et les flèches d’Héraclès et de Philoctète portent la mort en leurs plumes.

La signification du nom de Persée est typique : il veut dire le Destructeur. Nombre de héros ont des noms qui viennent des monstres qu’ils tuent, tel que Bellérophontès ou Bellérophon, le tueur de Belléros, et Arguéiphontès, le tueur d’Argos Panoptès « qui voit tout ».

Par cette première légende relative à un Héros nous apprenons qu’il en sera de même que dans le cas des Dieux. Persée, Bellérophon, Héraclès, Thésée, Achille, Apollon, Odyssée, Sigurd, Rustem, et une légion d’autres, ne sont que des formes différentes d’une seule et même personne ; et l’idée de cette personne est issue de phrases qui décrivaient originairement la marche du soleil dans son orbe annuel et quotidien.