Les Disciples à Saïs et les Fragments de Novalis/Fragments/02

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Traduction par Maurice Maeterlinck.
Paul Lacomblez, Éditeur (p. 101-133).


II

Esthétique et littérature.


La main devient chez le peintre le siège d’un instinct, de même chez le musicien ; le pied chez le danseur ; le visage chez l’acteur, etc.

De même que le peintre voit les objets d’un œil tout différent de celui de l’homme ordinaire ; de même, le poète est affecté par les événements du monde extérieur et intérieur d’une manière très différente de celle de l’homme habituel. Mais nulle part plus que dans la musique, il n’est manifeste que c’est l’esprit seul qui poétise l’objet, les modifications de la matière, et que le beau, objet de l’art, ne nous est pas donné ni ne se trouve déjà dans l’apparence. Tous les sons que produit la nature sont rauques et sans âme ; et ce n’est qu’à l’âme musicale que le murmure des forêts, le sifflement du vent, le chant du rossignol, le bavardage du ruisseau, semblent parfois mélodieux et significatifs. Le musicien prend en lui-même l’essence de son art ; et le moindre soupçon d’imitation ne peut l’effleurer. La nature visible semble préparer le travail du peintre et être le modèle qu’il ne pourra jamais atteindre ; mais en soi, l’art du peintre est aussi indépendant, aussi apriorique que l’art du musicien. Le peintre ne se sert que d’une langue hiéroglyphique infiniment plus difficile que celle du musicien. Le peintre peint avec les yeux ; son art est l’art de voir harmonieux et beau. Voir est ici absolument actif ; activité imageante. Son image n’est que son chiffre, son expression, son outil de reproduction. Il faut comparer aux notes ce chiffre d’art. Le musicien pourrait plutôt opposer à l’image du peintre les multiples mouvements des doigts, du pied et de la bouche. Le musicien entend aussi activement ; il entend dehors. Il est vrai que cet emploi renversé des sens demeure un mystère à la plupart ; mais tout artiste en aura plus ou moins clairement conscience. Presque tout homme est déjà, jusqu’à un certain points un artiste ; en effets il voit dehors et non dedans, il sent dehors et non dedans. La grande différence est celle-ci : l’artiste a vivifié dans ses organes le germe de la vie auto-imageante, il a élevé au profit de l’esprit la sensibilité de ces organes ; et par là même il se trouve en état d’effluer à volonté des idées sans sollicitations extérieures et d’employer ces organes comme des instruments aptes à modifier selon sa fantaisie le monde réel ; tandis que chez l’être non artiste ils ne s’éveillent que par l’introduction d’une sollicitation extérieure et semblent prouver que l’esprit comme la matière est soumis ou se soumet aux lois de la mécanique (où toute modification présuppose une cause et où action et réaction doivent être réciproquement égales). Il est en tout cas consolant de savoir que ces rapports mécaniques ne sont pas naturels à l’esprit et, que par conséquent, comme tout ce qui n’est pas spirituellement naturel, ils sont temporaires.

Serait-il vrai que les gestes soient réellement grammaticaux, symboliques ou expressifs ? Je ne crois pas qu’ils le soient, mais ils le seraient s’ils étaient naturels, au sens idéal : produits de l’association idéale des membres intérieurs et extérieurs. Ils appartiennent à l’art de la danse.


Chaque œuvre d’art a un idéal a priori ; une nécessité en soi d’être là.


Il ne faudrait jamais voir une œuvre d’art plastique sans musique, ni écouter une œuvre musicale ailleurs que dans des salles bien décorées.


La sculpture et la musique se trouvent l’une en face de l’autre comme des masses opposées.

La peinture forme déjà transition. La sculpture est la fixité et la musique la fluidité en images.


Il y a des espèces particulières d’âmes et d’esprits qui habitent les arbres, les paysages, les pierres et les images. Il faut considérer un paysage comme une Dryade ou une Oréade. Il faut que l’on sente un paysage comme on sent un corps. Chaque paysage est un corps idéal pour un genre particulier de l’esprit.


Ce ne sont point les couleurs variées, les sons joyeux et l’air tiède qui nous exaltent ainsi au printemps ; c’est le tranquille esprit prophétique d’espérances infinies, un pressentiment de nombreux jours heureux, la présence féconde de tant de multiples natures, le présage de fleurs et de fruits éternels et sublimes, et l’obscure sympathie avec l’univers qui s’épanouit dans la joie.


Toute forme artistique, tout caractère imaginé a plus ou moins de vie, de droit à la vie et d’espoir de vivre. Les musées sont les dortoirs de mondes à venir. L’historien, le philosophe et l’artiste du monde futur sont ici chez eux — ils se forment ici et vivent pour ce monde-ci. Celui qui est malheureux en ce monde, celui qui ne trouve pas ce qu’il cherche ; qu’il aille dans le monde des livres et de l’art, dans la nature éternellement antique et moderne en même temps, et qu’il vive en cette ecclesia pressa du monde meilleur. Il y trouvera sûrement une amante et un ami, une patrie et un Dieu. Ils dorment mais d’un sommeil prophétique et significatif. Un temps viendra où tout initié du monde meilleur verra, comme Pygmalion, s’éveiller, dans la gloire d’une aurore supérieure, l’univers qu’il créa et rassembla autour de lui, et où son long amour et sa longue fidélité seront récompensés.

La vierge est un éternel enfant-femme ; une jeune fille qui n’est plus vraiment enfant n’est plus vierge. (Tous les enfants ne sont pas enfants.)

Tout objet aimé est le centre d’un paradis.

La contemplation de l’univers commence au point central, dans l’infini et absolu soprano, et descend l’échelle ; la contemplation de nous-mêmes commence dans la basse absolue et infinie de la périphérie et monte l’échelle. L’union absolue de la basse et du soprano, voilà la systole et la diastole de la vie divine.


La nature est une harpe éolienne, un instrument musical, dont les sons retrouvent en nous les touches qui ébranlent des cordes plus sublimes.



Il faut que notre âme soit de l’air, puisqu’elle a la notion de la musique et s’y complaît. Le son est substance d’air, âme d’air ; le mouvement propagateur de l’air est une affection de l’air par la note. Et la note renaît dans l’oreille.

La voix humaine est à la fois le principe et l’idéal de la musique instrumentale. Est-ce en général le corps ou l’air qui résonne ? Le fluide élastique n’est-il pas la voyelle et le corps la consonne ? l’air est-il le soleil, et les corps sont-ils les planètes ? l’un, la première voix, et les autres la seconde ? — Toute méthode est rythme ; si l’on possède le rythme on possède l’univers. Tout homme a son rythme individuel. L’algèbre est la poésie. Le sens rythmique, c’est le génie.

La musique parle une langue universelle, par laquelle l’esprit est excité librement et sans but. Elle lui fait un tel bien, lui est si connue et si familière, qu’en ces courts instants il lui semble qu’il se trouve dans sa patrie. Tout ce qui est amour et bonté, passé et futur, s’élève en lui, en même temps que l’espoir et le désir. Notre langue, à l’origine, était bien plus musicale ; ce n’est que peu à peu qu’elle s’est ainsi prosaïsée et assourdie. Elle est devenue un simple bruit, un son, s’il est permis d’avilir ainsi ce mot très beau. Il faut qu’elle redevienne un chant.

Notre langage est ou bien mécanique, atomistique, ou bien dynamique. La véritable langue poétique devrait être organique et vivante. Combien souvent ne constate-t-on pas l’indigence des mots qui d’un seul coup doivent atteindre plusieurs idées !

Les consonnes sont les touches et leur succession et leurs alternations sont empiriques. Les voyelles sont les cordes vibrantes ou les tuyaux. Le poumon est l’arc qui vibre. Les cordes multipliées sur l’instrument ne l’y sont que pour notre facilité ; ce sont des abréviations.


Les dialectes et les prononciations sont formées par les consonnes et les voyelles. Parler des lèvres, des gencives, de la gorge, de la langue, des dents, du nez, etc. Plus d’une manière de parler naît de l’e, o, a, i. Ainsi tout homme a sa voyelle principale. Il en est de même de la musique : tout morceau de musique a son ton fondamental et son thème.

Tout mot n’est pas un mot complet. Les mots sont tantôt voyelles, tantôt consonnes, mots qui valent par eux mêmes et mots qui ne valent que par accompagnement.

Ce qu’on ne peut pas décomposer directement, il faut le décomposer indirectement ou idéalement, c’est-à-dire qu’il faut tâcher de l’énoncer ; on décompose alors l’apparence, l’expression, et l’on trouve les parties composantes et leurs relations.

À chaque concept, l’âme cherche un mot génétique-intuitif ; c’est ainsi qu’elle étymologise. Elle comprend un concept quand elle peut le dominer, le manier de toutes façons, en faire à son gré de l’esprit ou de la matière. L’universalisation ou la philosophistication d’un concept ou d’une image spécifique n’est rien autre qu’une éthérisation, une décorporisation, une spiritualisation d’un spécifique ou d’un individu. Il y a aussi un procédé inverse.

Le langage à la deuxième puissance, la fable, par exemple, est l’expression d’une pensée complète et appartient à l’hiéroglyphie de la deuxième puissance, à l’hiéroglyphie du son et de l’image. Il a des mérites poétiques et n’est pas rhétorique, subalterne, lorsqu’il est une expression complète, euphonique, juste et précise, lorsqu’il est une expression pour l’expression même, ou que tout au moins il n’apparaît pas comme moyen, mais est en lui-même une production complète de la faculté supérieure de parler.

Le son paraît n’être autre chose qu’un mouvement brisé, dans le même sens que la couleur est de la lumière brisée.

Une disposition, des sensations vagues, des sentiments et des perceptions indéterminés rendent heureux. On se trouvera bien, lorsqu’on ne remarquera en soi aucun penchant spécial, aucune suite de pensée ou de sentiments déterminés. Cet état est, comme la lumière, plus ou moins clair ou obscur. Des idées et des sensations spécifiques forment ses consonnes. On l’appelle conscience. On peut dire de la conscience absolue qu’elle a conscience de tout et de rien ; c’est un chant, une simple modulation des dispositions, pareille à celles des voyelles ou des sons. La voix intérieure peut être obscure, lourde et barbare. Ce peut être aussi du grec ou de l’italien, elle est d’autant plus parfaite qu’elle se rapproche davantage du chant. L’expression : « il ne se comprend pas lui-même », apparaît ici sous un jour nouveau. Le langage de la conscience peut être cultivé et son expression rendue parfaite, en sorte qu’il naît une aptitude à se parler à soi-même. Ainsi notre pensée est un dialogue, notre perception, une sympathie.

Qu’est-ce que l’homme ? Un trope parfait de l’esprit,

Tous les hommes sont les variations d’un individu complet, c’est-à-dire d’un mariage.

Un rayon de lumière se brise encore en quelque chose de tout autre que des couleurs. Tout au moins, le rayon de lumière est-il susceptible d’une animation, où l’âme se brise en couleurs de l’âme. Qui ne songe en ce moment au regard de l’aimée ?

Tout contact spirituel ressemble au contact d’une baguette de magicien. Tout peut devenir instrument magique. Que celui à qui les effets d’un tel contact, les effets d’une baguette magique semblent fabuleux et prodigieux, se souvienne simplement du premier attouchement de la main de l’aimée, de son premier regard significatif, de ce regard où la baguette magique est un rayon de lumière brisée, qu’il se souvienne du premier baiser, du premier mot d’amour, et se demande si le charme et la magie de ces moments ne sont pas également fabuleux et étranges, inexplicables et éternels.

Le regard permet des expressions extraordinairement variées, les autres traits du visage ou les autres sens ne sont que des consonnes aux voyelles oculaires. La physionomie est ainsi le langage mimique du visage. Dire de quelqu’un : il a de la physionomie, c’est dire que son visage est un organe d’expression frappant, habile et idéalisateur. Les femmes surtout ont une physionomie idéalisatrice. Elles savent rendre leurs sentiments non seulement avec exactitude, mais encore en charme, en beauté et en idéal. C’est par un long usage qu’on apprend à comprendre le langage du visage. Il faut que la physionomie parfaite soit universellement et absolument compréhensible. On pourrait appeler les yeux un clavier des clartés. L’œil s’exprime, comme la gorge fait, par des sons hauts et bas (les voyelles), par des illuminations plus fortes ou plus faibles. Les couleurs ne seraient-elles pas les consonnes de la lumière ?

Ce seront d’heureux jours que ceux où l’on ne lira plus que de belles choses, des œuvres littéraires. Tous les autres livres ne sont que des moyens et sont oubliés lorsqu’ils deviennent des moyens inutiles ; et les livres ne tardent pas à le devenir…

Il faut que le véritable lecteur soit l’auteur élargi ; il est le juge supérieur qui reprend le travail préparé par les juges de première instance. L’instinct, grâce auquel l’auteur a séparé les matériaux de son écrit, sépare à son tour, chez le lecteur, ce qui est grossier de ce qui est précieux dans le livre, et si le lecteur retravaillait le livre selon son idée propre, un deuxième lecteur l’épurerait encore, et ainsi il arrive que la masse élaborée entre sans cesse en des vases d’une activité nouvelle, et qu’elle devient enfin partie essentielle, membre de l’esprit actif… En relisant impartialement son œuvre, l’auteur peut l’épurer lui-même. Chez ceux qui lisent, il arrive d’ordinaire que l’essentiel se perd en même temps, tant est rare le don de pénétrer complètement l’idée d’autrui. Il en va de même pour l’auteur. Critiquer justement n’est pas un signe de culture ou de puissance supérieure ; l’acuité plus grande de l’esprit s’explique naturellement par la nouveauté de l’impression produite.

Quelque singulier que cela puisse paraître à plusieurs, rien n’est plus vrai cependant, que c’est le métier, l’extérieur, la mélodie du style qui nous entraînent à lire et nous enchaînent à tel ou à tel livre. Wilhelm Meister est une puissante preuve de cette magie du style, du charme pénétrant d’une langue fluante, aimable, simple et cependant multiforme. Celui qui possède cette grâce de l’écriture peut nous raconter les choses les plus insignifiantes ; nous nous sentirons attirés et charmés. Cette unité spirituelle est l’âme véritable d’un livre, grâce à laquelle il nous apparaît personnel et efficace.

Gœthe est un poète tout pratique. Il est en ses œuvres ce que sont les Anglais en leurs produits industriels : suprêmement simple, net, aisé et durable. Il a réalisé dans la littérature allemande ce que Wedgewood a réalisé dans le domaine de l’art anglais. Il a comme les Anglais un goût naturellement économique, un goût noble conquis par l’esprit. Ceci s’accorde parfaitement et s’apparente étroitement avec le sens de la chimie. On voit, par ses études sur la physique, qu’il aime mieux rendre parfaite une chose insignifiante, lui donner l’éclat et le poli suprême, que d’entreprendre une grande œuvre, et de faire quelque chose dont on sait d’avance qu’on ne l’achèvera pas, qu’elle demeurera informe, et qu’on ne la mènera jamais à une perfection magistrale.

Wilhelm Meister est, jusqu’à un certain point, complètement prosaïque et moderne. Le romantique y périt, de même que la poésie de la nature et le merveilleux. Le livre ne parle que de choses ordinaires ; la nature et le mysticisme sont entièrement oubliés. C’est une histoire bourgeoise et familière, poétisée. Le merveilleux y est expressément traité de poésie et de chimère. L’athéisme artistique, voilà l’esprit du livre. Mais l’économie du livre est remarquable, car, par son sujet prosaïque et vulgaire, il produit un effet poétique.

Wilhelm Meister est en somme un Candide dirigé contre la poésie. Le livre, en son esprit, est impoétique à un haut degré, quelque poétique que soit son exécution. Après la flamme, la folie, et les apparitions farouches de la première moitié de la troisième partie, les confessions viennent tranquilliser le lecteur. L’espèce de surintendance de l’abbé est importune et comique. La tour du château de Lothaire est une grosse contradiction. Les muses deviennent des comédiennes et la poésie joue à peu près le même rôle que dans une farce. On peut se demander ce qui perd le plus au change, de la noblesse qui a été prise pour la poésie ou de la poésie qui a été représentée par la noblesse. L’introduction de Shakespeare produit un effet presque tragique. Le héros retarde l’entrée de l’Évangile de l’économie et la nature économique est enfin la seule vraie, la seule qui demeure.

Lorsqu’on parle de préméditation et d’art à propos des œuvres de Shakespeare, on ne doit pas oublier que l’art appartient à la nature, est, en quelque sorte, la nature qui se contemple, s’imite et se reproduit elle-même. L’art d’une nature bien développée est en effet très différent de l’artifice de l’intelligence, de l’esprit simplement raisonnant. Shakespeare n’était pas un calculateur, un savant, c’était une âme puissante, aux forces variées, dont les sensations et les œuvres, comme des produits de la nature, portent l’empreinte d’un esprit pensant ; et dans lesquelles, le dernier venu des observateurs sagaces découvrira encore de nouvelles concordances avec l’édifice infini de l’univers, des rencontres avec des idées postérieures, des parentés avec les forces et les sens supérieurs de l’humanité. Elles sont symboliques et ont plus d’un sens, elles sont simples et inépuisables comme les produits de la nature, et rien ne serait plus inexact que d’en dire que ce sont des œuvres d’art, dans le sens restreint et mécanique de ce mot.

Dans les pièces historiques de Shakespeare, il y a une lutte ininterrompue entre la poésie et l’impoésie. Le trivial y est spirituel et libre, tandis que le grand y est roide et triste. La vie inférieure y est constamment opposée à la vie supérieure, souvent tragiquement, souvent parodiquement, souvent pour le contraste seul. L’histoire, ce que le poète appelle l’histoire, est représentée dans ces pièces, c’est de l’histoire qui se résout en dialogues, ce qui est tout juste le contraire de l’histoire véritable ; et cependant c’est de l’histoire telle qu’elle doit être et synchronique. Tout ce qui est dramatique ressemble à une romance ; c’est clair, simple, rare, un véritable jeu poétique, sans but déterminé.

Il y aurait un beau travail à faire sur les méchants écrivains et sur les médiocres. On n’a guère, jusqu’ici, écrit sur eux que de méchantes et médiocres choses ; et cependant une philosophie du mauvais, du médiocre et du vulgaire serait de la plus haute importance.

Une traduction est ou grammaticale ou adaptée, ou mythique. Les traductions mythiques sont les traductions supérieures. Elles reproduisent le caractère pur et complet de l’œuvre d’art individuelle. Elles ne nous donnent pas l’œuvre d’art réelle, mais son idéal. Je ne crois pas qu’il en existe jusqu’ici un modèle parfait. Mais dans maintes critiques et dans des descriptions d’œuvres d’art, on en découvre de claires traces. Il y faut un cerveau, dans lequel l’esprit poétique et l’esprit philosophique se soient absolument interpénétrés. La mythologie grecque est en partie la traduction mythique d’une religion nationale. La madone moderne est également un mythe de ce genre.

Les traductions grammaticales sont les traductions dans le sens ordinaire de ce mot. Elles demandent beaucoup de science, mais n’exigent que des facultés discursives.

Quant aux adaptations, elles exigent, pour qu’elles soient véritables, un esprit poétique supérieur. Elles tombent facilement au travestissement, comme l’Homère iambique de Burger, l’Homère de Pope, et en général toutes les traductions françaises. Il faut que l’adaptateur devienne l’artiste lui-même, et puisse rendre vivante, de telle ou telle façon, l’idée de l’ensemble. Il faut qu’il soit le poète du poète, et puisse le laisser parler en même temps selon l’idée de celui-ci et la sienne propre. Dans un rapport analogue se trouve le génie de l’humanité avec chaque homme individuellement…

Non seulement les livres, mais tout peut être traduit de ces trois façons…

Les journaux sont déjà des livres faits en commun. « L’écrire en commun » est un symptôme intéressant qui fait pressentir un grand perfectionnement de l’art d’écrire. Un jour peut-être on écrira, pensera, agira en masse. Des communes entières, des nations même entreprendront une œuvre.

La plupart des hommes ne savent pas combien ils sont réellement intéressants, ni quelles choses intéressantes ils disent. Si on leur présentait une peinture authentique d’eux-mêmes, si on annotait et jugeait leurs discours, ils s’étonneraient sur eux-mêmes, et on les aiderait à découvrir en eux un monde tout nouveau.

Une idée est d’autant plus solide, plus individuelle et plus excitante qu’un plus grand nombre de pensées, de mondes et d’états d’âme s’entrecroisent et se touchent en elle.

En maint écrit ancien bat un pouls mystérieux qui marque un point de contact avec le monde invisible : un devenir-vivant…

Ce qui est intéressant, c’est ce qui m’émeut non pour moi-même, mais seulement comme moyen, comme membre. Le classique ne me trouble pas ; il ne me touche qu’indirectement, par moi-même. Il n’est pas là, pour moi, comme classique quand je ne l’envisage pas comme tel ; comme une chose qui ne me toucherait pas si je ne m’excitais pas à faire naître ce qui m’est destiné ; si je ne dégageais pas une partie de moi-même et ne laissais pas se développer ce germe d’une façon particulière sous mes yeux, un développement qui ne demande souvent qu’un moment et qui coïncide avec la perception sensible de l’objet. En sorte que je vois devant moi un objet dans lequel l’objet ordinaire et l’idéal interpénétrés, ne présentent qu’un individu merveilleux.

L’humour est une manière arbitrairement assumée. C’est l’arbitraire qui en est le piquant. L’humour est le résultat du libre mélange du relatif et de l’absolu. Par l’humour, ce qui est relatif en soi, devient universellement intéressant et acquiert une valeur objective. Là où la fantaisie et le jugement se touchent, naît l’esprit ; là où s’allient le caprice et la raison, naît l’humour. Le persifflage appartient à l’humour mais se trouve à un degré plus bas ; il n’est plus purement artistique et est bien plus limité. Dans les âmes sereines il n’y a pas d’esprit, l’esprit indique un équilibre rompu ; il est le résultat de la rupture et en même temps le moyen de la réparer. La passion a l’esprit le plus puissant. Il y a une sorte d’esprit de société, qui n’est qu’un jeu de couleurs magiques en des sphères supérieures. L’état dans lequel on rompt toutes relations, le désespoir et la mort spirituelle, est le plus terriblement spirituel. L’insignifiant, le commun, le grossier, le laid, l’inconvenant ne deviennent sociables que par l’esprit.

L’homme semble le plus digne de vénération lorsque la première impression qu’il fait est celle d’une idée absolument spirituelle ; c’est-à-dire : qu’il a à la fois esprit et individu déterminé. Il faut qu’à travers tout homme supérieur semble transparaître un esprit, qui parodie idéalement l’apparence visible. On dirait que chez beaucoup d’hommes cet esprit fait la grimace à l’apparence visible…

Ce qui est intéressant, c’est la matière qui se meut autour de la beauté. Où il y a esprit et beauté, s’accumule en vibrations concentriques ce qu’il y a de meilleur…

Chaque degré de culture commence par l’enfance. C’est pourquoi les plus savants d’entre les hommes sont si semblables à l’enfant…

La distance ne serait-elle pas une science particulière des sciences générales, et par ainsi, le rang respectif des sciences ne devrait-il pas être calculé d’après le nombre de leurs principes ? Moins il y a de principes, plus haute serait la science.

On comprend d’ordinaire l’artificiel plus aisément que le naturel. Il faut plus d’esprit pour le simple que pour le compliqué ; mais moins de talent.

La métaphysique et l’astronomie ne forment qu’une science. Le soleil est en astronomie ce que Dieu est en métaphysique. La liberté et l’immortalité sont la lumière et la chaleur. Dieu, la liberté et l’immortalité deviendront un jour les bases de la physique spirituelle, comme le soleil, la lumière et la chaleur sont les bases de la physique terrestre.

Chaque science a son Dieu qui est son but en même temps. Ainsi la mécanique vit du Perpetuum mobile, et cherche en même temps, comme problème suprême, à construire un Perpetuum mobile. Aussi la chimie vit du menstrumn universale et de la matière spirituelle ou de la pierre philosophale. La philosophie cherche un principe premier et unique. Les mathématiques cherchent la quadrature du cercle et une équation principale. L’homme cherche Dieu, la médecine l’élixir de vie, une essence unifiante et la possession et la conscience complètes du corps. La politique cherche la paix éternelle et un état parfait et libre. Chacune de ces attentes, toujours trompées et toujours renouvelées, indique un chapitre de la science de l’avenir… Nous cherchons partout l’absolu et ne trouvons jamais que le relatif.

C’est une erreur de croire que l’on s’ennuierait si l’on savait tout. Toute difficulté vaincue aide au jeu des fonctions vitales et laisse en réserve une force qui peut servir à autre chose. Il en est du savoir comme de la vue ; plus on voit, plus la vue est bonne et agréable…

Ce n’est pas le savoir seul qui nous rend heureux ; c’est la qualité du savoir, la constitution subjective du savoir. Le savoir complet est conviction, et c’est la conviction qui nous rend heureux et nous satisfait. Elle change la science morte en une science vivante.

Toute science historique tend à devenir mathématique. La force mathématique est la force ordonnatrice. Chaque science mathématique tend à redevenir philosophique, à être animée ou rationalisée, puis à devenir poétique, ensuite morale et enfin religieuse.

Les mathématiques sont bien une force animique extériorisée de l’intelligence, cette force faite organe et objet extérieurs ; une intelligence réalisée et objective. Pourrait-il se faire que par nos efforts, d’autres, et peut-être toutes les facultés de l’âme devinssent des instruments extérieurs ? Tout sortira de nous et deviendra visible ; notre âme deviendra représentable. Le système scientifique deviendra un corps symbole de notre intérieur (organe = système). Notre esprit deviendra une machine perceptible par les sens, non en nous, mais hors de nous. L’univers est une force Imaginative devenue perceptible par les sens ; devenue machine. L’imagination est venue ou devenue la première et le plus facilement sur le monde, l’intelligence probablement la dernière.

L’acte de se dépasser soi-même est partout l’acte suprême, l’origine, la genèse de la vie. La flamme n’est pas autre chose qu’un tel acte. Ainsi, toute philosophie commence là où le philosophant se philosophie lui-même, c’est-à-dire se consume et se renouvelle en même temps. L’histoire de ce phénomène est la philosophie. Ainsi, toute moralité commence là où j’agis par vertu contre la vertu. Là commence la vie de la vertu, par laquelle la capacité s’accroît probablement à l’infini, sans jamais perdre une limite, c’est-à-dire la condition de la possibilité de sa vie. Toute vie est un surabondant phénomène de renouvellement qui n’a que d’un côté l’apparence d’une destruction. Le précipité de la vie est une chose vivante, susceptible de vie. Ce que la chaleur est à la flamme, l’esprit l’est à la vie.

Si nous avions une fantastique comme nous avons une logique, l’art de l’invention serait trouvé. À la fantastique appartient aussi, jusqu’à un certain points l’esthétique, comme la science de l’intelligence appartient à la logique.

L’éthique et la philosophie sont des arts. La première est l’art de choisir a priori, parmi les motifs d’agir, une idée morale, et d’ajouter ainsi un sens grand et profond à tous ses actes, de donner à la vie un sens supérieur, et d’ordonner et d’unifier de cette façon, artificiellement en un tout idéal, la masse des actes intérieurs et extérieurs. (Les actes intérieurs sont les sentiments et les résolutions.) La seconde est l’art d’agir de même avec les pensées, de choisir entre elles, l’art de produire l’ensemble de nos représentations selon une idée absolue et artificielle ; et de penser un système mondial a priori, hors des profondeurs de notre esprit ; d’employer activement l’organe de la pensée à la composition d’un monde intelligible. En tous les arts véritables est réalisé une idée, un esprit ; l’esprit mondial produit du dedans vers le dehors. Pour l’œil, c’est le monde visible a priori, pour l’oreille, le monde auditible a priori, pour l’organe éthique, le monde moral a priori, pour l’organe pensant, le monde pensable a priori, et ainsi de suite. Tous les mondes ne sont que des expressions différentes, des instruments divers d’un esprit et d’un monde.

Qu’est-ce que le mysticisme ? Qu’est-ce qui doit être traité mystiquement ? La religion, l’amour, la nature, l’État. Toute chose extraordinaire touche au mysticisme. Si tous les hommes étaient un couple d’amants, la différence entre le mysticisme et le non-mysticisme disparaîtrait.

Les plus hautes œuvres d’art sont simplement déplaisantes… Ce sont des idéaux qui ne peuvent et ne doivent plaire qu’approximativement ; des impératifs esthétiques. De même, la loi morale deviendra un penchant approximando.

Dans les vrais poèmes, il n’y a d’autre unité que celle du sentiment ou de l’âme.

Tout ce qui est parfait ne s’exprime pas seulement soi-même, il exprime en même temps tout le monde qui lui est allié. C’est pourquoi flotte autour du parfait, quel qu’il soit, le voile de la vierge éternelle, que le moindre attouchement résout en poussière magique qui devient le char de nuages du voyant. Ce n’est pas l’antiquité seule que nous voyons, elle est à la fois le ciel, le télescope et l’étoile fixe, et en même temps la révélation vraie d’un monde supérieur… Il ne faut pas, d’ailleurs, croire trop fermement que l’antiquité et le parfait soient faits : ce que nous appelons faits. Ils sont faits, comme l’amante, par le signe convenu de l’amant dans la nuit, comme l’étincelle par l’attouchement du métal, ou l’étoile par le mouvement de l’œil. À chaque trait qui parfait, l’œuvre s’éloigne du maître à des distances incommensurables, et aux dernières lignes, le maître voit son œuvre séparée de lui par un abîme spirituel dont lui-même peut à peine concevoir l’étendue, et que l’imagination, comme l’ombre du géant Intelligence, dans le conte de Gœthe, parvient seule à franchir. Dans l’instant où l’œuvre va être parfaite, elle devient plus grande que son créateur, qui est l’organe inconscient et la chose d’une puissance supérieure. L’artiste appartient à l’œuvre, et non pas l’œuvre à l’artiste.

Le sens poétique a plus d’un point de commun avec le sens mystique. C’est le sens du propre, du personnel, de l’inconnu, du mystérieux, du révélateur, du fatal accidentel. Il représente l’irreprésentable. Il voit l’invisible et sent l’insensible. La critique de la poésie est une absurdité ; il est déjà difficile de dire si une chose est poésie ou non. Le poète est vraiment insensé — et c’est pourquoi tout arrive réellement en lui. Il représente, au sens propre du mot, le sujet-objet : l’âme et le monde. De là l’infini d’un bon poème, son éternité. Le sens poétique est proche parent du sens prophétique et du sens religieux, de la folie en général. Le poète ordonne, unit, choisit, invente, et il ne comprend pas lui-même pourquoi il le fait de cette façon et non pas autrement.

On cherche, par la poésie, qui n’est en quelque sorte que l’instrument mécanique, à produire des sentiments intérieurs, des tableaux, des contemplations, peut-être aussi des danses spirituelles, etc. La poésie est l’art d’exciter l’âme.

La poésie est la représentation de l’âme, du monde intérieur dans son ensemble ; ses intermédiaires, les mots, l’indiquent déjà, car ils sont la manifestation de ce monde de puissances intérieures ; exactement ce qu’est la plastique au monde des formes extérieures et la musique aux sons. L’effet est ici strictement inverse, en tant qu’il est plastique, mais il y a une poésie musicale, qui met l’âme en un jeu multiple de mouvements.

Les poètes sont à la fois des isolateurs et des conducteurs du courant poétique.

Le poète emploie les mots et les choses comme des touches et toute la poésie repose sur une active association d’idées, sur une production du hasard personnellement active, préméditée et idéale.

Les principes de la fantaisie ne seraient-ils pas les principes opposés (mais non renversés) de la logique ?

La poésie est l’héroïne de la philosophie. La philosophie fait de la poésie une base. Elle nous apprend à connaître la valeur de la poésie. La philosophie est la théorie de la poésie. Elle nous montre ce qu’est la poésie, qu’elle est une et tout.

La séparation du philosophe d’avec le poète n’est qu’apparente et a lieu au détriment des deux. C’est le signe d’une maladie et d’une constitution maladive.

La philosophie sonne comme la poésie, parce que tout cri dans le lointain devient une voyelle. Ainsi, dans l’éloignement tout devient poésie : des monts lointains, des hommes lointains, des événements lointains, etc. (tout devient romantique), de là notre nature foncièrement poétique. Poésie de la nuit et du crépuscule.

Il y a une imitation symptomatique et une imitation génétique. La seconde seule est vivante. Elle suppose l’union intime de l’imagination et de l’intelligence.

Il est assez difficile d’inventer et de réaliser de véritables caractères poétiques. Ce sont en quelque sorte des voix et des instruments différents. Il faut qu’ils soient généraux et cependant particuliers, déterminés et libres, clairs et cependant mystérieux.

Dans la vie réelle les caractères sont excessivement rares ; aussi rares que les bons acteurs. Un grand nombre d’hommes n’ont même pas de dispositions à un caractère. Il faut que l’on distingue bien les hommes ordinaires, les hommes quotidiens, des caractères. Le caractère est absolument auto-actif.

Le comique est un mélange qui se résout en néant.

Il est assez étrange qu’on n’ait rien tant cherché à éviter dans les poèmes que l’apparence de poème ; et qu’on n’y blâme rien tant que les traces de la fiction, du monde imaginé. Ce que nous avons en vue dans cet effort et cette sensation est en tout cas quelque chose de très haut, mais le désir prématuré de l’atteindre est très inopportun et très inutile, parce que ce n’est que par une peinture exacte et hardie d’objets et d’histoires librement inventés, que l’on devient capable de mettre une âme libre dans une apparente copie de ce monde.

C’est une sensation désagréable, d’entendre des mots superflus, lorsqu’il y a un but déterminé à atteindre ; et comme la poésie n’est autre chose qu’un superflu cultivé, une chose qui se développe elle-même, elle devient absolument répugnante lorsqu’elle n’est pas à sa place, lorsqu’elle veut raisonner et argumenter, et en général lorsqu’elle assume un air sérieux ; alors elle n’est plus poésie.

Plus un poème est personnel, local, temporel, propre, plus il est près du centre de la poésie. Il faut qu’un poème soit absolument inépuisable, comme un homme et une bonne maxime.

Lorsqu’on met certaines poésies en musique, pourquoi ne les met-on pas en poésie ?

Le théâtre est la réflexion active de l’homme sur lui-même.

La poésie lyrique est le chœur dans le drame de la vie du monde. Les poètes lyriques forment un chœur composé de jeunesse et de vieillesse, de joie, de pitié et de sagesse.

Toute représentation du passé est une tragédie au sens propre du mot. Toute représentation de l’avenir, une comédie. La tragédie est à sa place chez un peuple qui a atteint le point culminant de sa vie, de même que la comédie est à sa place, lorsque la vie de ce peuple est chétive.

L’art de rendre agréablement étrange, de rendre un objet étrange et cependant connu et attrayant, voilà la poétique romantique.

Tous les événements de notre vie sont des matériaux dont nous pouvons faire ce que nous voulons. Celui qui a beaucoup d’esprit fait produire beaucoup à sa vie. Toute relation, tout incident deviendrait, pour celui qui serait absolument esprit, le premier membre d’une série infinie, le commencement d’un roman sans fin.

Quelle inépuisable masse de matériaux propres à de nouvelles combinaisons individuelles n’y a-t-il pas autour de nous ? Celui qui a deviné ce secret n’a plus besoin de rien, si ce n’est de la résolution de renoncer à la multiplicité infinie, à ses joies ; et en même temps d’entreprendre quelque chose. Mais cette résolution nous coûte la jouissance d’un univers infini et exige qu’on se restreigne à une seule de ses apparences. Devrions-nous par hasard notre existence terrestre à quelque résolution analogue ?

On peut imaginer des histoires sans suite, mais cependant associées comme des rêves. Des poèmes qui sont simplement sonores et pleins de mots éclatants, mais dépourvus de sens et de cohésion, dont, tout au plus, quelques strophes sont compréhensibles, comme des fragments de choses les plus diverses. Cette véritable poésie peut avoir, tout au plus, un sens allégorique général, et une action indirecte comme la musique. C’est pourquoi la nature est si purement poétique, comme la cellule d’un magicien, d’un physicien, une chambre d’enfants, un grenier, un entrepôt, etc.

En un conte symbolique, il faut que tout soit merveilleux, mystérieux et se tienne. Il faut que tout soit vivant, mais d’une autre façon.

La nature tout entière doit être merveilleusement mêlée au monde spirituel tout entier. Ici commence le temps de l’anarchie universelle, de la liberté ; l’état naturel de la nature, le temps antérieur au monde. Ce temps antérieur au monde nous livre, en quelque sorte, les traits épars du temps postérieur au monde, comme la nature est une image singulière du royaume éternel. Le monde du conte symbolique est tout juste le contraire du monde de la vérité, et c’est pour cela même qu’il lui est si semblable, de même que le chaos est semblable à la création parfaite. Dans le monde futur, tout est de même que dans le monde passé, et cependant tout autre. Le monde futur est le chaos intelligent ; le chaos qui s’est pénétré lui-même ; qui est en lui et hors de lui. — Le vrai conte symbolique doit être à la fois une représentation prophétique, une représentation idéale et une représentation absolument nécessaire. Le véritable conteur symbolique est un voyant de l’avenir.

L’homme primitif est le premier voyant spirituel, tout lui paraît esprit. Que sont les enfants, si ce n’est des hommes primitifs ? Le frais regard de l’enfant est plus illimité que le pressentiment du voyant le plus pur.

Il ne tient qu’à la faiblesse de nos organes et à une certaine impuissance d’émotion spontanée, que nous ne nous apercevions pas dans un monde féerique. Tous les contes symboliques ne sont que des rêves de ce monde patrial qui est partout et nulle part. Les puissances supérieures qui sont en nous, et qui un jour comme des génies réaliseront notre volonté, sont à présent des muses, qui sur nos routes si pénibles nous raniment à l’aide de douces réminiscences.

La sieste du royaume spirituel est le monde floral. Aux Indes, les hommes dorment encore, et le rêve sacré est un jardin qu’entourent des flots de miel et de lait…