Les Doïnas/XXII

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Le Réveil de la Roumanie (première édition 1853)
Traduction par J.-E. Voïnesco.
Les DoïnasJoël CherbuliezLittérature roumaine (p. 80-82).




XXII

LE RÉVEIL DE LA ROUMANIE


Mars, 1848.


Vous qui restez plongés dans le sommeil, vous qui restez dans l’immobilité, n’entendez-vous pas comme à travers un rêve ce cri de triomphe qui monte vers les cieux, ce cri qu’à son réveil le monde jette comme une longue acclamation à un avenir glorieux ?

Ne sentez-vous pas tressaillir, ne sentez-vous pas battre vos cœurs avec force ? ne sentez-vous remuer dans votre sein un désir sacré, un vœu roumain, à cette voix de résurrection, à cet appel de la liberté qui pénètre et saisit toute âme humaine ?

Voyez le siècle sortir de sa profonde léthargie ; il marche d’un pas fier vers le but depuis si longtemps rêvé. Ah ! réveillez-vous avec le siècle, mes frères de la Roumanie ; debout, levez-vous bravement, l’heure a sonné pour vous aussi.

Le soleil de la liberté a lui aux yeux du monde. Toutes les nations de la terre se dirigent vers cette lumière comme un essaim d’aigles puissants dont les ailes libératrices essaient joyeusement de s’envoler vers le disque de l’astre céleste.

Resterais-tu seul plongé éternellement dans les ténèbres, peuple roumain ? Serais-tu seul indigne de ce siècle réformateur, et ne prendrais-tu point part à la fraternisation des peuples, et au bonheur du monde entier, et à l’avenir de l’humanité ?

Jusqu’à quand laisserez-vous accroire au monde, chers enfants de la Roumanie, que tout désir de liberté s’est éteint en vous à jamais ? Jusqu’à quand nous laisserons-nous dominer par l’aveugle tyrannie et atteler ignominieusement à son char de triomphe ?

Jusqu’à quand notre pays sera-t-il le fief de l’étranger ? N’avons-nous pas assez souffert, n’avons-nous pas eu assez de maîtres ? Levez-vous tous à ma voix, ô mes frères ! et prouvez au monde qu’il existe encore des vrais Roumains dans le pays Roumain.

Debout, fils du même sang ! voici l’heure de la fraternité ! Par de là la Molna et le Milkov, par de là le Pruth et les Carpathes[1], jetez vos bras avec une mâle et fière énergie, et dès ce jour pour l’éternité donnez-vous tous la main.

Allons, frères de même sang, dans un élan irrésistible, allons reconquérir la liberté ou mourir avec bonheur. En avant, Roumains, le monde vous regarde ! Pour l’amour de la patrie, pour l’affranchissement de notre mère, courons sacrifier nos jours.

Heureux celui qui foule aux pieds la tyrannie et qui voit refleurir la liberté sur le sol de son pays. Bienheureux et glorieux qui, aux rayons d’un soleil resplendissant, meurt en combattant pour sa patrie… À lui l’immortalité !

  1. Noms des frontières qui séparent les provinces roumaines, telles que Moldavie, Valachie, Transylvanie, Bucovine et Bessarabie.