Les Enfances de Lancelot/03

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Librairie Plon (1p. 200-202).


III


Quand celui-ci, monté sur son palefroi, parvint au sommet de la colline, le jour était tout à fait clair. Le roi considéra au loin les murs blancs de sa forteresse, et le donjon, et les fossés. Et tout à coup il vit une fumée monter, puis des étincelles jaillir, puis des bâtiments flamber, et le feu voler d’un lieu à l’autre, et une flamme hideuse s’élever vers le ciel rougeoyant et faire luire les marais et les champs alentour.

Ainsi le roi Ban regardait brûler le château qui était tout son réconfort, où il avait mis tout son espoir de recouvrer un jour sa terre. À cette vue, il lui parut que nulle chose dans le siècle ne lui était plus de rien, et il se sentit tout vain et tout brisé. Son fils, petit, ne lui pouvait encore aider. Et sa femme, jeune dame comme elle était, élevée à grand luxe, et de si haute liguée, descendant tout droit du roi David ! Il fallait maintenant que l’enfant et la reine sortissent de France et qu’ils souffrissent douleur et pauvreté, et que lui-même, vieux, besogneux, usât le reste de son âge dans la peine, lui qui avait tant aimé la gaieté et les joyeuses compagnies dans sa jeunesse !

Le roi Ban réfléchissait ainsi. Il mit ses mains devant ses yeux, et un si grand chagrin le poignit et l’oppressa, que, ne pouvant verser des larmes, son cœur l’étouffa et qu’il se pâma. Il chut de son palefroi si durement que pour un peu il se fût brisé le col. Le sang vermeil lui sortit de la bouche, du nez et des deux oreilles. Et quand il revint à lui après un long temps, il regarda le ciel et prononça comme il put :

— Ha, sire Dieu, merci ! Je vous rends grâce, doux Père, de ce qu’il vous plaît que je finisse indigent et besogneux, car vous aussi, vous avez souffert la pauvreté. Sire, vous qui de votre sang me vîntes racheter, ne perdez pas en moi l’âme que vous y mîtes, mais secourez-moi, car je vois et sais que ma fin est arrivée. Beau Sire, prenez pitié de ma femme Hélène, conseillez la déconseillée qui descend du haut lignage que vous avez établi au royaume aventureux ! Et qu’il vous souvienne de mon chétif fils, Sire, qui est si jeune orphelin, car c’est vous seul qui pouvez soutenir ceux qui n’ont plus de pères !

Ayant dit ces paroles, le roi Ban battit sa coulpe et pleura ses péchés. Puis il arracha trois brins d’herbe au nom de la Sainte Trinité. Et son âme se serra si fort en songeant à sa femme et à son fils, que ses yeux se troublèrent, ses veines rompirent, et son cœur creva dans sa poitrine. Il tomba mort, les mains en croix, le visage tourné vers le ciel et la tête dirigée vers l’Orient.