Les Enfances de Lancelot/17

La bibliothèque libre.
Librairie Plon (1p. 243-246).


XVII


Le lendemain, au matin, après avoir entendu la messe, tous s’en furent en promenade dans les bois, bien escortés de chevaliers, d’écuyers et de sergents.

Lancelot chevauchait à côté de sa Dame, accompagné d’un valet qui portait son arc et ses flèches. Une petite épée, à sa mesure, était pendue à l’arçon de sa selle, et il avait toujours quelque javelot à la main, qu’il lançait aux bêtes et aux oiseaux plus adroitement que personne.

Alors Pharien dit à la Dame du Lac :

— Pour Dieu, Dame, gardez bien ces deux enfants, car ils sont les fils du plus prud’homme et loyal chevalier qui ait jamais été, hormis son frère germain le roi Ban. Et quoiqu’ils soient de haute naissance par leur père, ils sont encore de bien meilleure souche par leur mère. Elle descend du grand roi David, en effet, et c’est par un chevalier né de ce lignage que la Bretagne doit être délivrée des merveilleuses aventures qui y adviennent présentement. Si vous pensez ne les pouvoir mettre à l’abri de leurs ennemis, Dame, donnez-les nous : nous nous enfuirons, et, s’il plaît à Dieu, ils recouvreront leur héritage, car, si tôt qu’ils pourront porter les armes, il ne se trouvera pas un homme au royaume de Gannes qui ne risque pour eux son corps et ses biens.

Lionel, en entendant ces mots, sentit de grosses et chaudes larmes lui sortir des yeux.

— Qu’avez-vous, Lionel ? lui demanda Lancelot.

— Je pense à la terre de mon père, que je voudrais bien recouvrer.

— Fi ! beau cousin, ne pleurez point par crainte de manquer de terre. Vous en gagnerez si vous avez du cœur. Songez à être assez preux pour conquérir votre bien par prouesse et par vigueur.

Tout le monde admira qu’un enfant put tenir des discours si hauts ; mais la Dame s’étonna surtout de l’avoir entendu appeler Lionel : beau cousin. Elle assura à Pharien qu’elle saurait garder en sûreté les fils du roi Bohor et le pria de rester auprès d’eux, au Lac, avec Lambègue, mais de ne jamais tenter de savoir qui elle était. Puis, quand on fut sur le retour, prenant Lancelot à part :

— Beau Trouvé, lui dit-elle, comment eûtes vous la hardiesse d’appeler Lionel : cousin ?

— Dame, répondit Lancelot tout honteux, le mot me vint à la bouche par hasard, et je l’ai prononcé sans y prêter attention.

— Mais dites-moi : qui donc croyez-vous qui soit meilleur gentilhomme, de vous ou de lui ?

— Je ne sais si je suis gentilhomme de naissance ; mais, par la foi que je vous dois, je ne daignerais pas m’émouvoir de ce dont je l’ai vu pleurer ! Si d’un homme et d’une femme est issue toute la race humaine, je ne vois qu’une noblesse : c’est celle que l’on conquiert par prouesse. Et si le grand cœur faisait les gentilshommes, je croirais être l’un des mieux nés.

— Beau fils, on le verra. Mais croyez que ce n’est que le défaut de cœur qui pourrait vous faire perdre votre noblesse.

— Soyez bénie de Dieu, Dame, pour me l’avoir dit, car je ne souhaitais rien de plus que d’être gentilhomme.

Par de telles paroles, Lancelot ravissait le cœur de sa Dame, et, si n’eût été le grand désir qu’elle avait de son bien, rien ne l’eût peinée davantage que de le voir grandir et approcher du temps où il deviendrait chevalier et où il lui conviendrait de partir pour chercher des aventures aux pays lointains. Alors Lionel lui resterait ; mais il s’en irait à son tour. Et Bohor aussi la quitterait…