Les Entretiens d’Épictète/I/23

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Traduction par Victor Courdaveaux.
Didier (p. 76-77).

CHAPITRE XXIII




Contre Épicure.

Épicure lui-même comprend que nous sommes faits pour la société ; mais, comme il a commencé par placer notre bien dans notre seule enveloppe, il ne peut rien dire de plus. Car il soutient vigoureusement d’autre part, qu’il faut ne faire cas de rien et ne s’attacher à rien en dehors du véritable bien ; et il a raison de le soutenir. « Mais comment donc serions-nous nés pour la société, nous à qui la nature n’aurait donné aucun amour pour nos enfants ? Pourquoi aussi conseilles-tu au sage de ne pas élever ses enfants ? Comment peux-tu craindre de le voir tomber dans la peine à cause d’eux ? Y tombe-t-il donc à cause du rat qu’il nourrit dans sa maison ? Et que peut lui faire qu’un petit rat de plus pleure chez lui ? » C’est qu’Épicure savait bien, malgré son système, qu’une fois que l’enfant est né, il nous est impossible de ne pas l’aimer et de ne pas songer à lui.

C’est dans ce même système qu’il dit encore que le sage ne doit pas s’occuper du gouvernement ; car il sait tout ce qu’est obligé de faire celui qui s’en occupe. Mais qui empêche le sage de s’en occuper, s’il doit s’y conduire comme il se conduirait au milieu des mouches ?

Et, tout en sachant cela, Épicure ose dire : N’élevons pas nos enfants ! Mais quoi ! la brebis et le loup lui-même n’abandonnent pas leurs enfants, et l’homme abandonnerait les siens ! Que veux-tu que nous soyons ? Stupides, comme les brebis ? Mais elles-mêmes n’abandonnent pas leurs petits. Féroces, comme les loups ? Mais eux non plus ne les abandonnent pas. Eh ! qui suit ton conseil, à la vue de son enfant qui pleure parce qu’il est tombé par terre ? Je crois, pour moi, que quand même ton père et ta mère auraient deviné que tu devais un jour parler ainsi, ils ne t’auraient pourtant pas rejeté.