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Les Entretiens de la grille/La Proposition

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(attribution contestée par P. Pia)
(p. 86-91).

Je croyois que de nos Amours
Nous pourions goûter les délices,
Et que nous ſerions peu de jours
Sans voir la fin de nos ſupplices ;
Mais ce vain eſpoir ma deçu
Mon cœur s’en eſt bien apperçu,
Oüy, j’aurois l’ame trop conſtante
Si j’étois toûjours dans l’attente
De poſſeder un jour un bien
Dont peut-eſtre je n’auray rien.
C’eſt pourquoy je quitte vos charmes,
Quoiqu’ils ayent de fortes armes
Ils ne retiendront pas mon cœur
Sans l’aide de quelque faveur,
Voyez ſi vous m’en voulez faire,
Je ne ſongeray qu’à vous plaire
Si vous étes dans le deſſein
De m’abandonner votre ſein.
Si non ne ſoyez pas fachée
Que mon ame ſoit detachée
De l’inutile affection
Qui chagrine ma paſſion.
Ce n’eſt pas que je ne vous aime,
Mais il n’en ſera plus de même,

Je ne ſentiray dans mon cœur
Qu’un tendre de Frere & de Sœur,
Vous n’en ſerez plus la Maitreſſe,
Mes yeux vous verront ſans tendreſſe
Et diront à vôtre froideur
Vôtre tres humble ſerviteur.

Elle luy fut fidellement renduë ; Elle la communiqua à la Sœur Angelique qui ſe divertit de ſa lecture, & la conjura de me faire connoître dans la réponſe qu’elle me feroit, qu’il luy étoit bien dur d’eſtre dans la captivité & dans la dependance. Or voicy la réponſe de Placidie.

Si vous aimez, on eſt ſenſible à vôtre amour. On ne peut rien contre le deſtin. Vôtre amour a cent bandeaux ſur les yeux de ne pas voir qu’il pourſuit l’impoſſible. Le mien s’expliqueroit plus ouvertement ſi la porte luy étoit ouverte. Vôtre chere Angelique porte impatiemment la Captivité & la dependance. Plaignez, vôtre malheureux ſort. Declamez par une galanterie Poëtique fortement contre la Grille de ce qu’elle eſt aſſez cruelle, aprés avoir été la depoſitaire des gages de nos inclinations réciproques, pour s’oppoſer à nos mutüels & tendres embraſſemens. Faites nous connoître enfin quelles ſont vos diſpoſitions & le fond de vôtre ame.

A Dieu.

Je reçus cette reponſe qui trouva mon cœur & mes Muſes diſpoſées à executer les ordres qu’elle leur preſcrivoit. C’eſt pourquoy je mis auſſitôt la main à la plume pour écrire ces vers que j’envoyai à Placidie dés le même jour.

Faut-il qu’une facheuſe Grille
Auſſi forte qu’une baſtille
S’oppoſe à mes ardens deſirs,
Et qu’une ſi charmante Fille
Dont l’Ame amoureuſe petille
De goûter de tendres plaiſirs
Demeure ainſi dans ſa coquille ?
Non, je ne le ſçauroit ſouffrir,

Il faut aimable Placidie
Que mon Amour y remedie,
C’eſt ce que je viens vous offrir.
Si vous conſentez à me ſuivre
Et de quitter votre convent,
Souffrez que je vous en delivre,
Et nous mettrons le
Voile au Vent.
Et vous adorable Angelique
Si le cœur vous en dit auſſi
Et qu’un deſir d’amour vous pique,
Je finiray vôtre ſouci,
Quoique ſeul contre deux pucelles,
Je ne manqueray pas de cœur
Il ſuffit que vous ſoyez belles
Pour me donner de la vigueur.
Diſtinguez-moy donc de la foule
Lors que je ſeray dans le choq
Vous reconnoiſtrez qu’un bon coq
Peut contenter plus d’une poule.

Le ſort qui perſecute toûjours de plus en plus les malheureux frappa d’un rude coup la pauvre Placidie. La Confidente entre les mains de la quelle j’avois, par ſes ordres, remis ce billet, trahit la fidelité qu’elle devoit au ſecret. Elle ſe fit une affaire de conſcience & crut que ce ſeroit ſe livrer à un éternel ſcrupule que de ne pas delivrer cette lettre à l’Abbeſſe, qui ayant luë luy ordonna d’achever ſa commiſſion. Elle tomba donc és mains de Placidie qui s’en divertiſſoit un jour enfermée dans ſa cellule avec Angelique, quand l’Abbeſſe les prit ſur le fait. Elle leur fit commandement de luy préter ce papier, qui portoit avec luy les aſſurances d’une penitence à l’execution de laquelle, comme je l’ay appris depuis, furent commiſes les Diſciplines, les jeunes & cent autres inſtrumens d’expiation qui jetterent de l’huile ſur le feu, ſuivant cette Maxime : Que la difficulté irrite & donne de nouveaux accroiſſemens à la paſſion.

J’étois le plus content du monde de ma compoſition, ne doutant point que le ſuccez n’eut repondu à mon attente ; Mais je fus fort trompé lors qu’ayant reçu une réponſe que l’Abbeſſe luy ordonna de me faire qui me marquoit qu’Angelique & elle avoient la liberté du Parloir, je ne m’y fus pas pluſtôt preſenté, que je m’y vis ſuivi de mon Superieur, à qui l’Abbeſſe avoit declaré le fait qui de ſon côté ne manqua pas de s’y trouver. Elle parla dabord de mes aſſiduitez au Parloir & enfin du beau terme où nous avoit conduit cette familiarité dont mon billet, qui me fut repreſenté, faiſoit foy. On ne ſçauroit s’imaginer quelle fut ma confuſion & ma ſurpriſe. Il n’y a que mes épaules & mon ventre qui puiſſent rendre un témoignage fidelle des moyens qui furent employez pour m’ôter le deſſein d’y retourner de ma vie.

Finis coronat opus.