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Les Entretiens de la grille/Le siflet

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(attribution contestée par P. Pia)
(p. 32-37).

Les fauſſes couches ſont toûjours ſuivies de quelqu’accident facheux. Une jeune Dame de la premiere qualité avoit gardé d’une, la chagrinante neceſſité de donner à tout moment la liberté à certains priſonniers qui ſortent auſſi ſouvent avec éclat que ſans bruit. C’étoit pour ne point tomber dans la confuſion & n’étre point l’objet de la raillerie, qu’elle oppoſoit à la ſortie de ces orgueilleux un petit tampon, qu’elle avoit accoutumé de ſe faire mettre dans le… vous m’entendez bien, par un petit valet qu’elle nouriſſoit exprés. Un Evêque un jour luy vient rendre viſite, elle eſt avertie de ſon arrivée & qu’il étoit déja ſur l’eſcalier. Cette Dame appelle celuy qui luy rendoit le bon office que je viens de dire. Ce jeune étourdi avoit perdu ſon petit tampon. Madame leve ſa chemiſe à l’ordinaire, le preſſe, le menace ; dans cet embaras l’enfant ſe foüille & ne trouvant dans ſa poche qu’un petit ſiflet d’un liard, il le poſte avec précipitation au lieu où ſe mettoit le tampon. L’Evêque entre, fait ſes complimens ; on s’aſſoit aupres du feu, on diſcoure. Madame eſt ſurpriſe de ſon infirmité ; Elle ſe repoſe ſur ſon tampon, qui ne luy étoit pas ſi fidelle, qu’il ne trahît le ſecret. On entendoit de temps en temps le ſiflet joüer ſon jeu. Ce n’étoit que petits & ſourds flut, flut. D’abord on n’y fit pas de reflexion. Les priſonniers trouvant un libre paſſage excitez par la chaleur du feu ſortent en foule. La voix du ſiflet ſe groſſit, il parle aſſez haut pour ſe faire entendre. Madame eſt toute ſcandaliſée de ce bruit, qu’elle croit venir de l’antichambre ou elle préſume que le petit laquais badine. Elle diſſimule d’abord, le bruit continuant, elle demande pardon à ſa Grandeur de l’impertinence d’un valet qui trouble leur entretien. C’eſt un jeune enfant, dit-elle qui n’a ni jugement ni éducation. Ceci eſt pris pour argent comptant. On pourſuit la converſation. Le ſiflet parle à ſon tour & éleve ſa voix ſi haut que Madame impatiente ſe leve pour aller faire éloigner l’importun. Elle fait la reverence & comme dans cette reverence la diſpoſition du corps laiſſoit un libre paſſage au tampon, quelques impetueux retenus, impatiens d’avoir la liberté pouſſerent dehors avec effort le ſiflet qui publia leur ſortie par une ſuitte harmonieuſe de Flu, u, u, ut, qui dura longtemps. Madame va juſqu’à l’antichambre, n’y trouve point le pretendu auteur du ſcandale, elle revient, dit que l’ayant entenduë il s’étoit échappé, elle reprend ſon fauteüil & termine fort peu de temps apres par un pet bien nourri & fort naturel une converſation à la quelle Monſeigneur l’Evêque auroit fourni plus longtemps, ſi cet autre perſonnage ſans nez n’avoit ſans ceſſe pris la parole.

Mon recit qui ne contenoit rien de fort ſpirituel apprêta ſi fort à rire à mes deux Sœurs que je ne pouvois repeter le mot de tampon, de ſiflet ou l’expreſſion du Flut, Flut, qu’elles n’éclataſſent. Cette Hiſtoriette les mit en belle humeur ; elles m’en aimerent d’avantage & me témoignerent prendre un ſingulier plaiſir à la liberté que je prenois de dire de ſemblables ſottiſes.

Je les diſpoſois de jour en jour par des contes plus libres, à le devenir, à en dire auſſi & à renoncer à cette retenuë hypocrite qui leur avoit d’abord fermé la bouche. La Sœur Placidie, me conjura de luy vouloir donner par écrit cette hiſtoire de la maniere dont je l’avois rapportée, pour en faire part, diſoit-elle, à quelques-unes de ſes cheres Compagnes, à qui elle fairoit des confidences de tout ce qui ſe paſſeroit entre elle & moy, ce que je luy promis de faire en me retirant.

Nous eûmes tout le landemain à nous preparer à quelque choſe de divertiſſant par ce que nous ne pûmes pas nous joindre, les Parloirs étant tous remplis des Parens & Amis d’une jeune fille de qualité à qui on avoit donné ce jour-là le voile.

Nôtre belle humeur ne ſe rallentit pas cepandant. Comme les occaſions recherchées lors qu’elles ſe different ſe recouvrent avec plus de plaiſir, nous nous donnâmes à la premiere entrevuë des airs ſi aiſez & nous nous tinſmes des diſcours ſi familiers, que la liberté nous ſembloit une habitude de vertu.

Il fut conteſté d’abord. Elles vouloient m’obliger à commencer & s’excitoient de le faire, en diſant qu’elles n’avoient rien de plaiſant à dire. Leurs excuſes n’eurent aucune force. Je m’opiniatré & les menacé d’un ſilence éternel ſi elles ne ſatisfaiſoient à leur devoir comme j’étois tout diſpoſé à m’acquiter du mien. Je ne ſçay ſi le temps leur avoit fait oublier qu’elles avoient promis de contribuer de toute leur belle humeur à nos entretiens ; mais ce qui eſt certain, eſt qu’Elles ſe pouſſoient l’une l’autre & ſe plioient de commencer. L’authorité que je m’étois acquiſe ſur l’eſprit de Placidie comme la plus libre, fit, que je luy commandai en riant de nous faire part la premiere de ſes meditations galantes. Elle ne s’en deffendit donc pas davantage & commença de la ſorte.