Les Fastes (Merrill)/Conte

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Les FastesChez Léon Vanier (p. 32-35).
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CONTE

à la mémoire d’Éphraïm Mikhaèl.

Ce fut par un pays fleuri de lilas noirs
Où des Dames en deuil faisaient tinter des harpes
Sur les tours de granit des magiques manoirs.


Et dans les soirs d’azur où flottaient des écharpes,
Le Héros ingénu, sous son heaume d’argent,
S’en vint vers les viviers pleins de fuites de carpes.


Sur ses pas éclatait le tonnerre outrageant
Des trompes ; les hérauts ceints de sanglantes toiles
Le sommaient de se rendre aux amours de la gent.



Mais lui, redressant haut vers les froides étoiles
Son épée au pommeau qu’enguirlandaient des lys,
Remémorait sa Reine invisible en ses voiles.


Et sur ses yeux des doigts lourds de pierres d’iris
Pesaient ; et dans son cœur roulaient de tièdes larmes
Pour avoir trop aimé la Doulce de jadis.


Il tua les hérauts impurs ; les nuits d’alarmes
Retentissaient d’appels mortels, et les vergers
S’allumaient aux éclairs bleus et verts de ses armes.


Or il advint ceci : qu’un soir de vents légers
Il vint vers une mer merveilleuse de rêve,
Où dans des îles d’or des flûtes de bergers


Sifflaient. Et laissant choir le fardeau de son glaive,
Il ploya les genoux et sanglota très bas,
Ses bras de fer en croix et le dos à la grève :


« Je suis venu mourir, las des mauvais combats,
Au leurre de vos voix lointaines, ô sirènes,
Que pleurent en riant les flûtes de là-bas.



Car je me sens l’élu des pâles souveraines
Du Sort ; à vous ce corps qui n’a pu vous surseoir,
Mais mon âme, mon âme à la Reine des reines !


Ô Pure que mes yeux, même purs, n’ont pu voir,
Ô Forte que mes bras, même forts, n’ont pu ceindre,
Voici que tonne enfin le triomphe de l’Hoir ! »


Et ses doigts à sa gorge, afin d’y mieux étreindre
Les affres, il sonna de l’olifant vermeil
Vers le soleil tardif, sur ces mers, à s’éteindre.


Par merveille surgit du fond des flots, pareil
Au rêve d’un poète ancien, le blanc cortège
Des naïades, nageant lentes comme au réveil.


Et l’une sous ses bras plus froids qu’aucune neige
Souleva le mourant, et l’autre l’enroula
Dans un linceul tissé pour un roi de Norvège.


Une nacelle d’or et de nacre était là,
Que traînaient des dauphins bleus et des hippocampes.
Lourde de mort, pour les exils elle cingla.



Le troupeau des Tritons soufflait, l’écume aux tempes,
Dans les conques ; le vent, secouant son sommeil,
Soulevait l’algue échevelée au bout des hampes.


Et vers le crépuscule, en ce noble appareil,
La barque déroula son lumineux sillage :
Et le Héros entra dans l’orbe du soleil.


Seul, son glaive flambait sur l’argent de la plage,
Afin qu’un futur Preux, surgissant du millier,
L’empoignât quelque soir pour en sacrer son âge.

C’est ainsi que mourut le chaste chevalier.