Les Fastes (Merrill)/L'Idole

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Les FastesChez Léon Vanier (p. 67-70).

L’IDOLE

à René Ghil.

Roide en la chape d’or qui lui moule le torse,
L’Idole dont les doigts coruscants de rubis
S’incrustent sur le sceptre et le globe de force
Trône en les bleus halos de tonnerres subits

Sur sa rouge toison s’étage la tiare,
Entre ses seins fulgure un stigmate d’enfer,
Et sous ses pieds, tandis que sonne la cithare,
Saigne un cœur transpercé de sept glaives de fer.

Aucun amour n’émeut la somnolente Idole.
Elle siège en la pose éternelle des dieux
Et dur, son regard fuit la multitude folle
Dont l’unique désir est de plaire à ses yeux.


De blancs adolescents, aux tintements des harpes,
Luttent sur des pavois que des barbares noirs
Exhaussent de leurs bras entortillés d’écharpes
Vers les dômes de nacre où défaillent les soirs.

Dressant sous les flambeaux d’argent leurs faces glabres,
Les bouffons roux, avec des frissons de satin,
Font tournoyer en l’air des boules et des sabres
Que des singes gemmés guettent d’un œil mutin.

Et les Poètes fous sont debout dans leur gloire
Parmi les étendards d’amarante et les ors,
Clamant haut les refrains d’une ode de victoire
Qui bat les infinis d’un tourbillon d’essors.

Ce sont des craquements de béryls sur les dalles,
Des paons girant en jeux d’amour sous les portails,
Et dans l’éloignement des lumineux dédales,
Des danses d’enfants nus lançant des éventails.

Mais celle pour qui seuls ont ri les bacchanales,
Ouvrant vers l’inconnu ses prunelles de nuit
Où palpitent soudain des lunes infernales
Poursuit la vision qui la leurre et la fuit.


Elle connaît la fin et la cause des choses,
Et sa pensée éparse en l’espace et le temps
Rêve de mondes morts et de métamorphoses :
Elle est celle qui sait le futur des antans.

Elle a vu par les cieux flamboyer les épées
Des anges de vengeance, et surgir du Néant,
Dans une éternité de rouges épopées.
Les astres que broiera la hargne du Géant.

Son orgueil surgira dans les apocalypses
Pour désoler les rois des futurs paradis :
Comme un soleil ressuscitant de ses éclipses,
Elle doit vivre étant la mère des maudits.

Elle est à jamais sourde aux froissements des palmes
Dont les guerriers et les bouffons jonchent ses cours ;
À peine si parfois, dans le sursis des calmes,
Elle entend murmurer les poètes des jours.

Et tandis que sans fin, du haut des atmosphères
Où dorment les espoirs damnés de l’avenir,
Tombe comme un remords la musique des sphères,
L’Idole qui ne peut vieillir ni rajeunir


Roide en la chape d’or qui lui moule le torse
Et crispant ses doigts durs de féroce fierté,
Sur le sceptre d’empire et le globe de force
Roule en vain le secret de son éternité !