Les Fastes (Merrill)/La Mauvaise Reine

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Les FastesChez Léon Vanier (p. 60-61).

LA MAUVAISE REINE

à Adolphe Retté.

Au bord du fleuve noir où stagne l’or des astres,
La Reine, le corps roide en sa gone de fer,
S’en va, les nuits sans lune, à l’heure des désastres,
Cueillir la belladone et l’euphorbe d’enfer.

L’âme de Satanas n’est lasse de la suivre :
Ses maigres bras sont durs du geste des combats,
Et ses yeux hyalins sous sa toison de cuivre
Brûlent du doux désir des sinistres sabbats.

Ses chants ont assoupi l’essor de la Tarasque
Lorsqu’elle couvait l’or sous ses squames rampants ;
Puis, la flûte aigre aux dents et sur sa face un masque,
Elle a ravi, tout bas, leurs secrets aux serpents.


L’eau verdoie. Et ses doigts virides d’émeraudes
Pillent les fleurs de deuil dont à l’aube du jour
Elle distillera, lourde de ses maraudes,
Les philtres de la Fée endormeuse d’amour.

Dans la fange où parfois une épée étincelle,
Des cadavres de rois aux casques de taureaux
Révulsent leurs yeux verts au passage de celle
Dont l’étreinte étrangla leur orgueil de héros.

Au nocturne manoir les étendards en loques
Claquent. Mais elle, calme et le front souverain,
À pas qui font tinter l’or de ses pendeloques
Sur les chrysobéryls de son lourd gorgerin,

S’en va, vaticinant d’après un rite occulte,
Vers la Grand’Forêt close aux rêves de retour,
Où les Monstres du Mal hurlent en noir tumulte
Sur les chairs d’enfants fous perdus au carrefour.