Les Fastes (Merrill)/Le Palais désert

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Les FastesChez Léon Vanier (p. 43-47).
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LE PALAIS DÉSERT

à Jean Moréas.

Le Palais qui dans l’air crépitant de cigales
Étalait vers l’azur mordoré de la mer
Ses façades de marbre aux fines astragales,
N’enverra plus l’éclat de ses pompes régales
En insulte au tumulte éternel de la mer.

Plus ne rira, le long des grêles colonnades,
La courtisane aux bras lourds de bracelets d’or ;
Les pages chamarrés ont fui les esplanades,
Et voilà dispersés, las de leurs sérénades,
Les baladins, charmeurs des mandolines d’or.

Car le Prince aux yeux bleus qui s’en vint, ô victoire !
Sous la pourpre des étendards fleuris de lys,
Proclamer à ces cieux l’orgueil de son histoire,
Est mort sous les baisers du sort expiatoire
Pour avoir trop aimé les roses et les lys.


Aucun souffle n’émeut le somnolent silence :
Les paons sont endormis aux balustres de fer,
Et dans les bassins roux d’où nulle eau ne s’élance
Les cygnes, oubliant leur pâle turbulence,
Rêvent de chants de deuil sous un soleil de fer.

La dolente glycine au long des galeries
Pend. Et partout le calme énorme de la mort
Pèse comme un remords de vieilles duperies
Sur les bosquets feuillés en ce lieu de féeries
Où les joyeux, jadis, avaient nargué la mort.

Seule, une enfant de rêve à la légère haleine
Vient par les longs sentiers, et vers l’heure du soir,
Avec des gestes lents de fileuse de laine,
Murmure au cœur des fleurs la vieille cantilène
De son amour éclos et défunt en ce soir :

Le Prince de mon désir est mort :
Je scellai ses paupières de pleurs
Et je voilai son visage accort
D’un samit à ramages de fleurs.


Je suivis la parade de deuil
Jusqu’au Jardin nocturne des Pleurs.
Où l’esclave riva le cercueil
Pour sa sépulture sous les fleurs.

Depuis mes pas buttent aux talus,
Ma chevelure est lourde de pleurs :
Oh ! je ne sais plus, je ne sais plus
Cette allée où tu dors sous les fleurs !

Mais voici le renouveau vermeil
Dont le rire tarira mes pleurs :
Car ivre du réveil du soleil,
Mon Prince renaîtra dans les fleurs !

Soulevant de ses doigts gemmés de jaunes bagues
L’impalpable blondeur de ses cheveux épars
Où ses yeux luisent bleus avec des feux de dagues,
Elle reprend, chantant, le cours de ses pas vagues
Vers les lointains que teinte un crépuscule épars.


Soudain c’est un frisson de satins et de soies
Sous l’arcade de marbre, et l’éveil des chansons
Du vieux temps — mais où sont nos danses et nos joies ?
Et l’âpre froissement des pas las sur les voies,
Et la vie, et l’amour au retour des chansons.

Les paons déroulent, lourds, le faste de leurs plumes
Au perron de parade où les seigneurs, jadis,
Prélassaient leur prestance en lumineux costumes ;
Et les cygnes, par les bassins verdis de brumes,
Voguent sous les sanglots des jets d’eau de jadis.

La flûte aiguë alterne avec la mandoline
En un gai virelai de désir, et là-bas
La brise a lutiné la robe zinzoline
De quelque courtisane à caresse câline
Qui voulut voir mourir le soleil d’or, là-bas.

Puis peu à peu se meurt la voix évocatrice
En un passé hanté de mystères mauvais ;
Mort aussi, souvenir, le musical caprice
Des échos ; des hauts cieux l’ombre dominatrice
Tombe, avec les regrets et les songes mauvais.


Et sur les mers, les mers de lune, une galère
Funéraire a passé, portant un pavois d’or
Où désespérément un roi crépusculaire
Étend, sans voix, ses bras d’un geste de colère
Vers le Palais désert qui s’illumine d’or.