Les Fellatores/Rachildisme

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Union des bibliophiles (p. 201-207).

CHAPITRE XI

Rachildisme.


Ayant de nombreux adeptes, cette monstrueuse perversion devait inéluctablement trouver une plume toute taillée pour la prôner, pour la défendre.

La vertu a bien ses sycophantes, le vice peut bien avoir ses thuriféraires.

Ici, le comique tourne au grotesque, le bouffon coudoie l’horrible ; car le champion des fellatores est une femme !

Une romancière qui nous vient en droite ligne du pays des truffes ; une romancière qui, même par le scandale, veut parvenir à la célébrité comme ces friands tubercules qu’elle doit avoir contribué à mettre au jour.

C’est une fleur fanée, une enfant pâle, fluette, sans jeunesse.

Un petit visage contrarié, avec un nez songeur, des cheveux coupés court ; une frimousse de gamin vicieux.

Vêtue constamment d’un rouge peignoir, elle se tient d’habitude dans une chambre tendue de noir, au milieu de laquelle est un grand lit drapé de noir et dont le fond parsemé d’étoiles blanches rappelle à s’y méprendre les draperies des pompes funèbres.

Un chat noir aussi, au regard méphistophélique, se joue dans la traîne ponceau de son peignoir.

Ainsi, elle ressemble à un enfant de chœur, avant ou après la messe.

Elle vit avec un jeune poète qui compose des vers de cette force et qui les met en action :

Nous, les éphèbes bruns descendus des Sodomes.

Ce poète bizarre corrige les épreuves de cette romancière navrante, allume son feu, et, vêtu d’un pantalon effrangé, d’un pardessus presque blanc, le chapeau haut de forme roussi par la lune, il va, par les rues, chercher à sa femelle du pain à la livre sous son bras, deux sous d’huile dans une burette en verre sale, une boîte à lait contenant du bouillon et du bœuf pour six sous !

Cette écrivassière pitoyable vit misérablement du produit de ses élucubrations spasmodiques. Trois cent cinquante francs par édition, sur lesquels cent soixante-quinze francs reviennent de droit au paletot blanc, le redresseur de son orthographe, l’exécuteur de ses commissions de mangeaille, le rapporteur de ses arlequins.

Cette individualité, semi-femme, semi-garçon (on ne sait pas au juste), devint subitement le champion du fellatorisme par un livre que Titine et Clapotis considéraient comme le catéchisme du parfait biberon.

Le livre de cet être dévoyé, d’un sexe incertain, a pour titre : Monsieur Vénus.

Le piquant du volume, pour les adeptes, consiste dans ce fait : d’une femme devenue par amour la fellatrix d’un pignouf !

Jugez du haut goût de ce bouquin ?

Les critiques bibliographes, gens d’ordinaire rassis, peu vicieux, n’en comprirent pas un traître mot. L’auteur, elle-même, ne savait expliquer ce que signifiait son ouvrage.

Mais le prince, Pompazine, Plumberger, Boïard, Titine et autres initiés prodiguèrent, à tort ou à raison, leurs louanges à ce livre infect.

Enivrée de son succès, la chercheuse de truffes persévère dans cette voie, de traduire littérairement toutes les sensations du tribadisme.

Pour répondre au désir d’un certain nombre de ses lecteurs, elle écrivit, le samedi 4 décembre 1886, en première page du journal l’Étudiant, cette délicate profession de foi :

« Décidément, dans une horreur de la femme, je me consacre à l’amour contre nature de tous les hommes braves… si laids qu’ils puissent m’apparaître. »

Pour les fellatores, les points après braves donnent à ce qualificatif le sens de brillants, avec une intention équivoque qui frise l’obscénité.

Une tribade qui ose faire imprimer et qui affirme qu’elle se livre à l’amour contre nature est aussi peu femme que possible.

Moins difficile que la femme à barbe, elle fait assavoir qu’elle accepte les hommes grêlés.

C’est précisément ce qui plaît à la coterie fellatorienne, ce qui fait le succès des hallucinations cantharidées que cette femme-tapette livre à la curiosité de sa clientèle de pourris.

Au reste, le journal qui publiait cette saleté insérait, à la quatrième page, des réclames pour les proxénètes et pour les maisons confiées à la vigilance de l’autorité !

Cette quatrième page unique contenait aussi quelques adresses de brasseries à femmes, suivies de réflexions alléchantes capables d’exciter les passions mauvaises d’un acheteur bénévole.

Et quel choix de distractions ?

L’estime des fellatores pour cette périgourdine devint de l’admiration lorsqu’ils apprirent que cette fausse femelle pratiquait leur vice.

Que la romancière de Monsieur Vénus avait vécu son livre (?).

Qu’elle utilisait ses moments de loisirs, ainsi que Titine, à courir après les jeunes garçons, à les attirer chez elle pour les couvrir d’un baiser goulu.

Une baronne d’Ange de la rive gauche pour la gloire !

Enfin, elle enthousiasma ses fidèles lecteurs en insérant, à la fin d’un sale roman, une diatribe contre les antiphysiques.

Palouff pleura de joie d’avoir été compris par une plume si chaste.

Ceci dit en passant, afin de montrer que nous n’ignorons rien, que nous n’inventons rien, que nous n’omettons rien, reprenons le fil du récit.