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Les Femmes poètes bretonnes/Madame Riom, par M. Dominique Caillé

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Les Femmes poètes bretonnes Voir et modifier les données sur WikidataSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de Bretagne Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 125-140).


MADAME RIOM


MADAME RIOM

Une anthologie des femmes poètes de Bretagne au XVIIIe et au XIXe siècle serait incomplète, si la notice de Madame Eugène Riom, connue dans le monde des lettres sous les pseudonymes de Louise d’Isole et de comte de Saint-Jean, ne s’y trouvait pas.

Petite-nièce de Fouché, duc d’Otrante, elle est née comme lui au Pellerin (Loire-Inférieure). Son nom de jeune fille était Adine Broband. Elle s’est mariée jeune avec un notaire de Nantes, et a toujours vécu tranquille à son foyer, remplissant avec exactitude ses devoirs de famille et de religion. Aimant la littérature, elle a réuni, dans le salon de son hôtel du boulevard Delorme à Nantes, un grand nombre de prosateurs et de poètes de cette ville et de la Bretagne, de Paris et même de l’étranger. Citons, au hasard, MM. Joseph Rousse, Emile Péhant, Eugène Lambert, le vicomte de la Villemarqué, de l’Institut, Eugène Manuel, Olivier Biou, l’abbé Pétard, Émile Oger, Émile Blin, Honoré Broutelle, Louis Tiercelin, Olivier de Gourcuff, qui a joué là, en 1874, Jean-Marie, l’admirable petit drame breton d’André Theuriet, avec son confrère dans le journalisme parisien, M. André Treille. Madame Riom a donné l’hospitalité, pendant son séjour en France, en 1888, au poète canadien Louis Fréchette, qui a sculpté dans l’albâtre les traits de notre muse nantaise et qui a composé dans son ermitage du Pellerin son beau livre : La Légende d’un peuple.

« Poète en vertu d’un art supérieur à l’art même, » comme l’a si bien dit Lacaussade, Madame Riom a écrit dans les rares loisirs qui lui laissaient les occupations de son foyer de nombreux volumes en prose et en vers : Oscar, poème (1850), La Chapelle de Bethleem, roman (1854), Reflets de la lumière, poésies (1857), Flux et reflux, poésies (1867), Passion, poésies (1864), Après l’amour, poésies (1867), Mobiles et Zouaves Bretons, roman (1871), Merlin, poème (1872, et seconde édition en 1887), Histoires et Légendes Bretonnes, poésies (1873, et seconde édition, augmentée et illustrée, en 1881), Salomon et la Reine de Saba (1875), Les Oiseaux des Tournelles, acte en prose qui a eu dix-huit représentations au troisième Théâtre Français, en 1877, Michel Marion, roman historique (1879), Fleurs du passé, poésies (1880), Légendes bibliques et orientales, poésies (1882), Les Routes croisées, roman inédit (1884), La Houn, roman (1889).

Elle a collaboré à la Revue contemporaine, à la Revue Française, à la Revue de Paris, à la France littéraire, de Lyon, au Musée des Familles, à la Revue de Madrid, à la Revue de Paris et de Saint-Pétersbourg, qui a récemment publié d’elle le Sentiment de la mort chez les Bretons, et à la Revue des Provinces de l’Ouest, qui donne en ce moment ses Souvenirs d’une Nantaise.

Les principaux critiques de notre temps ont tour à tour rendu hommage au talent élevé et passionné de Madame Riom, qui a été en correspondance avec le Père Félix, le Père Lacordaire, André Theuriet, Théodore de Banville, Roumanille, Mistral, Lamartine et Victor Hugo.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire[1], les pensées de Madame Riom sont élevées et religieuses. Si son style est parfois négligé, il est souvent, en revanche, plein d’éclat et d’énergie. Plusieurs de ses poésies ne semblent pas l’œuvre d’une main féminine. De fins connaisseurs, Manuel et le Père Libercier, s’y sont trompés. Le premier n’a-t-il pas écrit au comte de Saint-Jean, après l’envoi de Merlin : « Je ne sais de vous que votre nom, mais, en vous lisant, je crois que vous êtes jeune, je sens que vous êtes noble aussi de cœur, et j’affirme que vous êtes poète. »

Madame Riom appartient à l’école de Lamartine et l’on pourrait porter sur elle ce jugement de Charles Nodier sur Turquety et dire : « Ce qui la distingue, c’est que sa poésie est animée par une foi pure et une conviction profonde. Ce n’est plus l’élan indéfini d’un spiritualisme admiratif qui honore Dieu dans ses œuvres, mais sans savoir à quel Dieu inconnu il doit porter ses hommages ; c’est l’hymne exhalé aux autels du Christianisme et tel qu’il a été recueilli par Klopstock dans les concerts mêmes des Anges. »

Mais Madame Riom n’est pas seulement bonne chrétienne, elle est encore bonne patriote : elle joint à son amour pour le Christ et son Église celui de la Bretagne, dont elle a narré en prose[2]la lutte pour l’indépendance et qu’elle a souvent chantée en beaux vers. Mais bien que Madame Riom réussisse à merveille dans la poésie religieuse et patriotique, ce n’est pas là, à notre avis, le côté le plus original de son talent ; où elle triomphe, c’est dans la peinture des sentiments qui agitent l’âme de la jeune fille, de l’épouse et de la mère, dans Après l’amour et surtout dans Passion.

Rien n’est plus juste que l’appréciation de Jules Janin, sur ce dernier livre : « Louise d’Isole écrit des vers brûlants, mais chastes ; elle aime, elle est aimée ; elle pleure, elle prie.

« Ami, vous le savez, de vous mon âme est pleine,
Sous le regard de Dieu je la porte avec peine ;
Un seul souffle, un rayon la ferait déborder.
Ah ! passer sans rien dire et sans me regarder ! »

La Société nationale d’encouragement au Bien et la Société Académique de Nantes ont couronné l’auteur de Michel Marion et de Routes croisées.

Madame Riom est officier d’Académie.

DOMINIQUE CAILLÉ.

LA PREMIÈRE LETTRE

Je tremble, et mon cœur bat, c’est sa première lettre !
Mais je ne puis l’ouvrir ainsi devant témoin ;
Déjà tout le bonheur qu’elle semble promettre
Brille à mes yeux en pleurs ; voilons-les avec soin !
Enfin, il est donc vrai, j’ai là votre pensée,
Pour moi seule enfermée en ce fragile écrit…
C’est votre lettre, ami, qu’ici je tiens pressée :
Vous parlez, je réponds, et ma lèvre sourit !

I


Oh ! n’oubliez-vous rien ? Me dites-vous les choses
Comme elles sont là-bas, le jardin, la maison ?
Mesurez-moi l’espace et comptez-moi les roses,
Je veux avec mon cœur voir tout votre horizon !
Puis, dites-moi surtout quand la lumière ou l’ombre
Passe à votre fenêtre à chaque heure du jour,
Afin qu’au ciel brillant comme dans l’azur sombre,
Je cherche le rayon qui vous voit à son tour !
De vos nouveaux amis parlez-moi sans contrainte ;
Contre eux je n’aurai pas de jalousie. Oh ! non !…

Je romps votre cachet ; voyez j’ouvre sans crainte,
Et déjà de baisers j’ai couvert votre nom !

Cependant au bonheur mon cœur se livre à peine,
Il sait que de hasard l’avenir est rempli…
Que la distance, hélas ! rend toute lutte vaine…
Et qu’il suffit d’un jour pour amener l’oubli !

II

Que votre lettre est triste !… Oh ! dites-moi, quel charme
Trouvez-vous à pleurer ainsi nos longs adieux !
Pas un mot d’espérance, ami, partout des larmes
Sortent de votre cœur pour entrer dans mes yeux !

« Sur la terre d’exil, humide et désolée,
« La neige, dites-vous, tombe depuis trois jours :
« Son linceul frissonnant a couvert la vallée. »
Et vous dites : « Encore !… Elle tombe toujours !!! »

Ces mots sont comme un glas répétant dans l’espace
De moment en moment ses trois lugubres coups ;
Je vois de loin, je sens ces frimas, cette glace :
Le soleil brille ici, mais j’ai froid avec vous.

Vous avez admiré cette toile émouvante
De notre Ary Scheffer, où le brouillard neigeux
Enveloppe et pâlit la Francesca du Dante ?
Eh bien, votre récit la retrace à mes yeux…

Oui, ce chef-d’œuvre semble animer cette page
Que je relis encor. Quand vous m’avez écrit,
Dites, y pensiez-vous ? Oh ! reprenez courage ;
Hélas ! le ciel rayonne et le printemps sourit !

« Je ne la verrai plus, mais qu’elle soit heureuse ;
« Seigneur, tout ce bonheur que j’osais espérer,
« Donnez-lui ! Devant nous la vie est ténébreuse !
« Tendez les bras vers elle, et laissez-moi pleurer !… »

Non, je n’accepte pas ces vœux, mais il me semble
Que jamais votre amour ne s’est mieux exprimé !
M’aimiez-vous donc autant, quand nous étions ensemble ?
Méritiez-vous autant qu’aujourd’hui d’être aimé ?

Quand un rameau fleuri touchera votre tête,
Quand de légers parfums, ou quelques chants bien doux,
Viendront comme un oiseau dans votre cœur en fête,
Fermez les yeux, c’est moi qui serai près de vous !

(Passion).
LA FOLLE

Il était une folle aux grands yeux désolés,
Qui tout le jour cherchait des sentiers isolés ;
On la voyait courir, s’élancer, hors d’haleine,
Poursuivre les oiseaux ou les faons dans la plaine,
Crier, les appeler longtemps et tendrement.

Et puis, sentant venir le découragement,
Demeurer immobile, et les yeux dans le vide…
Parfois on aurait dit que sur ce front livide
Un nuage passait… la femme sanglotait ;
C’était le souvenir au flot noir qui montait !
« Mon enfant, de ta tombe ils ont fermé les portes ;
Vainement je voudrais rentrer dans le passé.
Tes cheveux adorés tombant en boucles mortes,
Voilà de mon bonheur tout ce qu’ils m’ont laissé.
Où donc vont les enfants quand ils quittent la terre ?
Pourquoi nevient-on pas au moins dire à leur mère
Ce qu’ils sont devenus ? — Seigneur, qu’avez-vous fait ?
Aviez-vous à venger quelque immense forfait ?
— Je porte mon fils mort depuis ses funérailles,
Comme je l’ai porté vivant dans mes entrailles.
Ne venez rien chercher où vous avez tout pris,
Car de moi maintenant vous n’êtes plus compris.
Avec mes jours heureux, ma foi, mon âme est morte.
Le jour, la nuit, le bien, le mal, rien ne m’importe ;
La mort et ses dangers pour moi n’ont plus d’horreur,
Depuis qu’il n’est plus là, je n’ai jamais eu peur !
Vous ne pensiez donc pas aux malheureuses mères
Quand vous avez laissé le doute et les mystères
Errer sur les tombeaux ? Dites-moi seulement
Si vous avez mon fils ! — Dans cet affreux moment
Où je perdais l’espoir, du fond des noirs abîmes
J’appelais… vous fuyiez, et de cimes en cimes.

J’ai cessé maintenant tous ces cris superflus.
Puisque tout est fini, je n’appellerai plus !
Je pense, lorsqu’un fruit se présente à ma bouche,
À ceux qu’il réclamait sur sa funèbre couche.
Je hais les animaux parce qu’ils sont vivants,
Et j’arrache les fleurs pour les jeter aux vents ;
Je me venge des fleurs parce qu’elles sont belles
Et parce que je crois mon fils moins heureux qu’elles.
On devient si méchant quand on souffre toujours !
Dieu l’a dit, les damnés n’auront jamais d’amour.
— Oh ! comme j’ai souffert depuis ta longue absence !
Attire-moi ! prends-moi, là-bas, dans ton silence.
Viens, prolonge ma nuit, alourdis mon sommeil.
Pas de bruit, pas de jour, surtout pas de réveil !
C’est toujours au réveil que le souvenir porte
Ses coups les plus cruels ! — Dis ! suis-je déjà morte ?
Ta tombe, que je presse, a murmuré tout bas.
Si froide elle me vient que je ne la sens pas !
Mais le ver du sépulcre, immonde solitaire,
Répond : Ce n’est pas là ma pâture ordinaire,
Ce corps est incomplet, il lui manque le cœur !
— La mort ne me veut pas ! —… Pitié, grâce, Seigneur !
Quand je prie, à présent, c’est pour bien peu de chose ;
Je dis que tout rayon, tout enfant, toute rose,
S’éloignent de ma vue, aujourd’hui seulement :
Demain, je serai forte, oui, mon Dieu, maintenant
Effacez le sillage, éteignez la pensée,

 « Laissez tomber l’oubli sur la crise passée,
« Abrégez par pitié chaque heure qui s’enfuit,
« Et, surtout, laissez-moi dormir un peu la nuit ! »
Ainsi parlait la folle, et puis dans son délire
Ne trouvant plus de larme, elle éclata de rire.
Et je dis en fuyant ces rires étouffants :
Pourquoi Dieu prend-il donc aux mères leurs enfants ?

(Fleurs du passé.)
SAINTE THÉRÈSE

Oh ! choisis-moi pour ton amante,
Mon Sauveur, mon Christ adoré !
Prends-moi pour ton humble servante,
À genoux au temple sacré,
Pour ton esclave bienheureuse,
Qui veut qu’à ta croix glorieuse
Tous ses désirs restent liés.
Oh ! non, j’ai dit plus que je n’ose :
Seigneur, prends-moi pour quelque chose
Où tu puisses poser les pieds !

Ah ! dans mon cœur cherche une place,
Place d’amour, place d’honneur,
Où devant ton nom tout s’efface,
Où tu sois à jamais vainqueur.
Non, monte encor. Vois dans mon âme,

Plus haut que la plus chaste flamme,
Le trône où je veux t’élever.
Que je te suive où tu t’élances,
Et que jusqu’à toi mes offenses
Ne puissent jamais arriver !

À Jéricho, ville des roses,
Au bord du lac, près des palmiers,
Dans le Cénacle aux portes closes,
Près des disciples bateliers,
Oh ! laisse-moi toujours te suivre !
Un seul instant, laisse-moi vivre
Avec Jean ravi de bonheur,
Qui pendant la cène divine,
En s’endormant sur ta poitrine,
De ses lèvres pressait ton cœur.

Que ne puis-je, avec Madeleine,
Vivre toujours à tes genoux,
Et de l’amphore toujours pleine
Verser les parfums les plus doux ;
Te voir avec Marthe et Marie ;
Pauvre femme de Samarie,
Sans comprendre écouter ta voix ;
Comme Lazare dans la bière,
Me relever à ta prière,
Pour vivre en t’adorant deux fois !

Oh ! viens, viens soulever mon âme ;
Que vers toi monte mon amour,
Avec les parfums et la flamme,
Avec les chants, avec le jour ;
Que ton souffle brûlant m’oppresse,
Qu’il puisse, en m’enivrant sans cesse,
Prendre ma vie en s’échappant,
Comme le torrent des montagnes,
Qui, s’élançant dans les campagnes,
Brise sa digue et se répand.

(Légendes bibliques et orientales.)
  1. Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, juillet 1891.
  2. Michel Marion, roman, dont le héros est emprunté à une étude historique de M. Arthur de la Borderie.