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Les Femmes poètes de l’Allemagne/Texte entier

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LES


FEMMES POÈTES


DE L’ALLEMAGNE
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OUVRAGES ALLEMANDS CONSULTÉS

Das Jüngste Deutschland, von Doctor Adalbert von Hanstein (Voigtlander ; Leipzig, 1905).

Deutsche Litteraturgeschichte des 19. Jahrhunderts, von Carl Weitbrecht (Sammlung Goeschen ; Leipzig, 1901).

Deutsche Lyrik, von Maximilien Bern (Leipzig).

Die Deutsche Litteratur aus 19. Jahr. von R. M. Meyer (G. Bondy ; Berlin, 1906).

Frauenlyrik unserer Zeit, von Julia Virginia (Schus- ter und Loeffler ; Berlin et Leipzig, 1907.

Geschichte der deutschen Litteratur, von Heinrich Kurz (Leipzig, 1873).

Geschichte der deutschen nation-Litteratur, von prof. Hermann Kluge (Altenburg ; bei Oskar Bunde, 1893).

Litteraturgeschichtliche Lebensbilder und Charakteristiken, von Doctor Otto Lange (Rudolph Gaert- ner ; Berlin, 1870).

Moderne Deutsche Lyrik, von Hans Benzmann.


PRÉFACE

Mlle Lya Berger semble avoir pris à tâche de nous faire apprécier les femmes poètes des littératures étrangères, et il faut l’en louer : ce sont des domaines nouveaux et en partie inexplorés qu’elle ajoute ainsi à notre connaissance littéraire. Elle nous avait déjà initiés, dans un précédent article, à la poésie féminine de la Belgique[1]. Aujourd’hui, elle nous introduit auprès des femmes poètes de l’Allemagne, et, comme le sujet est plus important, son étude aussi prend des dimensions plus vastes. Elle nous les présente successivement dans leur suite chronologique ; elle recueille tous les renseignements qu’elle a pu découvrir sur leur vie et leur caractère ; elle y ajoute, dans des traductions fidèles, quelques échantillons de leur poésie. Son livre est à la fois une œuvre critique et une anthologie. Au reste, poète elle-même, elle était faite pour comprendre des poètes.

Voici d’abord une figure originale qu’elle rencontre dès le début : c’est la fameuse Rotswitha, la religieuse de Gandersheim, qui écrivit, au dixième siècle, six comédies latines à l’instar des six comédies de Térence. Des historiens modernes lui ont fait complaisamment un auditoire qu’elle n’a jamais eu. « Aux jours de fêtes, dit l’un d’eux, les grands du voisinage, les évêques, les abbés viennent à l’abbaye, et là, dans quelque bâtiment attenant au cloître, la noble assemblée écoute une comédie latine. Ne se croirait-on pas à ces représentations du dix-huitième siècle, dont les Jésuites aimaient à orner leurs fêtes scolaires ? » C’est, hélas ! une pure illusion. Il n’y a pas lieu, non plus, d’évoquer ici, comme on l’a fait, le souvenir du théâtre de Mme de Maintenon à Saint-Cyr. Les comédies de Rotswitha, qui ne sont, dans leur ensemble, qu’un éloge de la virginité, furent surtout un objet d’édification pour elle et pour ses collègues, celles du moins qui savaient le latin ; leur influence ne dépasse guère les limites du monastère où elles avaient pris naissance.

Au temps de la Réforme, comme au moyen âge, la femme reste à peu près étrangère au mouvement littéraire. Il suffit de regarder les figures de femmes que nous ont laissées Albert Dürer et Hans Holbein, pour voir que le génie poétique n’a point passé par là. Ce sont de bonnes ménagères, des épouses fidèles, des mères dévouées. Elles sont faites pour faciliter la tâche de l’homme, non pour la partager, encore moins pour rivaliser avec lui. Elles gouvernent la maison, commandent les servantes, et, au besoin, se font servantes elles- mêmes. Leurs mains, habituées au travail manuel, sont inhabiles à tenir la plume. Dans le grand nombre de cantiques inspirés par la Réforme, il en est qui ont pour auteurs des femmes ; mais celles-ci appartiennent surtout à l’aristocratie, la seule partie de la population qui eût de l’instruction et des loisirs.

L’influence des femmes, lorsqu’elle ne se manifeste pas par de grandes œuvres, s’exerce principalement par les salons. L’âme de la vie de salon, c’est la conversation, cet échange d’idées rapide, imprévu, où l’on touche à tout, sans rien approfondir, où l’on s’excite mutuellement par la diversité des manières de voir, et où les opinions les plus contraires s’humanisent et se tempèrent par l’urbanité des formes. Or, Mme de Staël avait déjà remarqué que l’Allemand est peu propre à la conversation. Il s’obstine dans son idée, tient fermement à ce qu’il croit vrai, et se reprocherait toute concession comme une faiblesse. Il discute plus qu’il ne cause, et l’Allemande, sous ce rapport, est peu différente de l’Allemand. Aussi la vie de salon a commencé tard en Allemagne. On en trouve quelques traces à Weimar, au temps où les plus grands écrivains de l’Allemagne étaient réunis dans cette ville, alors semblable à un village. Johanna Schopenhauer, la mère du philosophe, recevait chez elle quelques amis, très simplement, les jours où il n’y avait pas de théâtre. « Je leur offre une tasse de thé avec des tartines de beurre, écrit-elle à son fils, et on n’allume pas une bougie de plus. » La duchesse douairière Amélie, après qu’elle eût cédé le gouvernement à son fils Charles-Auguste, s’était arrangé une retraite champêtre à Tiefurt, une demi-heure de marche de la ville, et ses anciens amis, auxquels se joignaient des étrangers de passage, venaient l’y trouver. « Mais il y avait des jours, raconte la comtesse d’Egloffstein, où la grande liberté avec laquelle on pouvait produire ses opinions, dégénérait en dispute. Alors, l’esprit capricieux de Wieland, le persiflage aigu de Herder et, avant tout, le génie dominateur de Goethe se croisaient ; de leur choc, jaillissaient des étincelles qui échauffaient les âmes, et la duchesse ne parvenait pas toujours à calmer les jouteurs. Seul, Schiller se tenait au milieu de la mêlée sans s’émouvoir, comme une lune tranquille passe au-dessus des nuées orageuses. »

Il faut arriver jusqu’à l’époque romantique pour trouver en Allemagne quelque chose qui ressemble aux salons français du dix-septième et du dix-huitième siècle. Berlin était devenu momentanément le centre de la vie littéraire. Les Juifs, qui s’étaient enrichis pendant la guerre, faisaient leur entrée dans le monde en ouvrant leurs maisons, dont le luxe ne paraîtrait aujourd’hui que de l’aisance, mais était encore inusité dans la société allemande de ce temps. Là se rencontraient des écrivains et des savants comme les frères Schlegel et les frères Humboldt, des philosophes comme Fichte et Hegel, des poètes comme La Motte-Fouqué, Achim d’Arnim, Chamisso, même temporairement le jeune Heine, sans parler des publicistes et des hommes d’État. Là brillaient Rahel Levin et Henriette Herz, l’une par son esprit, l’autre par sa beauté. Rabel eut une véritable influence autour d’elle par son culte pour Goethe, qu’elle maintenait en face des innovations plus ou moins contestables de l’école romantique.

C’est alors aussi que les femmes écrivains deviennent de plus en plus nombreuses. Elles entrent décidément dans la vie littéraire, tantôt se joignant à un groupe et faisant école, tantôt cultivant dans la retraite le don qu’elles ont reçu de la nature. Mlle Lya Berger remarque avec justesse que leurs genres préférés, ceux qui répondent le mieux à leur tempérament et à leurs facultés, sont le chant lyrique et le roman ; elles traduisent leurs émotions ou leurs rêves, analysent l’âme humaine et spécialement l’âme féminine. Quelques-unes montrent une vraie originalité : telle la Viennoise Betty Paoli, dont les plaintes s’expriment parfois en vers harmonieux ; ou la Westphalienne Annette de Droste-Hülshoff, peintre fidèle des mœurs rustiques et des vieilles traditions de sa province ; telle surtout cette malicieuse Bettina Brentano, qui a su bâtir un si joli roman sur ses relations avec Goethe.

Le temps où la littérature allemande grandissait sous l’égide de Goethe a été le plus favorable aux femmes poètes les grands exemples qui leur venaient de Weimar leur servaient de règle et d’appui. Le romantisme leur a été funeste, le naturalisme les a dévoyées ; les rêves d’émancipation les ont perdues. Portées par leur nature à l’exagération, elles ont dit au Génie de la poésie ce que lady Macbeth dit à l’Esprit de mort : Unsex me, « Dépouille-moi de mon sexe » ; et quelques- unes d’entre elles se sont laissées aller à des orgies de pensée et à des crudités de langage devant lesquelles un homme aurait reculé. Mlle Lya Berger, qui n’a pas voulu les exclure de sa scrupuleuse enquête, leur conseille le tact et la mesure, le culte pur et simple de ce qui constitue la vraie supériorité de la femme, et l’on ne peut que s’associer à ce sage avertissement. Ajoutons que dans les traductions, dont elle a accompagné ses notices et qui sont un des ornements de son étude, elle n’a compris que des morceaux qui peuvent passer sous l’œil de tout le monde.

A. Bossert.

INTRODUCTION


La femme allemande est, plus que toute autre peut-être, prédisposée à la poésie, non seulement par son propre tempérament, mais encore par le milieu dans lequel elle vit.

Elle a l’imagination vive, le goût romanesque jusqu’à l’excès ; elle aime la nature qui, dans tous les arts, est l’une des principales sources d’inspiration du talent féminin. Non point mystique comme on se plaît trop volontiers à le croire, elle est douée parfois d’une ardeur de sensations qui la porte à vouloir traduire et exalter ce qu’elle éprouve. Ainsi que l’a très justement noté Mme de Staël, « elle cherche à plaire par la sensibilité, à intéresser par l’imagination ».

Elle possède le sens du rythme, qui est aussi la cause de son aptitude pour la musique et la danse.

Enfin, l’atmosphère germanique des légendes attirantes par leurs nébuleuses visions, l’influence de la poésie populaire accessible à la majorité des esprits et beaucoup plus répandue en Allemagne que chez nous, répondent au caractère de la généralité des femmes allemandes, exclusivement vouées au foyer et moins rebelles que d’autres races, à l’emprise des traditions sociales et intellectuelles.

Il est bon de remarquer aussi que la prosodie allemande est favorisée, quant à la forme, par la langue elle-même, naturellement scandée comme le latin, grâce à l’alternance des syllabes faibles et fortes, et que, de plus, les lois concernant les rimes, les licences grammaticales ou orthographiques y sont moins rigoureuses que les nôtres. L’assonance, par exemple, est acceptée.

Ces raisons font que la poésie féminine allemande n’est pas l’apanage exclusif d’une classe dans toutes les conditions sociales, la femme aura des tendances à suivre un rêve et à l’exprimer. Le cas d’Antoinette Carré, cette jeune ouvrière de Lyon, qu’un éloge de Lamartine a immortalisée, deviendrait un fait courant en Allemagne.

La contagion poétique dont nous nous plaignons déjà en France, sévit, avec plus d’intensité encore, chez nos voisins, où les vers sont très aimés, très lus, sus par cœur, grâce souvent à l’accompagnement musical qui les incruste dans la mémoire. Et cela, à tous les degrés de l’échelle intellectuelle. Il n’est pas rare de rencontrer des servantes, des campagnardes, s’enthousiasmant sur une fleur, sur un clair de lune et traduisant leur admiration par des vers appropriés de Goethe ou de Heine, dont elles n’ignorent ni le nom, ni la célébrité.

La poésie allemande féminine pourra donc être moins savante que celle d’autres pays mais non moins captivante, au contraire, puisqu’elle devient ainsi l’âme même d’un peuple, d’un temps.

Les femmes poètes allemandes, bien que peu connues à l’étranger, sont nombreuses. L’étude de leur vie, comme celle de leurs œuvres, est intéressante. Il est curieux de rechercher les influences qu’elles ont subies ou exercées durant l’époque à laquelle elles appartinrent.

Sauf dans les temps modernes, où tout se classe et se spécialise, elles ne se sont guère rangées systématiquement sous le drapeau d’une école. Celles, surtout, qui vivaient loin des centres intellectuels, à peine soupçonnées de leurs contemporains, rimant pour leur joie intime et l’amour de l’art, sans nul souci ambitieux ou mercantile, n’affichent ni théories, ni couleur.

Il convient donc plutôt de les grouper par siècles, puisqu’on a coutume de reconnaître à chacune de ces périodes de temps, un caractère, sinon tout à fait distinctif, du moins dominant.

Nous nous sommes efforcée, pour les documents bio-bibliographiques contenus dans cet ouvrage, de puiser aux sources les plus sûres et d’avoir recours aux jugements les plus autorisés. Ce fut un patient labeur car il n’existe pas, en Allemagne, de travail d’ensemble sur la littérature féminine.

Pour apprécier des œuvres de ce genre, il est bon de s’identifier d’abord, autant que possible, avec les auteurs qui les ont créées, c’est-à-dire de connaître le pays où ils sont nés, d’y vivre de leur vie. Plusieurs séjours en Allemagne, la fréquentation de ses habitants, nous ont permis d’effectuer cette étude préliminaire. Nous avons parcouru la plupart des sites chantés dans les stances lyriques des Muses germaniques : les rives rhénanes peuplées de visions légendaires, et celles du vieux Danube impérial, la mystérieuse Forêt-Noire, l’artistique Bavière, le Tyrol même, ce seuil si germain de l’Autriche, sans oublier d’aller rêver au bord du lac de Constance, le Bodensee qui fut la chère retraite de tant de lettrés allemands. Ainsi avons-nous pu, jusqu’à un certain point, établir une mesure de comparaison entre les sujets inspirateurs et la valeur de l’inspiration.

En ce qui concerne les poèmes, nous nous sommes bornée à extraire, des œuvres en cause, une ou deux pièces choisies parmi les plus caractéristiques, négligeant même de citer celles des auteurs d’ordre tout à fait secondaire et n’offrant, par conséquent, aucun intérêt.

Sachant que traduire est presque toujours synonyme de trahir, nous avons jugé inutile de déformer davantage les œuvres originales en les coulant de nouveau dans un moule prosodique. Bien souvent, d’ailleurs, nous l’avons dit plus haut, la valeur de la poésie allemande consiste plutôt dans le choix des termes, la force des images ou les effets de rythme, que dans la qualité des rimes. Il vaut donc mieux s’attacher à rendre d’abord le sens exact des idées émises, et, lorsque ces idées sont exprimées dans le style nébuleux ou elliptique coutumier à certains auteurs d’outre-Rhin, les translater de façon que la pensée reste toujours compréhensible pour le lecteur.

Il est bon aussi de remarquer que parfois — pour les poétesses anciennes surtout — plusieurs éditions des mêmes œuvres ont été publiées et que ces éditions présentent entre elles des différences. Nous aurons l’occasion d’en reparler, en donnant l’exemple à l’appui, dans le cours de cet ouvrage. Mais ce sont là des questions de détails, n’influant point sur le jugement qu’on peut dégager d’une telle étude.

En cette tâche quelque peu ingrate qui consistait à présenter en une seule gerbe toute une flore exotique, dont l’existence et les noms mêmes étaient ignorés de la majorité du public qui lira ce livre, nous avons surtout cherché à tenir en éveil l’intérêt, la curiosité ; nous avons essayé de faire vivre ou revivre, grâce aux anecdotes, portraits et choix d’œuvres les concernant, toutes ces femmes ayant exprimé, avec des mots différents, des sentiments universels que nous éprouvons nous-mêmes chaque jour. Nous avons rêvé d’en faire mieux qu’une galerie de tableaux, un jardin d’âmes, dont les parfums multiples se partageront nos préférences.

De plus, la forme simplement anthologique étant un peu froide et sèche, nous avons cru utile de lier par l’histoire générale des lettres allemandes les chaînons d’une de ses parures, sinon les plus éclatantes, du moins les plus gracieuses.

À l’heure où, de tous côtés, même à l’étranger, paraissent des ouvrages sur les poétesses françaises, il nous a semblé équitable de nous occuper de leurs « consœurs » étrangères.

Le hasard des circonstances et une connaissance plus approfondie de la langue nous ont seuls guidée d’abord vers l’Allemagne ; mais nous espérons bien, si la vie nous le permet, continuer ce tour d’Europe, heureuse si, une fois de plus, la lyre d’Orphée pouvait contribuer à la pacification des esprits et des cœurs et si la Poésie en pouvait être mieux

aimée.

LES
FEMMES POÈTES DE L’ALLEMAGNE


CHAPITRE PREMIER

du moyen âge au dix-huitième siècle

Rotswitha. — Frau Ava. — Sybilla Schwarz. — Henriette-Luise, électrice de Brandebourg. — Katarina-Regina von Greiffenberg.

L’aïeule des poétesses allemandes paraît être une certaine nonne, appelée Rotswitha[2], bénédictine du cloître de Gandersheim (Brunswick), et qui vivait au dixième siècle (935 à 1000). Encore n’écrivait-elle guère qu’en latin.

À ce moment, en Allemagne comme en France, l’érudition était concentrée dans les abbayes, berceaux des glossaires, notamment dans celles de Fulda et de Saint-Gall. Presque toutes les œuvres traitaient de sujets empruntés à la Bible ou à l’Histoire ancienne.

Rotswitha suivit l’impulsion donnée.

Outre une Histoire de l’abbaye de Gandersheim, elle a composé six comédies, dignes, dit un critique enthousiaste, de supplanter Térence. Les titres de ces pièces sont : Abrahamus, Sapientia (mère des trois vertus théologales), Gallicanus, Dulcitius, Paphnutius, Callimachus.

Traduits plus tard, en partie, en langue moderne, par J. Bendixen, en 1850, ces ouvrages ont été édités, en 1858, par K.-A. Barach (Nuremberg).

De plus, Rotswitha est l’auteur d’un long poème rimé en hexamètres, à la louange de l’empereur Otto Ier (Loblied auf Otto Ier).

Dans les temps modernes, un doute a été émis sur l’authenticité de ces œuvres par le professeur Joseph Aschbach[3], qui, avec beaucoup de finesse et d’érudition, cherche à prouver que les travaux de la poétesse ne sont qu’une copie d’une première édition de l’humaniste Conrad Celtès. Mais cette opinion a été brillamment réfutée par le professeur Rodolph Kopke, de Berlin[4], dans son livre Sur la littérature du dixième siècle. Le même savant a écrit un intéressant petit traité ayant spécialement pour objet Rotswitha, sous ce titre : la Plus ancienne poétesse allemande (1869).

En France, une édition avec traduction a paru en 1845, grâce aux travaux de Ch. Magnin.

On y voit que le but de Rotswitha était surtout de donner à ses sœurs des conseils moraux ; elle se plaisait à exalter les vertus de l’âme féminine, et en particulier la chasteté.

Ce n’est vraiment qu’au douzième siècle qu’apparaissent les premiers poèmes féminins en langue allemande.

Leur auteur est Frau Ava, dont le vrai nom se dérobe sous ce pseudonyme.

Certains anthologistes ne font même pas mention de Frau Ava. Les mieux documentés racontent que cette femme vécut d’abord dans le monde et eut deux fils. Puis elle se retira dans un monastère d’Autriche, où elle écrivit des poèmes mystiques, sortes de paraphrases évangéliques.

Les manuscrits de ces vers ayant été découverts à Goerlitz, sans indication du nom de l’auteur, on ne les connut pendant quelque temps que sous le titre de Goerlitzer Evangelienharmonie. Plus tard, on trouva un manu- scrit antérieur révélant la personnalité du poète. Mais sa présence dans un cloître fit d’abord penser qu’elle était une nonne, comme Rotswitha, comme Hadewyck, la poétesse mystique hollandaise.

Non seulement Frau Ava n’était qu’une recluse, mais encore il est avéré, d’après son propre aveu, qu’elle ne composa pas seule ses écrits. Ses deux fils l’aidèrent dans sa tâche.

Cette œuvre, en réalité, n’a rien de bien original. Elle est formée de quelques poèmes spirituels et d’une Vie de Jésus, intéressante surtout par les documents qu’elle nous fournit sur les croyances religieuses de l’époque.

La poétesse suit fidèlement, presque trop fidèlement, les récits des évangélistes, à tel point, nous dit Heinrich Kurz, que lorsque les versions offrent quelque divergence de détail elle n’hésite pas à rimer sur ces thèmes différents des poèmes divers. Elle est une adaptatrice scrupuleuse, plutôt qu’une artiste.

Dans l’ensemble du travail, la langue ne manque ni de variété, ni de vivacité. La rime est encore confuse ; très souvent elle n’existe qu’à l’état d’assonance. L’allitération s’y rencontre parfois, principalement dans les passages où l’inspiration de la poétesse prend plus d’essor.

Frau Ava mourut à Gottweih (Autriche), en 1127.

En France, les premières poétesses, nées seulement dans le cours des siècles suivants, Marie de France, Agnès de Navarre, se sont laissé inspirer par l’amour profane plutôt que par l’amour divin. Ce fut peut-être moins édifiant, mais leur œuvre est plus personnelle, quoique très imparfaite encore.

En tout cas, ces deux recluses allemandes, préparant, au fond de leur cellule, la voie poétique à leurs descendantes spirituelles, sont curieuses à évoquer. Différentes, sans doute, si l’on en juge par l’esprit de leurs écrits : l’une, mystique, cherchant l’inspiration au pied de l’autel, l’autre retraçant plutôt le type sympathique de la nonne alerte et un tantinet maligne, aux yeux pétillants du plaisir qu’elle se procurait en agitant les ficelles de ses personnages de comédie, mais toutes deux rompant, par l’essor de leur intelligence, de leur imagination, l’atonie contemplative ou l’action mécanique des Bénédictines de l’époque, elles brillent au fond des temps ainsi que le point lumineux apparu par la meurtrière d’un souterrain et qui se prolonge en rayon progressif et sûr, épandant sa clarté sur toute l’ombre environnante.

Pour longtemps, alors, les femmes disparaissent de la scène poétique. Elles n’y ont, du moins, joué aucun rôle assez important pour qu’il y ait lieu d’en faire mention.

La cause de cette « grève des Muses » est peut-être dans le genre affecté à ce moment-là par la poésie.

C’est l’époque des longs poèmes religieux, imités du latin, ou chevaleresques, empruntés à nos cycles féodaux, chansons de geste… La matière épique domine : elle n’est pas du ressort féminin.

Cependant, bien que n’y jouant pas de rôle actif, la femme devient l’âme de la poésie lyrique d’alors. Sans doute cette façon d’être Muse lui semblait la meilleure ; elle y trouvait un aussi sûr garant d’immortalité. Mais il semble étonnant qu’elle n’ait pas répondu par quelques strophes aux galants poèmes tout remplis d’elle et que les empereurs, les princes se faisaient un honneur de signer, ainsi qu’en témoignent les œuvres d’Henri VI.

Le plus célèbre de ces Minnesinger (chantres d’amour) est assurément Henri de Meissen, surnommé Frauenlob (louangeur des dames). Il rendit aux femmes un culte si sincère, si ardent, que, lorsqu’il mourut à Mayence, les bourgeoises de la ville tinrent à porter elles-mêmes son cercueil jusqu’à la cathédrale où se voit, d’ailleurs, toujours, sa sépulture.

Il ne paraît pas non plus que l’inspiration poétique des femmes ait été stimulée par l’appât des concours qui excitent aujourd’hui tant d’espoirs, de convoitises… et de déceptions. Aucun nom féminin n’est mentionné dans la confrérie des Meistersänger (maîtres-chanteurs), qui couronnaient les Lieder des concurrents par des médailles d’argent, des fleurs de soie, bien faites, cependant, pour tenter la coquetterie féminine.

Une sorte de décadence se produit ensuite dans la poésie allemande, décadence dont les causes tiennent à la situation politique et sociale de l’État germanique, en même temps qu’à la prépondérance des sciences. Peu après, l’évolution luthérienne accapare les esprits et spécialise, on le devine, les sujets des œuvres produites. Enfin, la guerre de Trente Ans, à son tour, arrête l’essor intellectuel.

Il faut la création, la rivalité des deux écoles littéraires, saxonne et suisse, pour réveiller, par l’étincelle de l’ambition, les esprits engourdis. L’activité renaîtra entière, féconde, avec les deux champions célèbres de l’école suisse, qui renouvelleront, qui engendreront, pour mieux dire, la vraie littérature allemande : Klopstock et Wieland.

Donc, durant le moyen âge et la Renaissance, Christine de Pisan, Marguerite d’Angoulême n’ont pas de rivales au delà du Rhin.

Il faut pourtant mentionner le nom de Clara Hetzler, qui, sans être créatrice, eut, du moins, l’excellente idée de composer un recueil des vieilles chansons populaires en lesquelles elle voyait une source d’inspiration lyrique future. L’avenir lui a donné raison. Clara Hetzler accomplit ce travail au seizième siècle. Au dix-neuvième, son livre fut réédité.

C’est au dix-septième siècle seulement qu’un nom féminin réapparaît dans la lice poétique.

Ce nom est celui de Sybilla Schwarz, fraîche et intéressante évocation d’une jeune Muse qu’une mort prématurée fit deux fois la favorite des dieux.

Née en 1621, à Greifswald, Sybilla, dont l’instruction fut poussée jusqu’à l’étude des langues mortes, ce qui était rare à cette époque, écrivit des vers dès l’enfance. Elle fut fidèle à cette vocation, malgré les blâmes et moqueries que ne lui ménageaient, paraît-il, ni ses parents ni ses maîtres.

L’admiration de la nature, les plaisirs de l’amitié furent d’abord ses sources d’inspiration ; puis, précocement, elle salua et chanta l’amour avec une intensité d’expression que procure seule d’ordinaire l’expérience de ce sentiment, alors qu’elle ne le connaissait en réalité que d’après ses lectures ou les conversations entendues. Çà et là, se rencontrent même dans ses poèmes des peintures ou des réflexions qui peuvent étonner chez une adolescente, mais dont la naïveté, justement, trahit le concours de l’imagination.

Cette tendance, et aussi le portrait qui reste d’elle — un visage à la fois malicieux et rêveur, au regard ardent, aux lèvres voluptueuses, et auréolé d’une opulente chevelure — prouvent que la nature passionnée de Sybilla eût joui pleinement de la vie et de ses joies.

Pourtant — soit par suite d’une sourde maladie que les biographies ne mentionnent pas, soit simplement par pressentiment du sort qui lui était réservé — la jeune fille, souvent, pense à la mort, à cette mort qui devait la ravir, si peu de temps après, en 1638, dans l’épanouissement de sa dix-huitième année. Mais comme tous les êtres jeunes, Sybilla Schwarz envisage sans peur la mort et la pare de certaines grâces.

On trouve dans l’œuvre de cette poétesse une piquante opposition de simplicité enfantine et de gravité profonde. Son style alerte n’est pas dénué d’ironie ; parfois même un trait de satire échappe à sa verve ; dans le poème An den unadelichen Adel, cette ironie devient de la moquerie amère, sans doute sous l’influence d’une des premières désillusions d’une âme sensible.

Outre les petits poèmes lyriques qui représentent la majeure et la plus personnelle partie de son œuvre, Sybilla a composé quelques travaux plus importants quant à l’étendue : une bergerie à la mode d’alors, en prose coupée de chants, Faunus ; une Histoire de Daphné, en une suite de ballades au tour ancien, et un essai dramatique, Suzanna.

Voici un des morceaux les plus connus de Sybilla Schwarz :

mon bien est là-bas…

Mon bien, mon tout est là-bas, mon espoir dans la joie et la douleur ; mon autre moi-même est parti, ma vie, ma beauté ; — ce que j’aime le mieux en ce monde est loin, loin d’ici déjà — (l’amour est bien amer, mais la séparation l’est plus encore).

Je ne puis être toi-même ; et je ne puis entière- ment me détacher de toi, — ô très cher Dorile ! Je ne suis plus en moi, je ne suis plus moi, quand je ne suis pas auprès de toi ; — ô vous, Heures, enfuyez- vous ! Voulez-vous me porter ombrage ?

Ah ! Phoebus, ne retiens pas tes rapides cour- siers ! — Allez, allez, fuyez, ô jours ! Et reviens, toi, clarté lunaire ! — Un jour est semblable à un an au bout duquel je ne vois rien !

Ô ma vraie lumière… ! Fuis, fuis donc, temps paresseux ! Tends ta voile et amène-moi aujourd’hui mon amour, et lorsqu’il sera de retour, alors, oh ! va lentement !

Presque en même temps fleurissait la renommée d’Henriette-Luise, princesse-électrice de Brandeburg, épouse du grand prince-électeur Frédéric-Wilhelm.

Née à La Haye, la princesse vécut en Allemagne, au milieu de la société choisie qui convenait à son rang.

Elle écrivit surtout des chants spirituels, exemple qui sera suivi maintes fois, ce genre étant très goûté en Allemagne. Bien qu’on ait parlé de son talent au sujet de diverses autres œuvres, les critiques sont d’accord pour le restreindre à cette forme très spéciale. On ne cite d’elle aucun ouvrage de fond. La situation sociale d’Henriette-Luise, électrice de Brandebourg, paraît, d’après ces avis judicieux, n’avoir point nui à l’immortalité accordée à son nom.

Mais il est bon d’ajouter que plusieurs de ses cantiques se chantent encore aujourd’hui dans les offices religieux ; ils sont même assez populaires, bien que la majorité des fidèles ignorent le nom de leur auteur.

À la même époque encore, apparaît une poétesse que l’inspiration spirituelle a souvent aussi visitée, Katarina-Regina von Greiffenberg.

Les luttes engendrées par la Réforme avaient alors une vive influence sur les esprits, surtout dans les villes habitées ou visitées par les propagateurs des idées nouvelles.

Or, Regina de Greiffenberg, née à Greiffenberg, en Autriche, en 1633, vint, après la mort de son père, qu’elle perdit de bonne heure, habiter auprès d’un oncle, à Nuremberg, la vieille cité qui fut le berceau des « maîtres-chanteurs » et la patrie de Hans Sachs, fidèle émule de Luther. Elle passa dans cette ville la plus grande partie de sa vie et y mourut, célibataire croit-on, en 1694.

Elle eut une certaine notoriété dans les cercles intellectuels de sa patrie d’adoption. Une société littéraire, dénommée die Tapfere (l’Intrépide), l’admit parmi ses membres ; elle en devint plus tard la présidente et acquit le titre de Zunftmeisterin, qui correspond à celui que porterait en France une « maîtresse ès jeux floraux ».

Les poèmes de Regina de Greiffenberg parurent successivement sous deux titres différents, dont l’un, choisi par son oncle, qui avait fait éditer l’œuvre à l’insu de l’auteur, peut se traduire par ces mots : Chants et Échos célestes de l’Uranie allemande. Le surnom mythologique resta à Regina.

Cette œuvre se compose d’environ deux cent cinquante sonnets et une cinquantaine de chants variés. Les sonnets ont plus de valeur que les autres poèmes ; ils contiennent des pensées élevées, de riches images. Le mètre le plus employé est l’alexandrin, mais on y rencontre aussi le rythme du dactyle, imité du latin.

Les sujets célébrés dans ces poèmes sont surtout, nous l’avons dit, empruntés à l’idée religieuse. La foi, l’admiration de la puissance divine sont exprimées dans les vers de Regina avec un enthousiasme sincère. Dans les sonnets, elle s’attache souvent à raconter, comme Frau Ava, la vie et les souffrances de Jésus, d’après l’Écriture sainte.

Nous avons, de préférence, extrait de son œuvre, deux morceaux sur la louange divine, comme étant d’inspiration plus personnelle.

I. L’Impérieux Désir.

Ainsi que le vent d’abord doucement se lève — et croît de plus en plus, — jusqu’à ce qu’avec fracas — il pénètre dans les taillis épais en mugissant — et entraine toujours plus vite les vapeurs et les airs,

Ainsi s’augmente, ô Jésus, mon désir — de Toi, et s’accroit comme le torrent de ta grâce — qui, dans notre mémoire, trouve l’écho de ta louange — et la perpétue de façon puissante !

De temps à autre, le vent apporte à la terre la féconde pluie ; — de même la grâce divine fertilise les œuvres, — en même temps qu’elle réjouit notre cœur.

Mais le vent n’agite pas autant de rameaux dans les bois — que la grâce, en moi, fait vibrer de consolation et d’espérance.

II. Cantique du Printemps.

Réjouissez-vous, arbres ! chantez, oiseaux ! dansez, fleurs ! riez, prairies ! — Saute, toi, petite source ! Murmure, ô ruisseau ! jouez, douces brises ! — Gonflez-vous de plaisir, rivières calmes et coulez rapides ! — Offrez tous vos louanges au Créateur qui vous ressuscite ! — Que chaque fleurette soit une coupe de prémices, — chaque brin d’herbe une colonne érigée en l’honneur de son nom ! — Que chaque rameau proclame ses grâces ! — Aussi loin que sa bonté s’étend, puisse sa gloire être chantée !

Et toi, avant tout, homme, raison et but de sa munificence, — de toutes les effusions de sa tendresse, abîme où le flot des miracles — se déverse, toi qui deviens meilleur sous cette ondée bienfaisante, — loue ce Dieu avec ton cœur, tes mains, tes sens et ta voix, loue-le, célèbre-le, exalte-le !

Laisse, dans l’adoration de son amour, ton être se consumer ! — Que ta louange de gratitude monte vers lui comme l’encens de la terre !

CHAPITRE II

DIX-HUITIÈME SIÈCLE

Luise Karsch. — Baronne de Klenke, née Karsch. — Helmine von Chesy. — Caroline Rudolphi. — Elise von der Recke. — Amalie de Helwig. — Karoline Brachmann.

La première femme poète du dix-huitième siècle, selon l’ordre chronologique, mérite d’être signalée, non seulement à cause de l’originalité de son talent, mais encore et surtout pour celle de son caractère et de sa vie.

L’âme féminine allemande, plutôt passive et soumise au joug de la tradition, présente quelquefois une de ces curieuses exceptions qui passent à travers le monde sans avoir l’air d’en soupçonner les lois, les errements, acceptant pour seul guide leur fantaisie, ou plutôt leur imagination ardente, que semble habiter l’esprit des Kobolds et des Nixes de la vieille mythologie rhénane.

ANNA-LUISE KARSCH est l’incarnation de ce type.

Elle naquit à Durbach (Silésie), en 1722. Ayant perdu tôt son père, elle fut malheureuse avec une mère fort égoïste, qui, pour rester plus libre de convoler jusqu’à trois fois en justes noces, envoya sa fille à la campagne chez des paysans qui l’employèrent à garder les troupeaux et la laissèrent vaquer aux travaux les plus humbles. On devine que les fréquentations de cette époque de sa vie n’étaient pas en mesure de favoriser l’éducation ni l’instruction de Luise. Sa principale compagnie fut celle d’un pâtre qui lui fit connaître les livres populaires de la Belle Mélusine et de l’Empereur Octavien. Elle n’avait encore lu que la Bible ; son imagination s’exalta pour ces récits chevaleresques. De plus, sa vie rustique la mettait en communication avec la nature qu’elle chanta en vers naïfs.

Un de ses oncles, voyant ses dispositions intellectuelles, la prit alors auprès de lui pour la faire instruire. Mais elle atteignait à peine sa dix-septième année que sa mère la maria à un tisserand…

Après dix ans de mauvais traitements, elle se sépara de cet homme, et, au cours des voyages qu’elle entreprit, rencontra le tailleur Karsch qui lui promit le mariage si elle voulait le suivre à Fraustadt, où il habitait. Ainsi fut fait. Tous deux allèrent par la suite s’établir à Goerlitz.

Entre temps, son talent poétique, qu’elle n’avait pas cessé de cultiver, acquérait quelque renommée dans la contrée. Elle composait, selon la mode d’alors, des « poèmes de circonstance », et gagnait par ce moyen des revenus passables.

Cette façon de traiter la poésie était bien un peu commerciale ; mais Luise Karsch avait une excuse : son mari s’adonnait à la boisson et la réduisait à la misère. Maintes protections sérieuses s’offrirent, mais aucune ne pouvait durer, Luise refusant de se séparer de son mari qui continuait à gaspiller l’argent gagné.

Cet exemple de fidélité conjugale intéressa pourtant le célèbre baron von Kottwitz, qui attira la poétesse à Berlin. Il l’y introduisit dans son cercle de gens distingués et lettrés, lui fit connaître Sulzer[5], Mendelssohn et Ramler[6], qui lui décerna le titre de « Sapho allemande » ; il entreprit aussi de perfectionner son talent. Mais Luise était rebelle aux réformes. Elle visita, à Halberstadt, Gleim[7], le chef de l’école anacréontique. Gleim la désigna à l’attention de divers membres influents de l’aristocratie et fit imprimer ses vers, dont la vente lui rapporta deux mille thalers. Le métier de poétesse était plus fructueux jadis qu’aujourd’hui.

La situation de Luise Karsch s’améliorait donc, quand survint la mort de son protecteur, le baron de Kottwitz, qui, seul, avait sur elle quelque influence. Elle eut alors l’idée de se recommander au roi Frédéric, que ses vers avaient célébré.

Mais sa faiblesse, sa légèreté incorrigibles ne plaidaient pas en sa faveur. Elle se laissait ruiner maintenant par son fils, digne héritier de Karsch. De même, sans écouter les conseils donnés, elle maria sottement sa fille avec son beau-frère ; cette première union se termina par l’abandon ; une seconde finit par le divorce.

Ces scandales déplurent au roi. Naturellement la sympathie publique s’en ressentit. On désignait la pauvre femme sous le vocable péjoratif de « la Karschin ».

Une seconde supplique à Frédéric, qui, la première fois, avait accordé un secours de cinquante thalers, en valut deux à Luise, alors qu’elle avait demandé « de quoi se faire bâtir une petite maison ». C’était là son idée fixe.

Anna-Luise, froissée, renvoya l’aumône, ce qui ne l’empêcha pas, dix ans plus tard, de revenir à la charge, pour obtenir, cette fois… trois thalers.

Elle s’en acquitta par quelques vers, dont voici la traduction :

Sa Majesté commande qu’on m’octroie trois thalers — pour une maison à bâtir — L’ordre du monarque est promptement et fidèlement exécuté ! — Et je dois dire merci ! — Mais, dans Berlin, je ne puis trouver un menuisier — qui veuille, pour trois thalers, me bâtir ma dernière maison. — À peine pourrais-je à ce prix me commander une maison de telle sorte — que les vers un jour y tiendront place — et se dépiteront du pauvre festin que leur offre — le corps d’une femme vieille et décharnée, seule largesse faite à eux par le souverain. son de telle sorte

Cette macabre et courageuse ironie n’attendrit pas le souverain. Mais, malgré les difficultés de sa situation, Anna-Luise Karsch ne perdait pas confiance en la Providence. Elle sentait qu’elle aurait sa maison.

Ce vœu fut en effet exaucé, non par Frédéric, mais par son fils et successeur, Frédéric-Guillaume II, plus pitoyable. La hâte de la pauvre femme à prendre possession de la demeure tant souhaitée était si grande, qu’elle n’attendit même pas l’achèvement des travaux ; cette mauvaise condition hygiénique lui valut une maladie dont elle mourut peu de temps après (1791).

Les poèmes de Louise Karsch font preuve d’un certain don poétique, mais son éducation déséquilibrée influa sur ses œuvres comme sur sa vie, et ses productions sont fort inégales. À côté de sentiments profonds pleins de pensées vives, exprimées avec un tour judicieux, on rencontre des termes durs ou vulgaires, des images banales, provenant du temps de son existence rustique et dont elle n’était jamais parvenue à se défaire.

Néanmoins, nous tenons à donner ici un morceau extrait du choix de ses œuvres :

MÉDITATION PENDANT UNE VEILLÉE

Quand je veille, je pense à toi, — À toi, Seigneur,
qui règles le jour et la nuit — et qui, à l’heure de
l’ombre — revêts la pâle lune — des clartés du soleil.

C’est une lumière royale — qui tombe des lointains
incommensurables ; — et, sans nombre, comme
les sables au bord de la mer — les étoiles l’auréolent.

Quelle magnificence partout se répand ! — L’obscurité,
trouée de clartés — nous regarde — et révèle
ton nom à notre face.

Ô Créateur du soleil ! que tu nous apparais grand
— dans le plus petit de tes astres, — grand d’une
grandeur que nul mot ne peut traduire !

Les étoiles du matin te louent — dans un chœur
intime, — à l’heure où, du fond des ténèbres — un
mot de ta bouche toute-puissante — fait éclore leur
monde, dans la voûte du firmament.

Elles brillent, toujours pleines d’éclat, de jeunesse

comme si des siècles, déjà, depuis leur création
ne s’étaient pas écoulés. — L’évolution du temps ne
ravit rien à la splendeur de leur front.

Le don poétique d’Anna-Louise Karsch ne mourut pas tout à fait avec elle. Sa fille, puis sa petite-fille en héritèrent. La première, baronne de klenke, a rimé seulement quelques vers ; mais la seconde, connue sous le nom de son second mari, M. de Chesy, tient une place dans l’histoire littéraire allemande du dix-huitième siècle.

Helmine von Chesy naquit à Berlin, en 1783. Au contraire de son aïeule, elle reçut une éducation soignée. Son premier mariage, avec M. von Hastfer, ne fut pas heureux ; au bout d’un an, elle divorça. Dans un séjour à Paris, elle connut alors M. de Chesy, qu’elle épousa : union aussi peu durable que la première. Séparée de son mari et de retour en Allemagne, elle y trouva un protecteur en la personne du prince de Dalberg.

Son tempérament passionné, fantasque, que l’atavisme explique assez, valut à Helmine bien des déboires.

Elle voyagea beaucoup, vécut successivement à Heidelberg, à Berlin, à Dresde, à Vienne, à Munich et à Genève, où elle mourut, en 1856.

Ses poèmes sont dignes d'attention. Son roman de chevalerie, Die drei weisse Rosen (les trois Roses blanches 1821) est sa meilleure œuvre de longue haleine. Elle écrivit aussi des nouvelles et récits, mais son nom est surtout connu grâce au livret d'opéra, Euryanthe, qu'elle composa en collaboration avec le maître Weber (1824).

Entre Louise Karsch et sa petite-fille apparaissent trois figures intéressantes de femmes poètes. Bien que leurs vies aient été orientées de façon fort différente, une certaine parenté existe dans le caractère et l'intention de leurs œuvres. Leur intelligence, leur activité s'employèrent à faire du bien, tant dans le domaine moral que dans celui des idées intellectuelles.

Ces trois femmes sont Caroline Rudolphi, Élise von der Recke et Anna de Hellwig.

Caroline Rudolphi (1750-1811) naquit à Berlin, où elle commença, tout en écrivant ses vers, à s’intéresser aux questions d’éducation féminine. Elle fonda à Hambourg une sorte de pensionnat familial, qu’elle transporta plus tard à Heidelberg.

Ses œuvres, qu’elle composait toujours avec le désir d’être utile aux jeunes filles qui l’entouraient, sont écrites dans une langue simple et pure. Elles révèlent l’excellence d’une belle âme. Un critique les a reconnues, du moins, « meilleures pour la jeunesse que beaucoup d’autres œuvres du temps, qui recouvrent la perdition de l’âme sous de fascinantes parures ».

Un peu anodins à cause du but spécial auquel ils étaient destinés, ces écrits n’abordent pas le vrai public littéraire de l’époque. Cependant, leur charme est assez grand pour avoir persisté malgré les tendances diverses d’un nouveau temps, et l’on sent que l’auteur, d’après les qualités dont elle fait preuve, eût pu, si elle l’avait voulu, arriver, non sans succès, à un renom plus étendu.

ÉLise von der Recke, fille du comte de Méden, naquit en Courlande, en 1754, dans un domaine familial. Son père, veuf de bonne heure, se remaria, et la belle-mère d’Élise, probablement pour se libérer de sa présence, lui fit épouser, jeune, le baron de Recke, dont la nature et les habitudes de vie étaient en complète contradiction avec celles de la jeune fille.

Elle s’en sépara après dix ans de patience et d’abnégation, pour vivre à Miethau avec une jeune sœur unique qu’elle perdit peu après.

Sans appui moral, cette âme généreuse était en quelque sorte prédestinée à servir de victime à de plus rusés qu’elle. La chose arriva, semant le piquant d’une aventure dans la vie plutôt paisible de l’isolée. Le fameux Cagliostro vint à cette époque à Miethau. Elle subit la suggestion de ce charlatan, qui se servit d’elle et de ses relations pour mener à bien ses plans de dupeur. Malgré les avis, les preuves mêmes qui dévoilèrent un jour Cagliostro, elle persistait à lui garder sa confiance.

Enfin, deux hommes de valeur, connus au cours de ses voyages, les écrivains Stolberg et Bürger, la forcèrent à ouvrir les yeux. Elle se divertit alors la première de sa crédulité et écrivit sur cet épisode un ouvrage, le Cagliostro démasqué, qui fut traduit en russe par l’ordre de l’impératrice Catherine (1787).

Élise von der Recke alla ensuite à Saint-Pétersbourg, où elle vécut assez longtemps, entretenant d’agréables relations avec la meilleure société russe, qui prisait autant la noblesse de son caractère que son talent.

Sa santé maladive la força, cependant, à vivre dans un climat moins rigoureux. Tout en gardant une résidence à Berlin, puis à Dresde, elle passa la majeure partie de son temps en Italie.

Tiedge, le poète, auteur d’Urania, fut son compagnon de séjour et plus tard son ami familier.

Les œuvres d’Élise von der Recke sont, en général, d’inspiration religieuse ou tout au moins spirituelle. Elle a écrit : Prières et Chants (1783) ; Poèmes (1806) ; Prières et Méditations religieuses (1826), sans compter un Voyage en Italie. Proses et vers contiennent d’estimables et même d’excellentes choses, sinon tout à fait originales.

Amalie von Hellwig, baronne d’Imhoff, née en 1776, est originaire de Weimar. Son père, professeur très érudit, s’occupa de son éducation et contribua à faire d’elle une personnalité intéressante, car, jeune encore, ayant voyagé en France, en Angleterre, en Hollande, Amalie savait plusieurs langues, même le grec.

Séjournant à Weimar, au moment où Goethe et Schiller s’y trouvaient, elle était au foyer même de la vie intellectuelle et poétique en particulier. Son étoile la favorisait. Elle connut l’auteur de Faust et apprit de lui la composition de l’hexamètre, forme dans laquelle est écrit son meilleur poème : Schwestern aus Lesbos (les Sœurs de Lesbos) (1801).

Schiller inséra souvent de ses poèmes dans son Almanach des Muses.

Ce genre de publication, élaboré pour la première fois par les disciples de Klopstock, fut le lien d’une génération de poètes appartenant à la même école, dite de Gœttingue, et qui constitua une sorte de Pléiade. C’était un honneur de collaborer à ce recueil. Goethe ne dédaigna pas d’y inscrire sa signature. Plusieurs anthologies ont été créées ensuite sous le même titre par les écoles successives.

Amalie de Hellwig, nommée dame d’honneur de la princesse de Weimar, connut à cette cour le baron de Hellwig qu’elle épousa.

Outre ses poésies lyriques, elle écrivit un ouvrage en collaboration avec Karoline de la Motte-Fouqué, seconde femme de cette sorte de Don Quichotte allemand qu’était le baron-poète Frédéric de la Motte-Fouqué, descendant d’une famille française chassée de son pays par la révocation de l’Édit de Nantes.

Ce livre, appelé sans prétention Taschenbuch (Livre de poche), est un recueil de fables et légendes, parmi lesquelles se trouve le récit le Puits du loup, populaire en Allemagne.

Amalie de Hellwig était peintre en même temps que poète. Elle s’occupa beaucoup de l’art ancien allemand à Heidelberg, où elle vécut longtemps avant d’aller mourir à Berlin, en 1851.

Luise-karoline Braciimann, sans offrir une vie aussi aventureuse que celle de Louise Karsch, est pourtant un exemple nouveau du tort que peut causer, dans une vie féminine, le don d’une imagination exaltée.

Née en 1777, à Rochlitz, en Saxe, elle témoigna de bonne heure d’un certain goût artistique et du désir d’écrire. À peine atteignait-elle sa dixième année que son père, quittant le pays natal, alla s’établir à Weissenfels. Là, la fillette fut reçue dans le château du baron de Hardenberg, dont le fils Frédéric, qui avait alors quinze ans, idéaliste enthousiaste et amoureux de la poésie, se fera plus tard une belle place dans la littérature de son pays sous le pseudonyme de Novalis.

Cette fréquentation ne fit qu’encourager et stimuler la vocation de Karoline. Elle obtint dès ses débuts quelques succès, eut aussi des vers insérés dans l’Almanach des Muses. Son imagination très vive, sa sensibilité excessive donnaient à ses œuvres un charme de spontanéité et de délicatesse fort attachant. Mais ces qualités, poussées à l'excès, devinrent pour elle des causes de souffrances et firent sa perte.

Une première fois, à vingt-trois ans, à la suite de discussions intimes avec son frère, chez lequel elle faisait un séjour à Dresde, elle tenta de se détruire en se jetant par une fenêtre du second étage dans la cour. Grièvement blessée, elle guérit néanmoins et, peu à peu, le calme revint en son cœur. Mais ce ne fut pas pour longtemps, car les vraies épreuves allaient seulement commencer.

Au mois de mars 1801, elle eut le chagrin de perdre son ami Novalis, auquel elle était très attachée, puis la sœur du jeune écrivain, Sidonie, et, peu de temps après, en moins de trois ans, sa propre sœur et ses parents.

Elle se trouva seule et obligée de travailler pour subvenir à son existence.

Au moment de la bataille de Leipzig, après avoir soigné les blessés dans les hôpitaux, et surtout après s'être éprise d'un officier français qui, sans doute, ne la paya pas de retour, elle fut atteinte d’une fièvre nerveuse, qui mit de nouveau sa vie en danger.

Plus tard, ayant eu chez elle des pensionnaires, elle s’attacha à l’un d’eux, un officier, prussien cette fois, et âgé de vingt-quatre ans ; elle l’épousa, malgré la différence d’âge qui les séparait ; elle atteignait à ce moment sa quarante-troisième année !

Mais le jeune mari ne partageant pas assez, à son gré, la romantique passion qu’elle éprouvait, la pauvre femme souffrit cruellement ; elle finit par se jeter dans les flots de la Saale et cette fois rencontra la mort qu’elle cherchait. Ce drame eut lieu en 1822.

Le talent de Karoline Brachmann est intéressant, surtout dans ses poèmes lyriques. On y sent vibrer un cœur capable d’éprouver de profonds sentiments et de se dévouer à une cause chère. La douleur fut son inspiratrice ; la sincérité de ses souffrances communique l’émotion à ses poèmes ; et les vers de la poétesse n’ont pas l’accent morbide ou désespéré que les actes de sa vie feraient supposer, car ils sont empreints de foi. On apprécie dans ses œuvres la variété des sujets, la pureté du style et la clarté de la versification. Elle ne se borne pas à de fades descriptions ; une pensée toujours est enclose dans ses vers ; cette pensée est généralement élevée et parfois présentée avec originalité.

Karoline Brachmann a également composé des poèmes lyriques-épiques comme Columbus, Elvire, qui ont eu un certain succès.

Deux courts morceaux viendront à l’appui du jugement cité plus haut :

résignation

Nous sommes enfants. Au lointain du ciel — nous sourit le Père. Ses regards, comme mille étoiles, — versent la lumière sur nos chemins.

Les fleurs de la terre s’épanouissent en signe de sa bonté, — comme pour nous attirer vers l’au-delà doucement, dans l’amour et la bienveillance.

Ne vous affligez pas, pauvres enfants, dit-il, si vous êtes encore loin de moi, si le chemin vous semble rude et le but bien haut !

Éternellement, le cœur du Père — est près de vous dans la sombre vallée. — Et, vers moi, à travers la nuit et la douleur, — vous conduit le rayon de foi…

De même que le rocher du rivage s’élève en hauteur escarpée, — gravissons aussi les âpres sentiers — qui conduisent vers la Patrie.

Quand nous voyons dans le sombre néant — un
cher rayon disparaître[8], — oh ! ne plaignons pas la
lumineuse étoile ! Elle repose dans sa patrie.

LE CHANT DU CHEVALIER FIDÈLE

Reste indifférent aux troubles d’alentour, — mon
cœur, et n’aie pas peur. — Sois calme comme le rocher
du rivage — contre lequel se brisent les vagues.

En te séparant de Celle pour qui tu vis — le sort
t’est cruel. — Sois paisible, mon cœur ; tu portes —
en toi ta souffrance et ton bonheur.

Elle reste ta part et ton bien, — aussi loin qu’elle
soit de toi. — Qui peut ravir ce qu’avec la fermeté
du roc — un cœur aimant enferme en lui ?

Véritablement, au plus profond de toi, — ton
amour est un Joyau solide et pur. — Si même tu
devais tout abandonner, — lui, le fidèle amour, seul,
resterait.

Il est ta consolation, il est ta lumière. — Quand
tout te délaisse, — quand tout faiblit, et tombe et se
brise, — lui, demeure éternellement[9].

CHAPITRE III

DIX-NEUVIÈME SIÈCLE

PREMIÈRE PÉRIODE ; INFLUENCE DE GŒTHE

Élisabeth d’Arnim (Bettina). — Marie-Anne Villemer. — Agnès Franz. — Méta Heuzer. — Louise Henzel. — Annette de Droste-Hulshoff.

Cela est déjà bien le dix-neuvième siècle. Les noms de Gœthe, de Schiller, protecteurs, inspirateurs des œuvres nées dans le cours de cette ère, le rappellent hautement. Et les deux maîtres de la littérature allemande ont joué, à cette époque, un tel rôle ; ils ont si bien mis en relief tout ce qui les approchait, que ce serait une faute impardonnable de ne pas mentionner, parmi les femmes écrivains d’alors, pour l’insuffisante raison qu’elle ne s’occupa guère de poésie, une curieuse physionomie, souvent liée à l’effigie de Goethe, celle d’Élisabeth d’Arnim, née Brentano, plus connue sous le diminutif de Bettina, popularisé par son roman avec le poète de Faust.

Bettina a occupé un certain rang dans la littérature de son pays, et, en même temps, les noms et qualités de ses partenaires augmentent l’importance de sa personnalité. Elle est environnée par le reflet d’apothéose qui éclaire à ce moment l’intense mouvement intellectuel de l’Allemagne, le romantisme flamboyant, si l’on peut dire, allumé par l’activité victorieuse de la Sturm-und-Drang-Periode et dont Goethe et Schiller sont le foyer, mais dont les plus proches familiers de Bettina, son frère, son mari, s’étaient chargés d’entretenir, de propager le feu sacré.

D’une famille italienne transplantée en Allemagne, Bettina, née à Francfort en 1785, était, en effet, nièce de Sophie de la Roche, l’amie de Wieland. Elle était sœur de Clément Brentano, l’auteur connu, et femme d’Achim d’Arnim, autre disciple de Goethe, qui s’était joint à Brentano pour former le « groupe de Heidelberg ». Bettina et Arnim se connurent, justement, grâce à cette collaboration, et s’épousèrent en 1811, ainsi que sept ans plus tôt, par ce même moyen, Clément Brentano s’était lié, puis marié avec Sophie Schubert, femme divorcée de Ch.-Ernest Méreau et qui avait dirigé, pendant quel- que temps l’Almanach des Muses.

L’activité féconde, l’enthousiasme sincère de Brentano ont plus de mérite que ses œuvres trop fiévreuses, inégales. Achim d’Arnim, auteur de pièces théâtrales et de romans, présente, lui, parmi de sûres qualités, le défaut de la prolixité qui l’a rendu parfois vague, incohérent.

Une revue, le Journal des Ermites, était l’organe de ce groupe auquel d’autres poètes vinrent bientôt se joindre.

Le but commun de ces auteurs était, selon le dernier effort de Goethe, de donner à la littérature allemande sa Renaissance, fondée non sur un art antique et étranger, mais ressuscitée de ses propres cendres, c’est-à-dire des œuvres tirées des sources germaniques du moyen âge et susceptibles d’être comprises par tout le monde, puisqu’elles étaient exhumées des sujets populaires, nationaux.

L’œuvre de Bettina se ressentira de ces goûts et tendances qu’elle partageait du reste. Mais c’est surtout après son veuvage et la mort de son frère qu’elle prit une part active au combat.

La prose tient la plus grande place en son œuvre. On ne parle guère de ses possibles essais poétiques. Elle a essayé de tout, voire de la politique. Elle est, selon l’expression d’un critique moderne, « un point de feu dans lequel se concentrent les rayons de plusieurs lumières[10] ». Son frère la caractérisait ainsi : « Elle qui jette de tous côtés des cris d’allégresse pour les recueillir ensuite dans son cœur. »

Les tendances contraires de Bettina résument les couleurs des deux romantismes : celui du Nord et celui du Sud. « Elle joint la mollesse lyrique et la richesse d’esprit de l’un à la plus forte compréhension des choses actuelles de l’autre[11]. » Pour mieux dire, on sent en elle des tendances classiques transformées par les influences modernes. En tout cas, elle savait vivre la vie et l’épandre autour d’elle. Entre son mari et son frère, elle apportait les qualités de sensibilité, d’émotion, inhérentes à son âme féminine : Toujours selon Meyer, qui se fit son apologiste enthousiaste, « elle allait et venait à travers le monde comme une fée, et chaque oiseau s’entretenait avec elle, et chaque insecte des champs comprenait ses paroles. Ni Arnim, ni Brentano n’eussent recueilli un mot à voix basse (ein leises Wort), un secret de la nature, mais Bettina peut-être ! »

Son âme ardente était, sans doute, un peu prompte à l’exagération… Mais cette adepte des mirages avait une excuse : le sang méridional coulait en ses veines d’Italienne.

Son ouvrage en prose qui eut le plus de retentissement est le recueil intitulé Correspondance de Goethe avec une enfant.

On sait, qu’avant son mariage, elle eut un amour de tête pour Goethe ; ce qu’on sait peut-être moins, c’est que Bettina, tout d’abord, dès l’adolescence, dans le seul dessein de se singulariser, de ne pas paraître « mouton de Panurge », feignit, quelque temps, d’ignorer Goethe, de ne pas partager le culte de la majorité de l’Allemagne pour le Maître. Son indifférence volontaire se changea pourtant en sympathie, puis en une admiration passionnée qui s’adressait beaucoup moins à l’homme lui-même, déjà âgé, qu’au génie dont la gloire exaltait sa jeune imagination. Pour mieux approcher du grand homme, elle sut plaire à la mère de Goethe, heureuse de cet enthousiasme si grandement partagé par son propre cœur.

Il y eut entre Goethe et Bettina, en effet, un échange de lettres, mais, d’après certains documents retrouvés plus tard, il est prouvé que cette correspondance ne dépassa pas le ton naturel d’un échange de pensées amicales entre « une enfant » et un homme d’une soixantaine d’années, flatté seulement, dans son amour-propre de demi-dieu, par un hommage de plus.

Plus tard, après la mort de Goethe, grossissant, selon son habitude, les faits passés, Bettina publia cette correspondance avec de nombreuses retouches, sinon des transpositions complètes, visant à simuler entre Goethe et elle un lien amoureux, qui, au dire des contemporains, n’a jamais existé.

En tout cas, ainsi qu’elle le souhaitait, leurs deux noms sont inséparables. Bettina continue la théorie gracieuse des femmes dont la vision a traversé plus ou moins intensément la vie du maître, à la suite des Frédérique Brion, des Élisabeth Schonemann, des Charlotte Buff, et des Christiane Vulpius. Au pied de la maison natale de Goethe, à Francfort, le portrait de Bettina a sa place dans le petit « musée des souvenirs ». Ce portrait ne la montre pas jolie, certes, mais dans les yeux, si pleins de vie et d’intelligence, brille « la flamme ardente, prompte à rayonner » à laquelle on l’a comparée.

Bettina affectionnait les ouvrages sous forme de lettres.

Celui qui a pour titre Günderode est, en une allure quasi pamphlétaire, un échange de correspondance entre deux personnes de son temps : Karoline de Günderode, une de ses amies, assez excentrique « authoress », sous le pseudonyme de Tian, qui se tua plus tard à Rudesheim, en 1806, et J. Kreuzer, philologue de Heidelberg, avec lequel Karoline était en relations amoureuses.

Un troisième livre d’échange de lettres est intitulé du nom de ses deux héros : Ilus Pamphilius et Ambrosia.

On y trouve de piquants détails sur la fiancée d’alors de Pamphilius, Marie Nathusius, née Schele, auteur de plusieurs œuvres en prose. Son récit : Eine Geschichte die nicht mit einer Heirat schliest (Un récit qui ne se termine pas par un mariage), [1857], atteignit huit éditions et fut traduit en plusieurs langues. La plupart des jeunes filles françaises l’ont lu, grâce à la traduction de Mme Emmeline Raymond[12].

Bettina écrivit aussi des souvenirs sur son frère, et sa propre correspondance sert à préciser les plans littéraires du petit groupe romantique, notamment en faveur de la propagation des chants et récits populaires, que Bettina jugeait une source vivifiante pour la rénovation littéraire allemande.

Dans l’espoir que le roi Frédéric-Guillaume IV favoriserait l’éclosion d’une ère nouvelle pour l’État de Prusse, Bettina d’Arnim publia, en 1843, un écrit dialogué : Dies Buch gehört dem König (Ce livre appartient au roi), dont la suite, sorte d’étude politique sous le titre Entretiens avec les Démons, parut en 1852. Le roi accueillit plutôt froidement cet ouvrage aux tendances socialistes, mais continua à entretenir correspondance avec Bettina, qu’il estimait à cause de sa vive intelligence et des bienfaits qu’elle accomplit jusque dans les dernières années de sa vie. Cette femme, en effet, était excellente, en dépit de ses ironies plutôt légères, et des erreurs que lui faisait commettre son imagination exaltée. La pondération lui manquait, comme à tous ceux qui pèchent par excès d’enthousiasme. Elle demandait beaucoup à ses amis, mais s’employait aussi volontiers pour eux. C’était un service à lui rendre que de se laisser aimer par elle. Une phrase caractéristique de son commentateur semble le laisser entendre : « Amies ou amis doivent l’aider à soulager les forts sentiments qui gonflent sa poitrine palpitante ».

En tout cas, et au contraire de ce que certains écrivains ont avancé à son sujet, elle ne s’est jamais targuée de ce besoin d’aimer et d’être aimée pour manquer à son devoir d’honnête femme, La liaison avec Goethe resta toute imaginative. Son mariage avec Arnim ne fut troublé d’aucun nuage en ce temps si fécond en mauvaises unions. Son veuvage fut très correct ; elle éleva bien ses sept enfants et ne refusa jamais à personne l’aide charitable de son dévouement. De combien de femmes, en apparence plus « équilibrées », en pourrait-on dire autant ?

Quel joli « pendant » à mettre en face du portrait de Bettina, que celui de Marie-Anne Villemer, autre étoile du ciel romantique allemand et qui a, de plus, en ce moment, le mérite de l’actualité, grâce au tout récent article de M. A. Bossert, paru dans la Revue Bleue[13], sous le titre : Une Collaboration poétique ;

Goethe et Suleika.
Médaillon contenant le portrait d’une jeune femme, cheveux bouclés.
Médaillon contenant le portrait d’une jeune femme, cheveux bouclés.
MARIANNE VON VILLEMER
aisé de découvrir que Suléika n’était autre

que Marie-Anne Villemer, femme d’un riche banquier de Francfort, Jean-Jacques Villemer anobli plus tard par l’empereur d’Autriche et dont Goethe fréquentait la maison.

Marie-Anne Villemer, née Jung, avait eu une destinée quelque peu romanesque. Née à Linz, en 1784, elle était la fille d’un luthier, mais son père mourut lorsqu’elle était encore fort jeune, et sa mère l’engagea dans un théâtre pour y faire partie du corps de ballet.

Deux ans après, le banquier Villemer, qui pratiquait volontiers la philanthropie, ayant fait partie du comité de direction de ce théâtre, s’apitoya sur le sort de la fillette alors âgée de quatorze ans, et l’enleva à la scène pour lui donner l’hospitalité et la faire élever avec ses propres enfants. Une douzaine d’années plus tard, Marie-Anne devenait la femme de son bienfaiteur, qui venait d’atteindre sa cinquante-cinquième année et était deux fois veuf.

C’est cette même année, en 1814, que Goethe, presque septuagénaire, fit la connaissance de Marie-Anne Villemer. Elle produisit sur lui une impression aussi durable que vive. L’attraction fut réciproque, et, comme pour Bettina, il y eut certainement, dans le sentiment éprouvé par Marie-Anne, une part de fierté d’avoir su retenir l’attention d’un homme auréolé de tout le prestige du génie, l’idole d’un pays. On sent cette impression dans les vers écrits par la jeune femme sur l’album de Goethe[14] :

Tu m’appelles : chère petite, — et je me compte,
en effet, parmi les petits. — Appelle-moi toujours
ainsi, — et je m’estimerai heureuse toute ma vie.

On te nomme parmi les plus grands, et l’on
t’honore comme l’un des meilleurs. On ne peut
te voir sans t’aimer. — Que n’es-tu resté parmi
nous !

Mais je garde humblement le silence. — Aie pitié
de mes vers. — Ne juge pas trop sévèrement —
un pauvre petit poète.

Marie-Anne Villemer était poète, en effet ; elle s’intéressait fort aux belles-lettres, et ce fut là un trait d’union de plus entre les deux amis. Leurs relations devinrent rapidement fréquentes et tendres ; une passion où l’imagination, certes, jouait un grand rôle, les lia. Elle inspira à Marie-Anne de biens jolis vers, et il est curieux de voir avec quelle habileté d’artiste la jeune poétesse, tour à tour, évoquait les influences diverses des contrées opposées chantées dans les hymnes qui composent le Divan. Tantôt l’ardeur orientale la trouble :

Qu’est-ce que je sens venir à moi ? — Est-ce la
brise d’Orient qui m’apporte de joyeuses nouvelles ?
— Le frais balancement de ses ailes — apaise la profonde
blessure de mon cœur.

Son souffle caressant joue avec la poussière —
qu’elle soulève en légers nuages. — Elle pousse vers
la treille protectrice — le joyeux petit peuple des
insectes.

Elle attiédit les ardeurs du soleil ; — elle rafraichit
mes joues brûlantes ; — elle baise encore dans sa
fuite les pampres — qui décorent les champs et les
collines.

Et son doux chuchotement — m’apporte les paroles
de mon ami. — Avant que ces collines s’assombrissent,
— je serai tranquillement assise à ses pieds.

Tantôt elle se laisse imprégner par la mélancolie occidentale :

Hélas ! pour tes ailes humides, — je t’envie, brise

de l’Occident, car tu peux lui porter la nouvelle —
de ce que la séparation me fait souffrir.

Le mouvement de tes ailes — éveille dans mon sein
un secret désir. — Les fleurs, les prés, les bois et
les collines — sont en pleurs sous ton haleine.
Mais ton souffle propice et doux — rafraîchit mes
paupières endolories. Ah ! je me consumerais
dans la peine, si je n’espérais le revoir.

Eh bien ! vole vers mon amant, — parle doucement
à son cœur ; — mais évite de l’affliger, et cache-lui
ma souffrance.

Dis-lui, mais dis-lui discrètement, — que son
amour est ma vie, — et, de l’un et de l’autre, sa présence
— me donnera le joyeux sentiment.

Ces vers ont une harmonie intense, et leur délicatesse jointe à l’accent sincère du cœur, de l’être tout entier, leur communique un grand charme que ne revêt pas toujours la poésie féminine de l’Allemagne, trop souvent uniquement cérébrale ou sensuelle, donc plus artificielle et moins fine.

Cette période heureuse ne dura pas longtemps pour Goethe et Marie-Anne. Un an après environ, Goethe retourna à Weimar ; les deux amis durent recourir à la correspondance pour échanger leurs pensées. Ces lettres sont écrites tantôt en prose, tantôt en vers. Voici l’un des billets adressés par Suléika à Hatem pour son Geburstag (anniversaire de naissance).

D’un délicat entrelacement de fleurs, — je t’ai
tressé une couronne. — Quant à t’offrir une chose
impérissable, — cela ne m’a pas été donné, hélas !

Mais sous les fines ramures fleuries — circulent
des pensées d’amour, — qui élèvent discrètement
la voix — et t’apportent mes pieux souhaits.

Les paroles qui jaillissent du cœur — sont comme
le parfum qu’exhale la corolle. — Il faut que les
fleurs parlent, — quand les lèvres gardent le silence.

Si jolis étaient les vers de son amie, que Goethe n’avait qu’à les intercaler, tels qu’ils lui arrivaient, dans les manuscrits qui parurent en 1819 sous le titre de Divan oriental-occidental signé du seul nom de Goethe.

Pourquoi le poète tut-il la part active de Marie-Anne dans cette collaboration ?

M. Bossert, en posant cette question, y répond par une réflexion que lui inspire le caractère de Marie-Anne Villemer. « Il est probable écrit-il, que si Goethe avait révélé ce qu’il devait à sa collaboratrice, celle-ci ne lui en aurait pas été reconnaissante ; elle pensait que les choses du cœur ne devaient pas quitter l’ombre du sanctuaire où elles étaient nées ; voir ses vers imprimés à côté de ceux du grand poète, s’entendre dire qu’ils étaient parmi les plus beaux, cela lui suffisait. »

Son talent, pour dédaigner ainsi la publicité, n’en est-il pas deux fois plus exquis ?

De nos jours, en notre pays, Mme Edmond Rostand n’a-t-elle pas doublé la sympathie et l’estime méritées par les jolis Pipeaux de Rosemonde Gérard, en mêlant le chant anonyme de sa voix au duo d’amour du troisième acte de Cyrano de Bergerac ?

Bien plus tard seulement, Marie-Anne dévoila à Herman Grimm, un de ses amis littéraires, qu’elle avait composé une partie des vers de Suléika. Et ce ne fut encore que dix ans après la mort de Marie-Anne, survenue en 1860, que Grimm trahit le secret qui lui avait été confié.

On fit alors des recherche et on découvrit, d’après les textes retrouvés, que les retouches ou variantes faites par Goethe au manuscrit de son amie n’avaient pas toujours valu l’inspiration originale.

Il est heureux que « l’indiscrétion » des lettrés ait remis les choses au point, non seulement pour la gloire littéraire de Marie-Anne Villemer, mais pour celle de la poésie féminine allemande tout entière, puisque, selon M. Bossert, qui partage en cela l’avis d’un éminent critique allemand[15], « Marie-Anne peut être considérée — si l’on envisage la qualité plutôt que l’étendue de son œuvre — comme la plus grande des femmes poètes de l’Allemagne ».

Nous revenons à une inspiration différente avec trois contemporaines de Bettina et de Marie-Anne Villemer, Agnès Franz, Méta Heuzer et Luise Hensel, liées, elles, par une fraternité encore plus étroite que celle qui unissait Amalie von der Hellwig, Karoline Rudolphi et Élise de Recke. L’inspiration de toutes trois est spirituelle, et leur but commun fut d’être des apôtres du bien.

Il faut remarquer que la poésie religieuse joue un tout autre rôle en Allemagne que chez nous, où les rimeurs de cantiques ne seraient même pas comptés dans les anthologies.

Protestant ou catholique, on est très croyant en Allemagne ; on y observe aussi les mœurs patriarcales. Les fêtes religieuses et patriotiques ne vont pas sans grand accompagnement de chants, d’hymnes, de refrains, que les générations se transmettent fidèlement.

Alors que la poésie religieuse n’a, en France, que de rares représentants après le moyen âge[16], elle se renouvelle en Germanie, sous l’aiguillon de la Réforme d’abord ; puis au dix-septième siècle, le cantique devient poésie populaire par la beauté simple qu’y introduit l’inspiration d’un Heerman ou d’un Paul Gerhart.

Plus tard, Klopstock, avec sa Messiade et ses cantiques ne sera pas sans exercer aussi une influence sur ce genre littéraire.

Il n’est pas étonnant que cette forme de poésie ait été particulièrement goûtée des femmes, de celles, surtout, qu’un destin plutôt mélancolique inclinait à y chercher l’expression en même temps que la consolation de leur épreuves.

Agnès Franz est de celles-là.

Née en 1794, à Militsch (Silésie), elle perdit de bonne heure son père et vécut à Stenau et à Schweidnitz. Une chute qu’elle fit vers sa treizième année la rendit maladive pour le reste de ses jours. Sa vie, d’ailleurs, fut féconde en sacrifices, car elle la consacra entièrement aux siens et aux pauvres. Elle éleva une nièce orpheline et se retira plus tard à Breslau, où elle fonda et dirigea une école pour jeunes filles, se réservant seulement pour ses travaux poétiques les heures extrêmes de la journée, l’aube ou la soirée tardive.

Ses premières œuvres, celles d’une solitaire à l’âme délicate et sensible, sont imprégnées d’un grand amour de la nature.

Voici un fragment d’une de ses méditations, qui donne une idée de ce genre d’ouvrages :

Comment puis-je dormir dans la sombre nuit —
ô Dieu et Père, si je ne songe pas à toi ? — Les occupations
du jour ont distrait mon cœur. — Près

de Toi, près de Toi seulement, sont la paix et la félicité.

Oh ! couvre mes fautes avec la clémence — Tu es toi, Dieu, l’amour et la patience ! Donne-moi, je t’en supplie, un cœur pur qui s’offre à toi avec allégresse dans la douleur comme dans la joie !

Aide-moi à pardonner, comme tu pardonnes, — à aimer mon frère comme tu m’aimes. — Ainsi je veux m’endormir sans anxiété dans la paix, rêver doucement, paisiblement à Toi.

Ce sont les effusions d’une âme tendre et résignée que les malheurs, au lieu de l’aigrir, ont élevée vers l’idéal et la charité.

Les Recueillements, les Paraboles et Prières, parus plus tard, contiennent de belles pensées. Quelques-uns des morceaux en ont été insérés dans les livres de prières, de lecture, et jouissent d’une certaine popularité.

Méta Heuzer, née Schweizer, vit le jour à Hirzel, en Suisse, en 1797. C’est dans la Bible et dans Klopslock que se forma son talent poétique. Ses Chants d’une Humble, publiés par A. Knapp, en 1858, sont remplis des plus profonds sentiments de lyrisme religieux. Elle mourut en 1859.

Louise Hensel est la plus connue des trois poétesses. Sa vie fut, d’ailleurs, moins cachée. Née un an plus tard que Méta Heuzer, en 1798, à Linum, Louise était la fille d’un pasteur protestant. Sa mère, devenue veuve de bonne heure, se retira à Berlin avec les trois enfants, seuls survivants des huit qu’elle avait eus. Elle se voua à leur éducation, avec succès d’ailleurs, car chacun d’eux lui donnait de grandes satisfactions. Wilhelmine était poète comme Louise, et non sans mérite ; Wilhelm, leur frère, acquit une certaine célébrité dans la peinture.

Jeune encore, Louise dut pourvoir à son existence. Elle fut tour à tour gouvernante dans la maison de l’ambassadeur prussien en Espagne, le baron de Werther, ancien ministre, puis à Munster et à Dusseldorf auprès de la princesse de Salm, fille de la princesse Galitzin. Plus tard, elle sera encore gouvernante des enfants du comte de Stolberg, avant de rester sept années institutrice dans une école de jeunes filles à Aix-la-Chapelle.

Cependant elle était mêlée à la vie intellectuelle de son temps, d’abord par les relations contractées en ces diverses places, puis grâce à son frère, qui, par son mariage, devint le beau-frère de Mendelssohn.

Les amis du peintre étaient Wilhelm Müller[17], le poète romantique auteur de Lieder (chants) mis en musique par Schubert, et Clément Brentano, frère de Bettina. Ils composaient un cercle d’artistes dont, plus tard, Sébastien Henzel, fils de Wilhelm, racontera l’histoire. Louise y connut Clément Brentano qui, le premier, ébranla ses convictions de protestante. La fréquentation de la famille de Werther, où elle avait été gouvernante, agit sur elle dans le même sens. Après avoir collaboré à un manifeste, en quelque sorte réformateur de la religion réformée, elle se convertit au catholicisme, en 1818. Clément Brentano l’appréciait beaucoup. Après son veuvage, il lui demanda d’être sa femme, mais elle refusa. Il n’en resta pas moins son ami fidèle, et c’est lui qui recueillait les poèmes qu’elle négligeait de conserver.

À partir de 1833, elle rejoignit sa mère à Berlin pour la soigner et tint la maison de sa belle-sœur. Sa retraite définitive fut Windenbrück.

Ses poèmes parurent dans les anthologies, notamment dans celle de l’évêque Diepenbrock. On les crut, paraît-il, longtemps, l’œuvre de Brentano et de Schenkendorf[18], jusqu’à ce qu’un critique relevât ces erreurs en les publiant avec une biographie de l’auteur.

Un connaisseur de la jeune littérature d’alors, le docteur Merget, a dit des chants de Louise Hensel « qu’ils se recommandent entre ceux du même genre par leur vrai esprit religieux et leur haut mérite poétique ». Louise Hensel n’était pas seulement forte dans ses accents, mais aussi devant les luttes et les épreuves de l’existence. Elle eût pu répéter sans mentir le mot de Plutarque, que tant d’écrivains moralisateurs ne sauraient sincèrement s’approprier : « Fermez mon livre, ouvrez ma vie, vous y trouverez même chose. »

Voici l’un des chants de Louise Hensel :

Je suis lasse, je vais au repos et ferme les yeux.
— Père, laisse les tiens s’abaisser sur ma couche !
— Si j’ai fait le mal aujourd’hui, ne m’en tiens pas
rigueur ! — Ta grâce et le sang du Christ rachètent
tout ce qui est mal. — Que ta main garde ceux
qui me sont proches. — Tous les hommes, grands
et petits, doivent t’être recommandés. — Donne le
repos à mon cœur malade, — et laisse se fermer
mes yeux qui ont pleuré. — Laisse l’astre de tes
nuits régner paisiblement au ciel — et regarder le
monde silencieux.

Il y a, on le voit, entre ces vers et ceux d’Agnès Franz une vraie fraternité. Louise Hensel a aussi chanté la nature, les tendresses du cœur, mais toujours un peu dans cette même note spirituelle.

La dernière poétesse née dans le cours du dix-huitième siècle, mais dont l’œuvre appartient naturellement au dix-neuvième et en représente l’une des plus complètes floraisons, est Annette von Droste-Hulshoff.

On peut même, tant les influences des deux époques se mêlent en elle, la considérer comme leur parfait trait d’union ; et c’est, en effet, sur toute l’étendue peut-être de la littérature féminine poétique, que son nom plane avec la double auréole d’un grand talent et d’une belle âme.

Annette de Droste-Hülshoff appartenait à une famille d’aristocratie catholique. Elle naquit en 1798, à Hülshoff, près Munster, (Westphalie).

Malgré son tempérament maladif, elle aima de bonne heure l’étude et reçut une excellente éducation. Fort intelligente, douée d’un grand bon sens, d’un esprit large, elle n’accueillit pas toujours les préjugés des traditions familiales avec docilité. Malgré les penchants

de sa sensibilité très féminine, elle
Portrait d’une jeune femme avec des boucles torsadées le long des tempes et jusqu’aux épaules, robe noire.
Portrait d’une jeune femme avec des boucles torsadées le long des tempes et jusqu’aux épaules, robe noire.
ANNETTE VON DROSTE-HÜLSHOFF
étudiait les questions poétiques et religieuses

avec une rare et virile clairvoyance. Son talent garde la même dualité: tantôt délicat, tantôt ferme et audacieux, il se déploie sous toutes ses faces.

Annette de Droste-Hülshoff vécut successivement sur les bords du Rhin, puis dans une terre de famille, en Westphalie, et enfin, à cause de sa santé précaire, sous un plus doux climat, à Mersbourg, près du lac de Constance. Elle retrouvait là son beau-frère, le comte de Lasberg, littérateur distingué. Un cercle agréable séjournait en ce lieu très fréquenté de la bonne société allemande.

Annette de Droste écrivit longtemps pour elle-même, sans chercher la publicité. Dix ans seulement avant sa mort, elle consentit à se faire éditer, et ce premier ouvrage, Gedichte (Poèmes), n'ayant pas obtenu tout de suite, du public, l'attention qu'elle en espérait, la déception l'engagea à ne pas continuer. Mais ses amis stimulèrent de nouveau son effort. Elle donna, en 1844, un second recueil de poèmes. Le succès en fut encore modéré.

On accueillait ses ouvrages avec étonnement plutôt qu’avec enthousiasme. Son inspiration ne se rattachait à aucune école. L’influence de l’école autrichienne était alors très grande. Celle de la réaction littéraire appelée l’Individuel Moment, préconisée par le groupe de la Jeune-Allemagne auquel appartenait Henri Heine, lui disputait la suprématie.

Annette de Droste-Hülshoff écoute son inspiration personnelle plutôt qu’elle ne suit. des théories. Cependant, elle se rattache à Grillparzer, chef du groupe autrichien, par un point : l’amour de la simplicité. C’est là son idéal. Pour elle « la simple » dans le sens de l’Évangile, la simple « qui laisse chanter les plus précieux poèmes de son cœur sur l’homme hautain et mobile est un héros ». Comme Grillparzer, aussi, elle aime lutter contre ceux de son parti qui ne comprennent comme elle ni la façon de sentir Dieu, ni le vrai devoir.

Elle est plus fermée sur les impressions secrètes de son âme, joies et déceptions d’amour ou d’amitié. Elle ne parle qu’avec pudeur de ses épreuves, de ses « souhaits vains » ; mais ils « oppressent » ses chants et se devinent à travers la mélancolie qui imprègne ces derniers. Aussi ne connaît-on que peu de chose de sa vie intime. Elle ne se maria point : étant donnée sa nature délicate, élevée, on peut croire que l’idéal rêvé par ces sortes d’âmes ne se rencontra jamais sur sa route.

Si elle vante la « simple » de l’Évangile, elle en représente aussi la « femme forte ». Nulle peine, nulle déception n’abat son courage, sa volonté. Les échecs littéraires ne l’ont pas plus aigrie que les succès n’ont altéré sa modestie. Sa façon de comprendre la religion lui est bienfaisante. De plus, elle a l’instinct stoïque ; elle ne songe qu’à acquérir « une force qui l’élève et l’aide à se vaincre ». Elle engage les femmes à rechercher le même idéal. On sent en elle le contact du souffle rude et sain de l’air natal. Elle est, d’ailleurs, fort attachée à son pays de Westphalie.

Elle possède aussi un refuge contre les réalités tristes de la vie : le Rêve. Pour échapper à la sécheresse du cœur, elle s’abime « dans la situation pathologique où le songe et la vérité, le passé et le présent se confondent avec une force inquiétante « en son front bouillant ». Car le rêve n’est point, chez elle, indolence, lymphatisme. Son âme ardente y puise des forces d’action. Elle y réfléchit pour se connaître davantage. Le mystérieux, le redoutable même l’attirent :

Und fester drückt, ich meine Stirn hinab,
Wollüstig saugend an des Grauens Süsze.

(Et je presse plus fortement mon front penché, aspirant avec volupté la douceur de la terreur.)

Selon un de ses biographes, une cause physique influa sur son caractère et sur celui de ses œuvres. « Bien que ses yeux, dit Lewin Schücking, fussent d’une pénétration sans exemple pour les objets proches, ils avaient une extrême faiblesse de vue pour ce qui était éloigné. Ainsi, le monde environnant lui est apparu à travers un voile et le contour flottant des choses. »

Dans la nature, elle observe donc avec netteté, minutie, l’herbe, le caillou, l’insecte, « comme si la microscopique peinture des infiniment petits pouvait l’intéresser, l’atteindre », mais pour le reste, tout demeure confus. Son style, chargé de rendre ses impressions, offre les mêmes particularités. « Cette défectuosité de la vue est compensée par un extraordinaire développement des autres sens : petits murmures, légers parfums, prodromes d’orage, frissons de plantes, elle sent et traduit chaque expression avec une rare justesse. Elle est le poète des plus imperceptibles mouvements de l’air, des plus intimes frémissements de l’âme. » Elle se rapproche en cela, remarque M. Meyer, à qui est empruntée la fine analyse précédente, du tempérament d’une George Sand.

Il y avait donc, en Annette de Droste, une prescience du naturalisme, mais d’un naturalisme toujours enveloppé d’une douceur d’expression fort romantique. De plus, lorsqu’elle peint la nature, c’est pour y fondre ses impressions personnelles, et non avec le seul dessein d’être peintre. Elle est plutôt subjective.

Ses œuvres sont, outre les Poèmes parus en 1838 et 1844, l’Année spirituelle, avec supplément de poèmes religieux (1851) et Feuilles posthumes, éditées deux ans après sa mort, laquelle eut lieu en 1848. Elle est aussi l’auteur d’une nouvelle, die Judenbuche, et d’un long fragment, Chez nous, à la campagne, où l’on remarque encore une grande vérité de détail ; ces deux ouvrages sont supérieurs à sa peinture historique, Die Schlacht im Loenerbruch, et à son mystérieux Doctor’s Geheimniss (le Secret du docteur), où elle vise d’ailleurs à l’obscurité.

La postérité a rendu à Annette de Droste-Hülshoff un juste hommage. La première, elle a su donner à l’Allemagne une poésie féminine vraiment forte. Peut-être la grâce, le charme lui manquent-ils un peu ? Peut-être aussi son vers est-il plus riche de précision que d’harmonie ? Mais il est empreint quand même de beauté et attire la sympathie, car on y sent vibrer une âme très noble et sincère. Aussi plusieurs critiques s’accordent-ils à décerner à Annette de Droste-Hülshoff la palme, que certains de leurs confrères confèrent à Marie-Anne Villemer.

Deux poèmes, choisis parmi ses œuvres, caractériseront, à l’appui des avis cités, le genre de son talent.

au matin

L’aurore glisse silencieuse le long — d’un océan de nuages dont les flots aux replis délicats — se pressent amoureusement les uns contre les autres. — Le soleil, vaisseau flamboyant, la suit dans l’harmonie des sphères ; — Une douce ivresse salue le jour. — Est-ce là son coup de rame ?

L’aurore s’éveille au chant des oiselets bigarrés — qui, lestement, sortent des buissons leurs petites têtes rondes plongent leurs membres dans la fraîche rosée et tous ensemble font sortir — de leurs gosiers des chants innombrables.

Et les fleurs exhalent aussitôt — leurs doux parfums dans la campagne. Leurs fronts se parent d’un étincelant diadème. — L’araignée elle-même, avec grand courage, exerce ses pattes habiles à tisser — sa riche toile brodée de rangées de perles.

Je me demande pour qui peut être préparée une si belle fête. Pour l’amour de qui l’oiseau fidèle délaisse-t-il son nid bien-aimé ? Le zéphir à la voix légère me répond : « — Peux-tu donc, toi, un être humain — rester sourd et aveugle ?

— Pourquoi restes-tu silencieuse quand tout chante l’allégresse ? — Pourquoi demeures-tu les mains vides quand tout apporte un don ? — Quand des yeux de la terre même sortent tant de larmes — qui brillent avec un tel éclat pour la louange et l’honneur de Dieu ?

Car Dieu est celui qui soutient le chant si amoureux des oiseaux, — qui fait vibrer la voix intérieure des branches. — Il est celui pour qui le soleil lance — à travers les espaces ses flamboyants rayons. — Tous les cœurs, en son honneur, se font joyeux. — Éveille-toi ! Éveille-toi ! Éveille-toi !


dans la mousse

Lorsque la nuit naissante, à la campagne fatiguée de soleil — avait envoyé les légers messagers du crépuscule — je m’étendais sur la mousse de la forêt. — Les sombres rameaux s’inclinaient vers moi, familièrement. — L’herbe chuchotait contre ma joue. — Invisible, la bruyère rose exhalait son parfum.

Et je voyais scintiller à travers les tilleuls, l’espace — ainsi que de minces rais de lumière qui, au faîte des branches, — faisaient ressembler chaque arbre à un puissant ver luisant. — Je voyais tout cela, nébuleusement, comme une vision de rêve. — Cependant il m’était doux de penser que c’était la lumière du pays natal qui pénétrait en moi même.

À l’entour tout était si silencieux que je percevais dans le feuillage — le bruit de la chenille rongeuse, et, ainsi qu’un vert pollen — tombaient sur moi, doucement, les tournoyants flocons de feuilles. — Je m’étendais et je pensais… hélas ! Si près de toutes ces choses, — j’entendais battre les coups de mon propre cœur. — Et il me semblait être déjà morte

De pensée en pensée je voyais surgir devant moi mon enfance, le cours des fraîches années — vision qui depuis longtemps m’était étrangère. — Les accents oubliés bourdonnaient à mon oreille. — Et, au loin, le Présent s’avançait comme la vague au bord de la rive.

Puis, pareille au torrent qui se perd dans le gouffre, — et de nouveau jaillit plus loin, hors du sol, — je me transportais soudain dans le pays de l’Avenir. — Je me voyais, vieille, courbée, — la vue affaiblie, enfouir dans la couche héréditaire[19] — soigneusement, avec ordre, tous les poussiéreux souvenirs d’amour.

Je voyais clairement les incarnations de ma tendresse — m’apparaître sous leur déguisement maintenant suranné — et me délivrer du masque décoloré — qui se brisait en tombant dans la poussière. Et je sentais sur ma joue tremblante, lentement, couler des larmes amères.

Devant ce mausolée — où étaient inscrits les noms que mon amour connaît, je me prosternais en prière sur mes genoux débiles — et — (écoute ! la caille chante ! Frais, court le vent !) — je me voyais pareille à une fumée absorbée peu à peu par les pores de la terre.

Je me relevais ensuite et frissonnais — comme quelqu’un qui se sent déjà entraîné vers la léthargie de la mort et, au retour, je chancelais le long des sombres haies, doutant à chaque instant si l’étoile du gazon n’était pas la clarté d’une veilleuse, — ou encore la lumière éternelle du tombeau.

CHAPITRE IV

DIX-NEUVIÈME SIÈCLE

DEUXIÈME PÉRIODE

Influence de Heine et des écoles souabe

et autrichienne.

Adélaïde de Stolterfoth. — Ida Hahn-Hahn. — Ida de Düringsfeld. — Luise de Plönniès. — Élisabeth Kulmann. — Élise Ludwig — Karolina Dankelmann — Élisabeth et Catharina Dietz.

Betty Paoli. — Marie d’Ebner-Eschenbach. — Ada Christen. — Dilia Helena. — Mathilde Raven. — Luise Aston. — Emma de Halberg. — Amara George. — Émilie Ringseis. — Cécilie Zeller. — Hélène von Engelhardt. — Angelica von Herman. — Comtesse de Wickenburg-Almasy.

La célébrité de Henri Heine, qui, né à Düsseldorf, a chanté parfois les bords du Rhin, rénova l’admiration pour le vieux fleuve aux légendes mystérieuses dont la beauté, d’ailleurs, tantôt sauvage et grandiose, tantôt faite de charme mélancolique tout intime, est bien digne de servir de source inspiratrice à la poésie.

Adélaïde de Stolterfoth est l’une des muses des rives rhénanes.

Née en 1800 à Eisenach, elle vécut beaucoup sur les bords du Rhin, près d’un oncle, le baron de Zwierlein, qu’elle épousa plus tard.

Elle voyagea aussi en Suisse, en Angleterre, en Italie, puis séjourna assez longtemps à Munich où elle était allée voir la veuve de J.-P. Richter, ce romantique Jean-Paul, célèbre par les peintures de vie populaire et rurale de ses romans. Là elle connut quelques homme éminents de l’époque qui stimulèrent son activité littéraire.

Veuve peu de temps après son mariage, elle se voua à la poésie, ne quittant plus guère, dans la dernière partie de sa vie, la contrée du Rhin qu’elle aimait tant chanter dans ses vers.

Adélaïde de Stolterfoth est l’auteur de deux poëmes épiques et romantiques : Alfred (1834), en huit chants, et Burg Stolzenfels (1842). Le château ou burg de Stolzenfels est un des manoirs reconstruits des bords du Rhin, à peu de distance de Coblentz. Son nom signifie fier rocher ; il fut fondé au treizième siècle par l’archevêque de Trèves, Arnold, et détruit par les Français pendant la campagne du Rhin en 1688. La maison de Prusse l’a fait restaurer, et il appartient aujourd’hui à l’empereur Guillaume II.

Un cycle de Romances, Ballades et Légendes du Rhin, ainsi que des Chants et Récits du Rhin (1859) racontent encore, grâce à la plume d’Ad. de Stolterfoth, quelques-unes des traditions fabuleuses qui abondent dans ce pays.

Les vers, quoique estimables, ne donnent à l’auteur qu’une place secondaire parmi ses contemporaines. Le genre même de ces œuvres, imitations plus ou moins étroites des vieux âges épiques, ne laissait pas beaucoup d’essor à l’originalité et aucun de ces poèmes composés en l’honneur du Rhin n’est devenu célèbre, comme par exemple la Loreley, de Heine, inspirée par le même sujet.

Cependant, un charme de délicate rêverie, qui s’adapte fort bien à l’idée traitée, enveloppe de son voile flottant ces nouveaux /Viebelungen et peut plaire à l’imagination de certains lecteurs ainsi qu’on s’en convaincra par le fragment suivant :

LA VIE AU BORD DU RHIN

Sur le Rhin flotte la douce vie du vieux temps passé. — J’y vois planer des fantômes dans leur ancienne magnificence ; — J’entends résonner, ainsi que de longues salutations, des chants — que je dois répéter à voix basse et vivre de nouveau en les rêvant.

Je vois passer les oiseaux bien haut dans l’air bleu, — et les bateaux glisser dans un lointain nébuleux ; — Et cela est pour moi comme si, au vol, l’oiseau lançait un mot — auquel, en son cours rapide, — le bateau répond en écho.

Hors du léger flot mouvant — ici la voix des esprits chuchote — et là entoure le couvent dont le pélerin, jadis, pour se reposer, franchit la porte. — Et lorsque les cimes s’éclairent sous les calmes rayons lunaires — la danse des Elfes commence dans les guirlandes de pampres.

Puis je vois surgir les murs des burgs en ruines. — Un frisson contenu s’élève en ma poitrine — car dans les décombres déserts — bientôt, un bruit de tourmentes et de combats gémit. — Je l’entends se plaindre dans les airs — et glisser en souffles sourds dans les cachots des tours.

Tantôt l’airain et la pierre parlent du Passé ; — tantôt le nuage, au fleuve, redit les échos du temps effacé. — Nous héritons de ces récits et les croyons fidèles. — Et personne n’ose hasarder la question : « Disent-ils bien la vérité ?

Fidèlement aussi je transmets aux autres — ce que j’ai vu et entendu. — Celui qui ne me croirait pas n’a qu’à porter ici ses pas — et prêter l’oreille à la voix des abîmes et des hauteurs. — Le cœur peut toujours trouver — ce qu’il veut bien se donner la peine de chercher.

À part Annette de Droste-Hülshoff, il est évident, cependant, que la première moitié du siècle n’offre guère en poésie que des talents d’ordre moyen.

La littérature, même féminine, est plutôt occupée de la propagande rapide, frappante des idées par la prose, par le roman. Les femmes envient la gloire de George Sand, et quelques-unes ne sont pas sans talent. Malgré leur façon un peu lourde d’appuyer sur une thèse ou de faire étalage d’érudition, Fanny Lewald, la comtesse Hahn-Hahn, Ida de Düringsfeld ont donné des œuvres intéressantes.

On peut joindre aussi à ce groupe l’ardente et généreuse Charlotte Stieglitz, dont la popularité est surtout due à l’héroïsme de son amour. Pour sauver son mari, atteint de neurasthénie aiguë et à qui une violente émotion pouvait rendre l’équilibre physique et moral, elle se poignarda[20].

Parmi ces romancières, la comtesse IDA Hahn-Hahn et Ida de Düringsfel cultivèrent, en même temps que la prose, la poésie.

La comtesse Hahn-Hahn[21] fit paraître plusieurs recueils de vers, dont le plus connu a pour titre : Unserer lieben Frau (À la sainte Vierge), publié en 1851. L’œuvre, est-il besoin de l’ajouter, est d’inspiration spirituelle.

La vie comme les pensées de la comtesse Ida subirent des influences assez diverses, opposées même. Née à Mecklembourg, en 1805, de famille aristocratique protestante, elle eut Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/110 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/111 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/112 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/113 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/114 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/115 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/116 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/117 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/118 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/119 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/120 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/121 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/122 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/123 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/124 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/125 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/126 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/127 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/128 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/129 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/130 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/131 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/132 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/133 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/134 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/135 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/136 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/137 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/139 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/140 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/141 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/142 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/143 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/144 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/145 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/146 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/147 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/148 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/149 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/150 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/151 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/152 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/153 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/154 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/155 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/156 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/157 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/158 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/159 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/160

MUSIQUE DE TZIGANES

Ah ! qu’avec joie je te vois arriver, char des tziganes — aux folles boucles noires — aux ardents yeux sombres — quand, par la voix des violons et des cymbales — tu laisses frémir en un chant sauvage — l’âme du caprice, libre de jougs !

Ô tziganes, vos chants restent étrangers — à toute école ; — vos doigts, fantaisistes et sans contrainte, recourbés d’instinct comme la corde de la lyre, — savent si bien traduire vos accents à la fois confus et éclatants ! — Je sens que vous buvez à la même source — que les artistes les plus grands.

C’est comme lorsque je sème ici des fleurs — qui, grâce à l’art, sont l’ornement du jardin — et qui nécessitent tant de soins et de peines — tandis qu’à côté, soudain, éclosent des corolles sauvages, agrestes, — nées du sein même de la simple Nature et qui peuvent rivaliser de beauté avec les autres.

Et je me sens moi-même, inclinée vers le sol, — sur les jours de mon enfance ! — Au profond de moi quelque chose frémit et s’émeut. — Chacun de vos chants m’enveloppe d’un charme, — vision ou image qui, lentement, s’évanouit ; — un sombre ou un doux souvenir.

CHAPITRE V

DIX-NEUVIÈME SIÈCLE

TROISIÈME PÉRIODE

(6 Vieille” et ‘* Toute Jeune Allemagne”.

Carmen Sylva (Élisabeth de Roumanie). — Hermine von Preuschen. — Maria Janitschek. — Isolde Kurz.

Telle fut donc l’inspiration à peu près uniforme de la littérature féminine durant la plus grande partie du dix-neuvième siècle, jusqu’au moment où une scission s’imposa sous un courant nouveau de pensées et d’événements.

Le romantisme a, en effet, étendu son influence sur toute cette période. Ses divers

groupes ne sont que des reflets différents de Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/163 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/164 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/165 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/166 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/167 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/168 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/169 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/170 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/171 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/172 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/173 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/174 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/175 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/176 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/177 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/178 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/179 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/180 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/181 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/182 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/183 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/184 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/185 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/187 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/188 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/189 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/190 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/191 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/192 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/193 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/195 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/196 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/197 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/198 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/199 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/200

aujourd’hui. — Le soleil décline, rougeoyant, — les
fleurs se raidissent dans le vent.

La pluie frappe la jeune fille au visage — mais elle
ne s’aperçoit de rien. — Elle pense seulement :
« Peut-être est-il déjà passé, — ou bien a-t-il suivi
une autre route ? »

Ses pieds prennent racine au sol, — ses yeux bleus
deviennent des corolles, — Elle se sent peu à peu
engourdie dans un rêve… — Elle attend toujours au
bord du chemin…

Une sérénité forte et digne se dégage de l’ensemble de l’œuvre d’Isolde Kurz. L’auteur est une artiste ayant eu assez de maîtrise d’elle-même pour subordonner ses émotions, ses sentiments, aux lois d’un travail de perfectionnement ayant pour but d’atteindre à la vraie Beauté. Et ceci, en elle, ne produit rien d’artificiel, puisqu’elle possède, instinctive, la conception de cette Beauté.

CHAPITRE VI

DIX-NEUVIÈME SIÈCLE

QUATRIÈME PÉRIODE

LES MODERNES

Ricarda Huch. — Frida et Pauline Schanz. — Alice von Gaudy. — Alberta von Puttkamer. — Marie delle Grazie. |

Anna Ritter. — Thekla Lingen. — Johanna Ambrosius. — Irène Forbes-Mosse. — Anna Croissant-Rust. — Hedwige Lachmann. — Marie-Madeleine. — Dolorosa. — Else Lasker Schuler. — Clara Muller. — Frida Jung. — T. Résa. — Marie Slona. — Anna Klie. — Maiddy Kloch. — Elsa Zimmermann. — Hans Gabriel. — Margarete Beutler. — Hélène Diesener. — Margarete Bruns. — Margarete Susman. — Hélène Voigt-Diederichs. — Julia Virginia. — Lulu von Strauss. — Agnès Miegel. — Ilse Franke.

Tandis que la romancière Clara Fiebiq consacre son remarquable talent au réalisme émouvant de ce qu’on appelle, en Allemagne, Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/203 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/204 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/205 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/207 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/208 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/209 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/210 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/211 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/212 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/213 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/214 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/215 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/216 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/217 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/218 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/219 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/220 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/221 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/223 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/224 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/225 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/226 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/227 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/228 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/229 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/230 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/231 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/232 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/233 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/234 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/235 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/236 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/237 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/238 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/239 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/240 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/241 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/242 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/243 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/244 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/245 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/246 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/247 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/248 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/249 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/250 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/251 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/252 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/253 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/254 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/255 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/256 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/257 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/258 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/259 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/260 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/261

Et la danse silencieuse allait, toujours plus vive — toujours plus étrange. Ses bras s’élevaient dans un élan de félicité et de désir. — Autour de son front pur d’enfant voltigeaient ses longues boucles de cheveux en blonds écheveaux. — Dans ses yeux brûlaient des larmes chaudes, et sa tête s’inclinait profondément sur son cou frêle.

La dernière bougie s’éteignit en crépitant. — Les sœurs de la jeune fille, au loin, l’appelaient de leur chambre. — Mais, haletante, l’enfant demeurait encore et toujours — et écoutait autour de la maison tournoyer la tempête nocturne.

Ilse Franke l’une des plus jeunes muses de la poésie féminine mederne, en Allemagne, est née en 1881 à Goettingue ; elle est la fille du directeur de la Bibliothèque de l’Université à Berlin et d’une romancière connue, Gertrud Franke Schievelbein.

Son unique florilège, paru en 1906 a pour titre, Iris. On y découvre une certaine inhabileté dans la forme ; le souffle lyrique y est court, mais l’auteur étant de celles qui n’ont pas dit encore leur dernier mot, on peut espérer que les œuvres suivantes accroîtront sa renommée, en témoignant d’une maturité de talent.

CONCLUSION

En résumé, et pour tirer une conclusion de cette étude, on peut redire que les femmes poètes sont nombreuses en Allemagne, mais en même temps qu’il y a parmi elles plus de gracieux talents que de vrais génies.

Le génie, pourra-t-on objecter, n’est, en aucun pays, l’apanage des femmes. Non, certes, si l’on entend par ce mot la force cérébrale d’un Michel-Ange, d’un Newton, d’un Victor Hugo ! Mais le génie, tel que l’entendait Musset, l’élan du cœur qui suscite le cri éternel de Vérité et de Beauté, écho non pas d’un peuple, mais de l’humanité tout entière, et qui trouve dans la poésie sa plus sublime et directe expression, ce génie-là est fort au-dessus des questions de sexe et de nationalité !

Il a rendu universels les noms d’une Mme de Staël, d’une Desbordes-Valmore, d’une George Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/264 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/265 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/266 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/267 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/268 pouvons, en finissant, émettre qu’un souhait qu’on voudra bien nous permettre de formuler en cette heure où la poésie et le féminisme tiennent une si large place dans la pensée : celui de voir le miracle s’accomplir par la plume d’une femme et par l’âme de la Poésie. APPENDICE

Indépendamment des femmes poëtes du dix-neuvième siècle que nous avons citées, il en existe encore un certain nombre, qui, moins connues et ne jouant pas un rôle littéraire par la portée de leurs œuvres, ont été cependant éditées, et dont les vers peuvent se rencontrer dans les revues etjournaux d’Allemagne.

Pour cette raison, il nous semble utile de joindre, à l’anthologie précédente, une liste alphabétique de ces noms choisis parmi les moins ignorés :

Barach (Rosa), née Baré, à Neurausznitz, en 1841. | Baümfeld (Lisa), née et morte à Vienne

(1877-1897). Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/272 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/273 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/274 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/275 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/276 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/277 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/278 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/279 Page:Berger - Les Femmes poetes de l Allemagne.djvu/280

TABLE DES MATIÈRES

 
Pages.
Rotswitta. — Frau Ava. — Sybilla Schwarz. — Henriette-Luise, électrice de Brandebourg. — Kalarina-Regina von Greiffenberg 
 9
Luise Karsch. — Baronne de Klenke, née Karsch. — Helmine von Chesy. — Caroline Rudolphi. — Élise von der Recke. — Amalie de Hellwig. — Karoline Brachmann 
 26
CHAPITRE III. — Dix-neuvième siècle
Première période. — (Influence de Gœthe).
Élisabeth d’Arnim (Beitina). — Marie-Anne Villemer. — Agnès Franz. — Méta Heuzer. — Luise Hensel. — Annelle de Droste-Hulshoff 
 45
CHAPITRE IV. — Dix-neuvième siècle (suite).
Deuxième période. — (Influence de Heine et des écoles autrichienne et souabe).
Adelaïde de Siolterfoth. — Ida Hahn-Hahn. — Ida de Duringsfeld. — Luise de Plünniès. — Élisabeth Kulmann, — Éllse Ludwig. — Karolina Dankelman. — Élisabeth et Catherine Dietz. — Betty Paoli. — Marie d’Ebner-Eschenbach. — Ada Chrisien. — Dilia Helena. — Mathilde Raven. — Luise Aston. — Emma de Halberg. — Amara George. — Émilie Ringseis. — Cécilie Zeller. — Hélène von Engelhardt. — Angéelica von Hœrmann. — Comtesse de Wickenburg-Almasy.  
 81
CHAPITRE V. — Dix-neuvième siècle (suite).
Troisième période. — (Vieille et Toute jeune Allemagne). 
Carmen Sylva (Élisabeth de Roumanie). — Hermine von Preuschen. — Maria Janitschek. — Isolde Kurz.  
 136
CHAPITRE VI. — Dix-neuvième siècle (suite).
Quatrième période, — (Les Modernes).
Ricarda Huch. — Frida et Pauline Schanz. — Alice von Gaudy. — Alberta von Puïtkamer. — Maria delle Grazie. — Anna Ritler. — Thekla Lingen, — Johanna Ambrosius. — Irène Forbes-Mosse. — Anna Croissant-Rust. — Hedwige Lachmann. — Marie-Madeleine. — Dolorosa. — HKlse Lasker-Schuler. — Clara Muller. — Frida Jung. — T. Resa. — Marie Sltona. — Anna Klie. — Maiddy Koch. — Elsa Zimmermann. — Hans Gabriel. — Margarete Beutler. — Hélène Diesener, — M.-L. Becker-
Kirchbach. — Margarete Bruns. — Margarete Susman. — Hélène Voigt-Diederichs. — Julia Virginia. — Lulu von Strauss. — Agnès Miegel. — Ilse Franke 
 172
 229
 237

2558. — TOURS, IMPRIMERIE E. ARRAULT ET Cie.

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  1. Les Pages modernes, janvier 1909.
  2. Ce nom dans la langue allemande du moyen âge s’orthographiait Hrofshuit.
  3. Mort à Vienne en 1822
  4. Mort en 1880.
  5. Écrivain allemand du dix-huitième siècle, qui donna un traité sur les beaux-arts.
  6. Poète et critique de la même époque.
  7. Né en 1719. Se fit une spécialité dans poésie légère.

  8. Dans le sens de : Quand nous perdons un être aimé.

  9. Bien qu’elle n’ait pas composé d’œuvres en vers, il
    ne faut pas oublier de noter, au dix-huitième siècle, le
    nom de Victoria Kulmus (1713-1762), qui épousa plus tard
    Gottsched, l’un des représentants de l’École saxonne.
    Comme son mari, Victoria Gottsched composa des pièces
    de théâtre, mais surtout elle traduisit des œuvres d’auteurs
    français, parmi lesquelles le Misanthrope, Zaïre et
    des comédies de Destouches.
  10. R. Meyer, Histoire de la littérature allemande au dix- neuvième siècle.
  11. R. Meyer, op. cit.
  12. Firmin Didot, éd. (1876).
  13. Numéro du 4 septembre 1909.
  14. Les traductions des poèmes de M.-A. Villemer sont également empruntées à l’article de M. Bossert.
  15. Wilhem Scherer.
  16. Représentants de premier ordre, il est vrai, avec les Cantiques de Marot, les Stances spirituelles de Malherbe, l’Imitation de Corneille, les chœurs de Jean Racine et les poèmes de son frère Louis.
  17. W. Muller (1793-1827) s’est surtout rendu célèbre par ses Lieder pleins d’élan et de vie. M. A. Bossert, dans son Histoire de la littéralure allemande, dit très justement que W. Muller a passionné le lied.
  18. Poète idéaliste et patriote (1783-1817).
  19. La bière, la fosse.
  20. Sur le roman de Charlotte Stieglitz, lire l’article de M. E. Faguet dans le Correspondant du 10 novembre 1909.
  21. Née en 1805, dans la province de Mecklembourg- Schwerin.