Les Flûtes alternées/Complicité des Poètes

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XVIII

COMPLICITÉ DES POÈTES


Ce qui donne à notre amour
Tant de gloire et tant d’extase,
C’est que notre âme s’embrase
À tous les foyers du jour.

C’est que nos cœurs sont des lyres
Sous des souffles solennels
Et que les vers éternels
Frissonnent dans nos délires.

Car pour nous, pâles amants
Que la nuit humaine couvre,
La Muse amoureuse entr’ouvre
Les portes des firmaments.

 
Les Poètes qu’environne
Un rayonnement profond
Autour de nos tempes font
S’épanouir leur couronne.

Des voluptueux frontons
Descend l’auguste harmonie
Et dans la nue infinie,
Frémissants, nous écoutons

S’élever l’hymne des âges,
Et des eaux, des prés, des bois,
Des astres, de grandes voix
Nous apporter des messages.

Orphée errant qui conduit
L’ombre claire d’Eurydice
Chante afin que resplendisse
Ton image dans la nuit,

Ô beauté ! Que dit Homère ?
— Hélène est belle et se plaît
À voir le flot violet
Se teindre de pourpre amère. —

 
Écoutons. Moschos est frais
Comme un zéphyr dans les branches.
Où courent les Nymphes blanches ?
Le savez-vous, ô forêts ?

Vers les tremblantes yeuses
Où Théocrite en rêvant
Marie aux lyres du vent
Les flûtes mystérieuses.

Ô belle ! entends-tu vibrer
Les abeilles de Virgile ?
Il semble qu’une aile agile
Est prête à nous effleurer.

Le vin que scellait Horace
Dans l’outre, nous le buvons.
Quand il songe, nous rêvons
Et quand il rit, je t’embrasse.

Catulle, qu’ensorcela
Lesbie, en nos seins allume
La flamme qui le consume
Neuf fois pour Ipsithilla.

 
Et toutes ces bouches, pleines
De mots à des fleurs pareils,
Nous distillent leurs conseils
Et nous soufflent leurs haleines.

Nous effeuillons un par un
Leurs baisers, et dans nos fièvres
Nous empruntons à leurs lèvres
L’allégresse et le parfum.

Nos âmes seraient muettes
Et nos cœurs humiliés,
Belle ! si pour alliés
Nous n’avions point les Poètes.

Car de chacun tour à tour
Nous épuisons les calices.
Toutes leurs amours complices
Font le miel de notre amour.