Les Flûtes alternées/Excuses

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Les Flûtes alternéesA. Lemerre (p. 154-157).


V

EXCUSES


Maintenant que l’hiver neige
Sur mon front chenu, je vois,
Belles ! de quel sacrilège
Je fus coupable autrefois.

À vingt ans, lorsque tu brilles,
Ô vague amour ! refuser
Les roses, aux blondes filles,
À leurs lèvres le baiser,

Au sein frais qui de la toile
Jaillit, préférer, hélas !
Le marbre austère que voile
La tunique de Pallas,

 
Au lieu d’imiter, ô songe !
L’abeille ivre de parfums,
N’être qu’un rat qui vous ronge,
Ô Grecs et Latins défunts !

C’était fou comme de croire
Qu’Avril finissant léguait
À la saison froide et noire
Les clochettes du muguet.

Oui, je fus le philosophe,
L’âpre chercheur, le savant,
Sourd à la plus belle strophe
Du grand poème vivant.

Dans les bois flétris et jaunes
J’errais sans apercevoir
Les Nymphes faisant aux Faunes
Des signes dans l’antre noir.

Le merle et la renoncule,
Le ramier et le bouleau
Chuchotaient : — C’est ridicule
De venir au bord de l’eau

 
Sans même écarter vos branches,
Saules ! pour voir au soleil
Sortir les baigneuses blanches
De l’étang tiède et vermeil. —

Et vainement Théocrite,
Me regardant de travers,
Murmurait : — L’idylle écrite
Dans les bois et les prés verts

Est tendre, charmante et douce,
Ô pédant silencieux !
À déchiffrer sur la mousse
Avec Klytie aux doux yeux. —

Oh ! pardonnez ! Je m’accuse,
Belles ! et tombe à genoux.
Le chemin de Syracuse
Trop tard me conduit vers vous.

Venez toutes, folles, ivres,
Faire, en les jetant au feu,
Des feuillets de mes vieux livres
Des papillons du ciel bleu.

 
Blondes, brunes, je vous aime.
L’amour, ce rêve enchanté,
Est la sagesse suprême ;
La vertu, c’est la beauté.

Parfumez mes soirs moroses ;
L’hiver et les ans moqueurs
Laissent parfois quelques roses
Dans les jardins et les cœurs.