Les Flûtes alternées/Rayon d’Automne

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VI

RAYON D’AUTOMNE


Oh ! laissez-moi les voir encore !
Laissez-moi, lorsque tout me fuit,
Voir ces yeux clairs où naît l’aurore,
Ces yeux bruns où blêmit la nuit,

Ces yeux gris où le crépuscule
Met son trouble et sa volupté,
Ces yeux de mystère où circule
Une lueur d’éternité !

Enfant ! laissez-moi dans mon âme
Garder votre regard serein,
Dans mon cœur enfermer sa flamme
Comme un joyau dans un écrin !

 
Moi qui reste seul et m’incline
Sur la pente des jours, ainsi
Qu’un vieil arbre sur la colline,
Moi dont le seuil est obscurci,

Qui vois au mur de ma chaumière
Chaque soir, un rosier jaunir,
Hélas ! moi qui n’ai pour lumière
Que le reflet du souvenir,

Je renais au divin mensonge
D’un renouveau mystérieux
Et je ressuscite le songe
Du jeune amour en vos doux yeux.

Je sens l’ivresse et non la honte ;
J’aime, je tremble et suis pareil
Au pasteur des monts, lorsque monte
L’ardent quadrige du soleil.

Tout s’éclaire ; la cime est rose,
Des traits d’or percent les buissons,
Une clarté d’apothéose
S’épanouit aux horizons.

 
Chers yeux, pleins d’angoisse et d’alarmes,
Tournés vers le rêve éternel,
Tendres yeux où perlaient des larmes,
Yeux profonds où vibrait le ciel,

Ô vous qu’un instant je vis luire,
Ô double rayon virginal,
Par les pleurs et par le sourire
Vivez en mon cœur automnal !