Les Flûtes alternées/Ignorance
VIII
IGNORANCE
Elle disait : — J’ai le droit
D’ignorer, si je devine.
L’amour sur terre s’accroît
De l’ignorance divine.
J’ai la beauté, me dis-tu ;
Cela suffit. Je suppose
Que ce n’est pas la vertu
Qui fait l’orgueil de la rose.
Dans les prés que nous pillons
J’aime à voir, folle et charmante,
Voltiger les papillons
Du narcisse à l’eau dormante.
Les bras nus, cheveux au vent,
Je poursuis la demoiselle ;
Toi, le sévère savant,
Les choses que l’ombre cèle.
Tu froisses des rouleaux noirs,
Tu lis des pages écrites ;
Moi j’arrache, ô doux espoirs !
Les feuillets des marguerites.
J’aspire, j’entends, je vois ;
Ô chant ! parfum qui m’enivre !
Ô fleurs ! Les feuilles des bois
Sont les feuilles de mon livre.
J’ignore tout. Que c’est beau
D’être simple en étant femme
Et de n’avoir pour flambeau
Que la lumière de l’âme !
J’aime ! Aimons-nous ! C’est assez
De savoir que l’heure est brève,
Que nos fronts sont caressés
Par l’aile agile du rêve,
Que les baisers n’ont qu’un jour,
Que volupté vaut science,
Qu’il faut à beaucoup d’amour
Joindre un peu de méfiance.