Les Flûtes alternées/Les Rogations

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VII

LES ROGATIONS


Voici les aubes printanières,
Voici Mai ; voici dans les champs
L’ondulation des bannières
Aux pâleurs des cierges penchants.

C’est la procession rustique
Qui, descendant du bourg voisin,
Semble porter le viatique
À l’hiver, moribond malsain.

Par les venelles et les sentes
Elle serpente à pas pesants
Dans l’odeur des sèves puissantes
Mêlée aux parfums de l’encens.

 
Les enfants en robe écarlate
Ont des airs de coquelicots,
Et quand la voix du chantre éclate
Comme un tonnerre aux sourds échos,

La perdrix surprise piète,
La caille se tait ; dans le foin
Le lièvre gîté s’inquiète
Couche l’oreille et part au loin.

Et les vieillards, faces brunies,
Et les vierges aux fronts voilés,
Aux murmures des litanies
Suivent le prêtre, et sur les blés,

Sur les lins bleus qu’un souffle agite,
Sur les vignes, sur le sillon
Pleut goutte à goutte l’eau bénite
De l’argent clair du goupillon.

Vieux culte de la vieille terre,
Sacrés espoirs, des ans vainqueurs,
Dans la mémoire héréditaire
Religion des humbles cœurs !

 
C’est la grande prière antique
Que jadis emportaient les vents
Sur les collines de l’Attique
Parmi les oliviers mouvants.

C’est ton cortège qui s’avance,
Ô Gaia ! C’est, ô Démèter !
L’impérissable survivance
De Kora, lorsque fuit l’hiver.

Qu’importe, ô divine nature !
Le nom par l’homme répété,
Pourvu que la moisson future
Lève et croisse dans la clarté ?

La terre ne sait pas d’où tombe
Le rayon qui la visita.
Vient-il du ciel ou de la tombe ?
De l’Olympe ou du Golgotha ?

Que te fait la lueur qui passe
En vacillant sur ton réveil,
Toi qui contemples dans l’espace
La marche sainte du soleil,

 
Ô terre qui reçois le germe
Et l’enfouis comme un trésor
Et, prodigieuse et sans terme,
T’épanouis en gerbes d’or ?

Terre indulgente qui déploies
Ta robe aux ardentes couleurs
Et qui répands toutes les joies
Comme des corbeilles de fleurs,

Terre, aïeule auguste, ignorante
Des cultes et des dieux humains,
Que t’importe la foule errante
Dans la splendeur de tes chemins ?

Tu n’entends que le chant de l’onde,
L’hymne du vent, la voix du nid.
C’est le rayon qui te féconde
Et le soleil qui te bénit,

Quand à l’aurore tu t’inclines
Sous la main que nul ne peut voir
Et quand midi sur tes collines
Élève l’énorme ostensoir.