Les Flûtes alternées/Jour d’Été

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Les Flûtes alternéesA. Lemerre (p. 131-133).


XVIII

JOUR D’ÉTÉ


Dès l’aube, quand Juillet dore et fleurit la plaine,
Le poète, dont l’âme est radieuse et pleine
De parfums, de clartés, de rêves et de chants,
S’émerveille, ô Virgile ! et te suit dans les champs.
Sur un coteau modeste où la chèvre vient paître,
Solitaire, dans l’herbe il s’assied sous un hêtre
Et contemple.

Ô douceur du limpide horizon !
Tout brille et rit ; là-bas le toit d’une maison,
Auprès d’un chemin creux, rougit dans la verdure.
Un vague étang nacré luit, ayant pour bordure
De grands joncs bruissants de vols brefs et de cris.
Plus près, de bruns faucheurs, parmi les blés mûris

Projetant l’éclair d’or de leurs faulx lumineuses,
Avancent, pas à pas suivis par les glaneuses.
Liés au joug, des bœufs que presse l’aiguillon
Traînent paisiblement de sillon en sillon
Des chariots massifs où les gerbes chancèlent.
Sous le ciel embrasé les fronts courbés ruissellent
Et les cœurs sont vaillants pour le labeur sacré.
Virgile ! un pâtre chante en gardant dans un pré
Son troupeau bondissant qui rôde et s’éparpille.
Debout près du chanteur songe une belle fille
Qui l’écoute et sourit en assemblant des fleurs,
Tandis que brusquement deux béliers querelleurs
Heurtent leurs fronts cornus dans les herbes foulées.
L’ombre qui nage encore aux gorges des vallées
Est bleue, et dans la haie on voit des trous d’azur.
Tout est candide, heureux, serein, lumineux, pur.
L’arbre tremblant répond aux oiseaux virtuoses ;
Tout chante, et le poète entend la voix des choses
Et dit en son cœur : — Terre, ouvre ton sein ! ô blés,
Étoilés de bluets, croissez, tombez, comblez
Les chars et les greniers et ruisselez sur l’aire !
Nourrissez le faucheur et soyez son salaire
Vénérable, le pain qu’il rapporte au logis
Et partage en riant à ses enfants. Mugis,

Taureau ! Chiens, aboyez ! Ô colombe, roucoule !
Ô prés, donnez vos fleurs ! Rayez l’onde qui coule
De vos ailes d’argent, ô libellules ! Vents,
Dispersez les senteurs salubres ! Ô vivants,
Hommes, au saint travail que votre cœur s’attache !
Tout être a son devoir, toute chose a sa tâche,
Le jour de resplendir et l’homme d’éclairer.
Nature ! le roc même a le droit d’espérer
Quand une graine errante entre ses parois germe.
Vivre, aimer, c’est la loi. Vivez, aimez sans terme,
Croissez ! Aimez, oiseaux, le bois gardien des nids !
Fleurs, réjouissez-vous des souffles infinis !
Doux amants, butinez ainsi que des abeilles
Les baisers innocents sur les lèvres vermeilles !
Oh ! comme tout est beau sous le firmament clair !
Comme un immense amour s’épanouit dans l’air,
Flotte sur les sillons, les branches et les ondes !

Été ! soleil divin ! paix des heures fécondes !