Les Flûtes alternées/La Ruine

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Les Flûtes alternéesA. Lemerre (p. 172-173).


XI

LA RUINE


J’ai fait des rêves comme vous,
Ô mes frères en destinée !
Me voici comme les hiboux
Dans la masure abandonnée.

Si j’ai rêvé pour mes amours
Des palais d’albâtre et d’ivoire,
J’habite au déclin de mes jours
Une ruine froide et noire.

J’ai vu le soleil sur la mer,
Les monts de pourpre ou d’améthyste.
Tout s’éteint ; mon cœur est amer,
Lune pâle de la nuit triste !

 
J’ai compté ceux qui sont partis
Sur les galères triomphales.
Dormez, cadavres engloutis
Dans les flots, au bruit des rafales.

J’ai suivi dans le ciel profond
Les feuilles que le vent emporte.
Oh ! l’amas sombre qu’elles font
À l’automne, devant ma porte !

Comme vous, je suis l’habitant
De la grande forêt nocturne.
Ô sort fragile ! chaque instant
Goutte à goutte tarit notre urne.

Les ans arrachent tour à tour
Un peu de chaume au toit qui tombe,
Un espoir, un rêve, un amour ;
Et la maison devient la tombe,

La tombe où, comme les hiboux
Dans la ruine abandonnée,
Je viendrai dormir avec vous,
Ô mes frères en destinée !