Les Flûtes alternées/Sérénité

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Les Flûtes alternéesA. Lemerre (p. 137-140).


XX

SÉRÉNITÉ


Oh ! comme l’horizon s’illumine à mesure
Que l’homme, ayant gravi les monts où le jour luit,
Sent que son âme s’ouvre et par degrés s’azure
Ainsi que des coteaux qui sortent de la nuit !

Maintenant que pour voir les aigles et les nues
L’homme est monté si haut qu’il doit baisser les yeux,
Maintenant que, baigné de lueurs inconnues,
Il n’a plus sur son front que la clarté des cieux,

Sa pensée, échappant aux entraves charnelles,
Sur le sommet conquis se pose en liberté,
Et, virginale, emprunte aux neiges éternelles
Un peu de leur candeur et de leur chasteté.

 
Toutes les passions humaines, ces nuées,
Comme un rideau tiré s’écartent brusquement,
Et la mer primitive, aux vagues remuées,
Sous la lumière égale est comme un lac dormant.

Qu’êtes-vous, ô désirs, nés dans une âme neuve,
Désirs de gloire, orgueil de voir son nom, jeté
Comme un osier fragile aux tourbillons d’un fleuve,
Aborder rayonnant à l’immortalité ?

Qu’êtes-vous, qu’êtes-vous, songes conçus naguère
De bâtir sa demeure à l’abri des destins,
De surgir, dans le bruit des trompettes de guerre,
Comme un chef triomphal sur les pavois hautains ?

Et vous, haines, remords, épouvantes, alarmes,
Ronces qui déchiriez les pieds du travailleur ?
L’homme tremblant qui fit son œuvre dans les larmes
Sait qu’un soleil nouveau mûrit un blé meilleur.

Maintenant que midi sur l’horizon superbe
Verse à flots d’or la paix glorieuse du jour,
Le moissonneur respire en déposant sa gerbe,
Sa gerbe de douleur et sa gerbe d’amour.

 
Il se repose enfin sous le grand ciel paisible.
A-t-il souffert ? peut-être. Et pleuré ? qui le sait ?
Ainsi que la rosée une haleine invisible
A doucement séché les larmes qu’il versait.

Oh ! comme tout est beau sous le firmament calme !
Dans le tranquille azur quelle forme apparaît,
Blanc fantôme d’amour ayant en main la palme
Et l’encensoir mystique où brûle un feu secret ?

C’est elle, la première et l’immortelle aimée,
Qui s’élève pareille aux vierges des vitraux,
Dont la robe de lin tombe à plis droits, semée
D’hermines, de croissants et de lys sidéraux.

Elle marche à travers des palais de nuages,
Sous de mouvants arceaux qu’ébranle un frais zéphyr,
Vers d’immatériels et chastes paysages
Où l’herbe d’émeraude a des fleurs de saphir ;

Où dans le clair lointain la nue agile creuse
De bleus vallons, peuplés d’anges musiciens.
Elle approche à pas lents dans l’ombre vaporeuse ;
Et les yeux de l’aimé se mirent dans les siens.

 
Elle a cette beauté qui de la mort s’exhale
Et cette majesté que donne le linceul.
C’est elle et ce n’est plus que la forme idéale
De son âme pensive où survit l’amour seul.

Car tout ce qui doutait, penchait, souffrait en elle
Meurt et s’évanouit comme un songe effacé.
Une auguste splendeur fait sa chair éternelle
Comme un marbre divin dans un temple dressé.

Et l’homme, en la voyant si sereine et si pure,
Mystérieusement sent quelque chose en lui
Qui ressuscite enfin et qui se transfigure
Ainsi que les forêts lorsque l’hiver a fui.

La vie est à ses yeux comme une plaine immense
Où tout, prés, champs, coteaux, marais aux noirs limons,
S’éclaire et resplendit quand l’aurore commence
À descendre du ciel par l’escalier des monts.

La Beauté sans déclin dans son âme profonde
Rayonne. Adieu désirs, voluptés, vains transports,
Illusions ! C’est toi dont la clarté l’inonde,
Amour, suprême Amour sans trouble et sans remords !