Les Fleurs de givre/La Mouette
À bord de la Bretagne, ce 6 décembre 1909.
De l’occident brumeux, subitement surgi,
Le vent râle, le vent meugle, le vent mugit
À travers l’infini de l’Océan qui bave
Et roule autour de nous plus d’une sombre épave.
Le vent pleure, le vent siffle, le vent rugit,
Et sous ses lourds assauts le vaste flot, rougi
Par le dernier lambeau du soleil qui se couche,
Mêle à ses bruits stridents son bramement farouche.
Un nuage grisâtre émerge à l’horizon,
S’étirant sur le ciel comme une ample toison.
La tempête s’avance, et, battu par la houle
Qui tour à tour bondit, court, s’abat, monte et croule,
Le grand paquebot fend majestueusement
La froide immensité de l’abîme écumant ;
Et les efforts sans nom de l’onde convulsive
Sont impuissants et vains contre la nef massive.
Derrière elle et comme elle inlassable et narguant
Les chocs vertigineux du sauvage ouragan,
La mouette poursuit sa course accoutumée
À travers le brouillard et la noire fumée
Qui monte de l’enfer allumé dans les flancs
Du rapide steamer en proie aux flots hurlants.
Contre les tourbillons croissants de la bourrasque
Elle vole d’une aile inconstante et fantasque,
Elle tournoie au ras des eaux l’éclaboussant,
Elle file tout droit, d’un trait calme et puissant,
Devant elle dardant un œil noir qui flamboie,
Et, parfois, frémissant d’une indicible joie,
Elle monte, elle plane, ou plonge tout à coup
Dans le creux tournoyant de la lame qui bout,
Remonte d’un coup d’aile au ciel voilé de brume,
Redescend aussitôt, se pose sur l’écume
De la vague, s’y berce, avec elle se fond,
Puis reprend un essor plus léger et plus prompt,
Nous rejoint, nous dépasse, et de nouveau s’arrête.
Ferme son vol, s’abat encore sur la crête
Des grands flots éraflés par l’âpre souffle amer,
Disparaît entre deux gonflements de la mer,
Reparaît, et, rasant les ondes éperdues,
S’efface dans la nuit des mornes étendues.