Les Forces éternelles/À mon fils

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Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 17).

À MON FILS



Mon enfant, tu n’avais pas l’âge de la guerre,
Tu n’eus pas à répondre à ce grand « En avant, »
Pouvais-je me douter, quand tu naissais naguère,
Que je te destinais à demeurer vivant ?

Trois ans, quatre ans de plus que toi, les enfants meurent,
Car ce sont des enfants, ces sublimes garçons,
Bondissant incendie au bout des horizons,
Tandis que ton doux être auprès de moi demeure,
Et qu’au son oppressant et délicat des heures
Ta studieuse voix récite tes leçons.
— Et voici qu’une année aisément recommence !
Mon cœur, de jour en jour, est moins habitué
À la mystérieuse et sanglante démence,
Et je songe à cela, d’un cœur accentué,
Cependant qu’absorbé par l’Histoire de France,
Tu poses sur la table, avec indifférence,
Ta main humble et sans gloire, et qui n’a pas tué…

Janvier 1915.