Les Forces éternelles/Accueil au soleil

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Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 190-191).

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Puisque chaque matin tu viens chez moi, cher hôte,
Que nous pouvons rêver et vivre côte à côte,
Qu’autour de toi je peux jeter mes bras ouverts,
Je ne me plaindrai plus du blessant univers.

Ô soleil débordant, dieu clair, dieu véritable,
Assieds-toi sur ma chaise, approche de ma table
Où mon désir t’attend, où ton couvert est mis ;
Je n’ai pas d’autre espoir et pas d’autres amis.

Voici des fruits posés sur une assiette blanche ;
Ils sont à toi, prends-les ; que ta grâce se penche
Sur la prune au suc vert, sur le rose brugnon :
Bois-les, mords-les, ils sont ta part, cher compagnon.


Tu dis : « Délos sur l’onde est une rose bleue,
Les dauphins écailleux dont scintille la queue
Sont des vases d’argent roulés aux flots amers,
Et moi je suis la nef flamboyante des mers.

Je ris au fond des deux, je luis, je coule, coule,
Je suis seul et je suis l’héroïsme et la foule,
L’Iliade c’est moi, Troie enflammé c’est moi,
Et je suis l’éternel anneau des douze mois !

Je suis, je suis ; le reste est vapeur, est fantôme,
Est ombre et yanité sous mon illustre dôme ;
Je n’ai pas de voisin, je n’ai pas de pareil.
Je suis le fort, le doux et l’unique soleil.

Je brille, je m’entends briller, je m’émerveille.
Je suis le miel divin des célestes abeilles.
Je n’ai pas de témoin, aucun humain n’osant
Pénétrer mon regard qui brûlerait son sang. »

Et le soleil me dit : « Humble sœur, tu t’affliges
De répandre sans but ton rêve et tes vertiges ;
Lève les yeux, vois-moi, je suis si beau, si pur,
Pour le vide infini, pour le désert d’azur… »