Les Forces éternelles/Je veux bien respirer…

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Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 263).

JE VEUX BIEN RESPIRER…


Je veux bien respirer encor l’air frais et gai
En souvenir du temps où j’aimais la nature,
Mon esprit sans espoir et mon cœur fatigué
Opposent au plaisir leur sombre fermeture.
Ah ! comme longuement nous fûmes subjugués
Par le suave azur qui ravit et torture !
— Mon destin fut cruel, mais fut un beau destin,
Je tremblais de détresse et je tremblais de joie ;
Mes regards enivrés s’emparaient des matins
Comme un étau d’argent qui scintille et qui broie.
— Quel cœur ressemblera à ce cœur qui contint
L’orgueil d’être à la fois le vautour et la proie ? —
Tout l’univers me fut un plaisir suffocant,
Tous les maux que j’ai craints ont fondu sur ma vie,
Mais bien que chaque instant me soit un dur carcan,
Peut-être il resterait à mon cœur quelque envie
Si je n’avais pas eu tous les maux de la vie !…